Tribune libre de Marc La Mola: Hexagone…

Publié le 6 janvier 2017 à  19h53 - Dernière mise à  jour le 29 novembre 2022 à  12h31

Ça y est cette fois c’est reparti, les bonnes résolutions seront tenues. Ils ne fumeront plus, n’ingurgiteront plus massivement du chocolat fait de Matière Grasse Végétale, ils s’attarderont sur le SDF et sa condition et prendront le temps de comprendre que celui qui cherche en vain un emploi n’est pas forcément un fainéant. C’est promis ils seront bien meilleurs qu’en 2016 …

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Certains ont même fait la promesse de s’intéresser à la politique et de faire des efforts pour en comprendre les méandres, les mensonges et les bassesses qu’elle est capable d’engendrer. Mais, ils iront voter ! Par deux fois ils vont aller déposer un ridicule bulletin pour éviter que celui là soit élu en favorisant celui qui va les tuer mais en oubliant qu’ils l’avaient jadis conspué.

On leur a dit que l’abstentionnisme était la cause, l’unique cause du mal être des Français et même qu’il favorisait l’avènement du parti extrême au discours rendu édulcoré par une famille aux cheveux blonds parfois peroxydés. La tante, la nièce prépubère, le compagnon de la tante et le grand-père devenu sénile…
Enfin toute une clique qui parvient pourtant à charmer un peuple épuisé d’espérer !
2017 sera une année électorale et ils vont se rendre dans les bureaux de vote comme des moutons de Panurge bien incapables de ne pas suivre celui qui va les conduire dans un précipice aux fonds abyssaux. En fin d’année ils vont même être capables d’encenser et de regretter celui qu’ils auront tant lapidé en omettant qu’il leur avait offert la retraite à 60 ans pour les gens ayant eu des carrières longues et qu’il avait, malgré un charisme de quiche Lorraine, hérité d’une situation catastrophique laissée par un gouvernement ayant sérieusement écorné la fonction présidentielle, président dont ces moutons avaient voulu se débarrasser.
Alors moi en ce début d’année j’écoute Renaud. Non pas le Renaud qui tel un soi-disant Phénix vient de renaître de ses cendres en pointant son nez depuis sa bastide de l’Isle-sur-la-Sorgue mais le Renaud qui a bercé ma jeunesse et dont les textes ont fait l’homme que je suis. Pas le Renaud de «Manathan-Kaboul» et encore moins celui de «J’ai embrassé un flic», non moi j’écoute le Renaud de «Les charognards» et de «Où est ce que j’ai mis mon flingue ?»

La voix était déjà éraillée, chevrotante, approximative même quand il nous lançait ses textes écrits non pas avec un Mont-Blanc mais avec un Bic maintes fois mâchouillé.
«C’est sûrement pas un Disque d’or ou un Olympia pour moi tout seul, qui me feront virer de bord, qui me feront fermer ma gueule … », hurlait-il devant un public convaincu que jamais nous ne perdrions cette colère et cette haine des règles conduisant le peuple vers une soumission totale.
Mais le pastis a eu raison de lui et de ses textes engagés comme un camion a eu raison de sketchs portés par un clown à salopette, des pitreries bien indispensables à notre démocratie et à un combat politique que l’élite s’est approprié en imposant la pensée unique pour faire culpabiliser celui qui oserait penser différemment.
« Y’a pas que des mômes dans la rue qui me collent au cul pour une photo, y’a même des flics qui me saluent qui veulent que je signe dans leur calot, moi j’crache dedans et j’crie bien haut que le bleu marine me fait gerber. J’aime pas le travail, la justice et l’armée … », chantait-il toujours avant d’aller embrasser un flic …
Curieux revirement, étrange attitude qui, si elle n’est pas justifiée par l’argent, a eu la capacité de transformer un anarchiste énervé en républicain discipliné capable de fédérer autour de lui un troupeau de brebis égarées et de les conduire aux urnes en appelant même à voter pour celui qui promet la suppression de plus de 500 000 fonctionnaires !

Chapeau l’artiste mais je te préférais moins docile, plus combatif comme tu le fus à cette époque où tu n’étais pas le seul à bousculer les mentalités, à cette époque où le besoin n’était pas aussi présent qu’aujourd’hui !
Qui reste-t-il, qui a pris ta place et celle de Coluche ?
Personne …

Et pourtant rien n’a changé, tout s’est même accentué. J’aurais tant aimé t’entendre composer et écrire des couplets sur les malversations financières des partis politiques, j’aurais adoré t’entendre chantonner le sort d’un ministre fraudant le fisc ou devant un patron du FMI violeur ?
Il aurait été bon de t’écouter balancer sur les 400M€ d’argent public gracieusement offerts à un personnage trouble dont le chemin a croisé la prison après un ministère ?
J’aurais repris en cœur avec toi une mélodie lançant que les lanceurs d’alerte étaient condamnés ? J’aurais approuvé une chanson remettant en cause l’élargissement de la légitime défense pour les policiers … Mais, tu ne l’as pas fait. Tu es revenu avec des titres fades et commerciaux, avec de la «soupe» musicale !

Je t’écoute encore et j’observe ces gens ayant couru pour t’applaudir alors que je suis convaincu que peu d’entre eux connaissent tes textes engagés, ta parole anarchiste et ta plume acide, ils ignorent même que tu les a détestés … Ils sont ton public aujourd’hui. Tu es devenu tendance alors ils s’abreuvent de niaiseries aux relents d’alcool anisé en pensant sans doute faire de la résistance, en pensant s’encanailler aux côtés de Perfectos élimés et de bandanas rouges fadasses, en ignorant que leurs aînés pleurent sur un Renaud rattrapé par un système, un Renaud capable de dénoncer les abus et les excès d’une société individualiste.
Rassure toi, ils iront voter…

Chaque début d’année j’y pense, chaque mois de janvier je ne peux oublier que tu as été l’auteur de «Hexagone», cette chanson dédiée aux Français dans laquelle tu craches ta haine de ce peuple particulier, de cette population versatile ayant opté depuis de nombreuses années pour la politique de l’essuie glace, une fois à droite, une fois à gauche sans laisser à chaque gouvernement le temps de trouver le courage de prendre des mesures indispensables à notre pays. Du courage, ils n’en ont plus !
Cette chansonnette, je la connais par cœur, je sais chaque mot et je mesure le sens que tu as voulu lui donner en l’employant à bon escient pour croquer ces Français que jadis tu détestas.

Depuis le mois de janvier où il s’embrassent jusqu’au mois de décembre où tu rêvas de les voir s’étouffer de dinde aux marrons. Tu égraines l’année en peignant le Français tel qui l’est, enfin tel qu’il était. Mais il est encore pire aujourd’hui !
Même toi tu es rangé, même toi le chanteur anarchiste qui m’a fait vibrer tu n’es plus capable d’aider ton prochain avec des textes coup-de-poing, avec des mots simples capables de faire grimacer le puissant. Tout est insipide, plus rien ne hurle pour faire vaciller un édifice bâti sur des privilèges et la toute puissance d’un poignée d’hommes détenant le pouvoir. Souviens toi même Balavoine avait écrit : «Les lois ne font plus les hommes mais quelques hommes font la loi ». Lui aussi il est parti …

Et pourtant la société dans laquelle nous vivons n’a jamais été aussi laide, aussi abjecte pour celui qui lutte pour survivre sous le joug d’hommes politiques animés par le pouvoir et l’argent.
Alors adolescent, puis jeune adulte tes textes m’ont aidé à comprendre cette société, ils m’ont apporté les clefs d’un monde bien compliqué à cerner si on se limite à la lecture d’une presse aseptisée. Je te dois beaucoup, je te dois aussi l’amour des mots et de l’écriture sans toutefois avoir ton talent et ta capacité à décrire notre quotidien avec justesse et passion.
Tes textes me manquent, ils comblaient un vide laissé par une une société que je n’aime pas. Ils me permettaient d’oublier que j’étais souvent seul face à cette bataille des idées, cette bataille qui semble se transformer inexorablement en une guerre inévitable dans laquelle l’Ouest va s’allier à l’Est pour faire péter la planète. Tiens ça aussi c’est de toi !

Je n’ai pas été gentil avec toi, je ne t’ai pas ménagé mais comment le faire lorsque l’on voit celui qui m’a permis d’avancer et de comprendre le monde se détruire ainsi ?
J’aurais tant aimé que tu écrives encore et encore des textes engagés, des textes dérangeants le puissant, des mots justes pour faire comprendre à ce troupeau de moutons que la solution n’est pas dans un isoloir, qu’elle n’est certainement pas dans le gain et le profit.
Mais où est -elle alors ? Je la cherche encore …

«C’est pas demain qu’on me verra marcher avec les connards qui vont aux urnes choisir celui qui les fera crever moi ce jour là j’reste dans ma turne … ». Tiens ça aussi c’est toi qui l’a écrit et chanté … Moi je l’ai répété à tue-tête !
Rassure toi, ils iront voter …
Et toi, iras tu ?

Marc La Mola [[Marc La Mola a été flic durant vingt-sept années. Après des débuts à Paris il rejoint sa ville natale, Marseille et choisit les quartiers nord pour y exercer. C’est aussi là qu’il a grandi. Officier de Police Judiciaire à la tête d’un groupe d’enquête de voie publique il a traîné dans ces quartiers pour en mesurer les maux. Il a touché du doigt la misère et la violence de ces secteurs de la Ville. Marc La Mola a sans doute trop aimé son métier et c’est en 2013 qu’il décide de mettre un terme à sa carrière. Il retourne à la vie civile pour écrire. Il est aujourd’hui auteur, romancier et scénariste. Chez Michalon Éditions il a publié : «Le sale boulot, confessions d’un flic à la dérive», «Un mauvais flic, lettre ouverte à Manuel Valls», «Quand j’étais flic …». Ces trois témoignages relatent les moments forts de sa carrière et ses différentes prises de position. C’est chez ce même éditeur qu’il publiera en mars 2017, «Police, Grandeur et Décadence» dans lequel il explique comment la police en est arrivée à descendre dans la rue pour manifester son mécontentement. Il est encore romancier. Il publie chez Sudarenes Éditions un polar à l’accent Marseillais, «Le sang des fauves». En juin 2017 le personnage de ce premier polar revient dans «Vallis Clausa», deuxième volet des enquêtes de son personnage Randy Massolo, un flic torturé. Il est aussi scénariste et a signé l’écriture de plusieurs synopsis optionnés par des maisons de production. Il enseigne également l’écriture de scénarios à l’École supérieure du cinéma Cinemagis de Martigues (13)]]

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