Tribune libre de Jean-Marc Coppola (Front de gauche): « L’emploi à Marseille, une question politique »

Publié le 17 juin 2016 à  19h48 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  15h26

Jean-Marc Coppola, Conseiller municipal Front de Gauche (photo Philippe Maillé)
Jean-Marc Coppola, Conseiller municipal Front de Gauche (photo Philippe Maillé)

Faisant le constat que l’emploi industriel a reculé depuis une trentaine d’années sur le bassin de Marseille, que les mutations font se développer des emplois de service, plus précaires, plus partiels, dans le commerce, le tourisme, le tertiaire, des secteurs qui créent moins de richesses. Étant convaincu que le rôle de la politique ne peut se limiter à accompagner les exigences économiques du marché libéral, mais doit être plus directif et porteur des besoins sociaux des populations.
Souhaitant être utiles à lutter contre le fléau du chômage, qui est désormais une question de santé publique, puisque 10 à 14000 décès par an -c’est-à-dire 4 fois plus que la mortalité routière – lui sont imputables du fait de l’augmentation de certaines pathologies, maladie cardio-vasculaire, cancers, épisode dépressif jusqu’au suicide.
J’ai, au nom du groupe des élus Front de Gauche, proposé que nous nous penchions sur la question de l’emploi sur nos territoires. Ainsi répondant favorablement, le maire de Marseille a accepté d’entamer ce travail de fond dans la deuxième ville de France. Après une phase très instructive, nourrie d’une trentaine d’heures d’auditions de cinquante acteurs institutionnels, sociaux et économiques du territoire, un conseil municipal extraordinaire s’est tenu le 13 juin dernier.
Une démarche utile, sans langue de bois, à laquelle il faut donner suite, dans le cadre d’un processus à long terme, avec l’ambition double de la prospective et des perspectives. Nous devons aussi élargir le champ de la réflexion en consultant davantage. Je pense aux institutions bancaires alors que la plupart des très petites, petites et moyennes entreprises peinent à obtenir des prêts bancaires, aux responsables de grandes entreprises publiques telles que la Poste, ERDF, SNCF ou encore l’Éducation nationale, les acteurs de la santé publique…
Tout doit être fait, au niveau de chacun des acteurs, politiques, sociaux et économiques, pour lutter contre le fléau du chômage. A Marseille, nous sommes confrontés à un taux plus important que les moyennes régionale et nationale, plus fort chez les séniors et chez les jeunes.
L’emploi demeure la première préoccupation des Français. Mais la lutte contre le chômage n’est pas qu’une responsabilité nationale tout comme la création d’emplois n’est pas le monopole du monde de l’entreprise.
En tant que donneurs d’ordre, la Ville et les collectivités locales contribuent à la mise en œuvre de politiques pour l’emploi et disposent de réels leviers, notamment en faisant valoir un certain nombre d’exigences vis-à-vis des employeurs privés. Une volonté politique forte peut s’exprimer localement avec des conséquences évidentes voire immédiates sur le bassin d’emplois. Je pense à la question des travailleurs détachés, aux clauses d’insertion au-delà du seuil des 10 % souvent évoqués, aux clauses sociales et environnementales, aux partenariats public-privé (PPP) qu’il faut redéfinir.
Un premier constat peut déjà être analysé et approfondi : il n’y a pas de lien mécanique entre développement économique, création d’emplois et résorption du chômage pour certaines catégories de la population.
Les créations d’emplois dans la Métropole ne bénéficient pas toujours aux demandeurs d’emplois non diplômés, mais à des personnes qualifiées qui viennent d’autres territoires. Ces difficultés sont à mettre en relation avec le niveau général de formation de la population, sans parler des jeunes diplômés victimes de discriminations parce qu’issus de quartiers paupérisés.
Il est possible de travailler à maintenir l’emploi en s’engageant à résister aux délocalisations, aux fermetures d’entreprises, en fléchant les aides financières des collectivités locales vers des entreprises comme la Générale Sucrière, les Moulins Maurel, Haribo. Tout est question de volonté politique, pour préserver l’emploi, accompagner les salariés et les dirigeants ou faciliter une reprise. L’exemple de Fralib d’un côté et le contre-exemple de la SNCM de l’autre montrent l’intérêt de prendre en compte toutes les intelligences y compris celles des travailleurs.
Je partage avec l’AGAM (Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise) et d’autres responsables le besoin de soutenir un avenir productif et industriel à Marseille. La ré-industrialisation permet de répondre aux enjeux sociaux et environnementaux posés aujourd’hui.
Parmi les propositions issues des auditions ont émergé celles d’une 2e École de la deuxième chance et d’un lycée international. Aussi concrètes et immédiates qu’elles sont, elles n’exemptent pas l’éducation nationale d’agir de manière plus audacieuse pour une école du droit à l’éducation et à la réussite pour tous.
Je propose la création d’internats communs pour collèges et lycées pour répondre au double enjeu de la lutte contre le décrochage et de l’apprentissage dans de bonnes conditions pour les élèves qui en sont privés. Il est indispensable de prioriser la formation en l’organisant réellement, notamment la formation professionnelle, y compris supérieure ; de valoriser des métiers dits manuels, peu prisés par les jeunes. A Marseille, le cas des Chantiers navals est significatif des besoins surtout avec la prochaine mise en service de la Forme 10.
En partenariat avec les acteurs de la filière maritime et portuaire, il est temps de réfléchir à doter enfin notre ville d’un technopôle des métiers de la mer, en s’appuyant sur les centres de formation et les lycées existants. C’est tout aussi nécessaire dans le domaine des énergies renouvelables.
Au final, c’est la construction d’un projet global et ambitieux pour Marseille, qui est à l’ordre du jour. Un projet à l’horizon 2025-2040, qui ne tourne pas le dos à ses atouts que sont la mer et le port, qui repositionne la ville au cœur de la coopération internationale avec l’Europe du Sud, le Maghreb et tout le bassin méditerranéen.
Pour définir ce projet d’intérêt général, au service des Marseillaises et des Marseillais, il faudra prolonger la méthode de la consultation, jusqu’à créer les conditions d’une intervention citoyenne active et continue. Conférences, séminaires, assises, groupes de travail, avec les syndicats, des entrepreneurs, des universitaires, des architectes, des sociologues, le mouvement associatif dans sa diversité, des représentants des habitants et des élus, dans un « gagnant-gagnant » pour dessiner l’avenir de Marseille.
Un avenir qui ne peut réussir sans de grands équipements de réseaux performants afin de relier les territoires. Nous devons travailler des projets de développement concrets, la modernisation des services publics et des financements utiles comme des fonds régionaux pour l’emploi et le développement. Pour relier les territoires, il est utile d’entendre ce qui a été dit de manière redondante : la mobilité est un des principaux vecteurs de l’accès à la formation et à l’emploi.
Mobilité qui peut se résoudre par l’obtention du permis de conduire, la possession d’un véhicule, et/ou l’accessibilité pour tous aux transports collectifs par un maillage de l’ensemble du territoire. Ce qui signifie que tôt ou tard, il faudra engager des investissements pour le prolongement des lignes de métro vers les entrées de la ville : au Nord vers l’hôpital, au Sud vers Luminy. Mobilité qui peut se résoudre aussi par une offre de logements accessibles à toutes les bourses et sur tout le territoire.
Métropole et L’État sont au pied du mur car les ambitions affichées au travers des 18 propositions de ce conseil municipal spécial emploi ne peuvent s’accommoder de l’austérité dans les investissements publics et dans les dotations aux collectivités locales. Les premières conclusions de ces travaux ne doivent pas rester dans un tiroir. Sachons être à la hauteur des enjeux pour la 2e ville de France et ses habitant-e-s. Nous y veillerons.

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