Tribune libre de Marc La Mola : Manifestations policières, légitimes ou pas ?

Publié le 23 novembre 2016 à  8h39 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h45

Destimed arton6253

Septembre 2013.

Après vingt-sept années passées au sein de la police je viens de mettre un terme à ma carrière. J’ai refusé d’être l’artisan d’une politique qui phagocyte l’institution depuis 2002 et cela n’a pas été de tout repos. Ces dernières années ont été de la résistance face à une hiérarchie inhumaine et des collègues paumés de ne pas parvenir à s’opposer à ce qui se met insidieusement en place. J’ignorais encore que ce n’était que les prémices de la mort annoncée de la police nationale, qu’il s’agissait de la fin d’une époque, celle d’une police forte que j’avais tant aimée.

Alors mon combat a commencé, à coups de livres et d’interviews j’ai été un lanceur d’alerte sans parvenir malgré la couverture médiatique et la confiance de mon éditeur à convaincre. Ni le grand public, ni les fonctionnaires de police eux-mêmes bien trop occupés à appliquer la politique initiée par la droite et confirmée par la gauche. J’ai dénoncé, sans aucune retenue, les primes au mérite, la politique du chiffre et surtout l’état psychologique défaillant de nombreux policiers. Mais personne n’a entendu mon propos ou d’aucuns n’ont daigné le prendre en considération. Sans doute était-ce plus confortable de ne pas voir les dégâts engendrés par ces attitudes et ces comportements face à une population déjà bien exsangue et oppressée par une situation économique défavorable.

J’ai fait mes premiers pas dans la police dans les années quatre-vingts. J’ai connu les belles heures d’une police efficace, d’une force d’État investie d’un pouvoir et d’une autorité. Il était alors bon d’être flic, flic de rue, de terrain. Je n’ai pas oublié les services rendus à la population, les regards et les remerciements de victimes satisfaites par notre intervention. C’était gratifiant !
C’est au début des années 2000 que les choses ont commencé à changer, qu’une mutation profonde métamorphosant l’institution entière en une force uniquement répressive s’est installée pour devenir, quinze années plus tard, l’unique mode de fonctionnement et surtout le principal motif des protestations policières de la fin d’année 2016.

La fin de la police de proximité sonna le glas d’une police efficace, d’une police à l’écoute d’un pan entier de la population : les vulnérables. Le flic était désormais jaugé et son activité comptabilisée comme celle d’un employé d’une entreprise soumis au chiffre, soumis à une rentabilité. C’était d’une révolution intellectuelle dont il s’agissait, d’une révolution institutionnelle que l’on allait subir et pas seulement au sein de la police nationale. Désormais la performance était mesurée au nombre d’interpellés, au nombre de personnes verbalisées. A l’hôpital les infirmières et dans les salles de classe les professeurs allaient être soumis aux mêmes mesures abjectes pour entraîner ces trois piliers de notre République dans des fonds abyssaux et plusieurs générations seraient nécessaires pour revenir à un service public de qualité.
Le chiffre, tel le cancer, avait investi le frêle corps de ces belles dames et allait étendre ses métastases sur l’ensemble des organes et ce ne sont pas les aspirines qui leurs ont été administrées qui pouvaient soigner cette trop lourde pathologie.
La mort devenait inévitable …

Mais depuis quelques semaines ils protestent, manifestent et chantent en chœur La Marseillaise en se tenant bras-dessus bras-dessous sous les fenêtres des préfectures, des palais de justice ou face aux frontons de leurs commissariats. Ils ratissent larges et ciblent de leur véhémence tous les partenaires, tous les responsables politiques, tous les autres en somme en omettant d’affirmer qu’ils sont eux-mêmes là où ils ont acceptés d’être placés : au plus bas niveau.

Apolitiques, sans soutien des organisations syndicales mais surtout désordonnées voire brouillonnes ces manifestations s’apaisent aujourd’hui et ce n’est pas trop tôt.
La légitimité de ces mouvements de policiers prend racine dans l’agression dont quatre flics ont été victimes à Viry-Châtillon (91). En réaction ils sont descendus dans la rue pour rejeter en bloc ce qu’ils avaient eux-mêmes acceptés de mettre en place sans retenue, sans honte ni gêne. Ainsi les manifestations semblent légitimes, mais le sont-elles réellement ?

Ils scandent des propos patriotes, brandissent des drapeaux tricolores en rejetant la politique du chiffre que ces flics là ont respecté scrupuleusement tant qu’elle était pour eux génératrice de faveurs de leurs autorités et leur assurait primes et déroulement de carrière aisés. Alors que j’alertais les fonctionnaires de base, que je les exhortais à cesser de travailler de la sorte, en négligeant les fondamentaux d’une police républicaine, en interpellant toujours plus et en oppressant une population incapable de comprendre ces nouvelles directives, je n’ai eu que des regards méprisants et des réflexions désobligeantes. Alors, nous sommes en droit de nous interroger sur le bien-fondé de ces protestations et sur cette réaction bien trop tardive d’une troupe peu préoccupée par la portée de leurs actes sur la société.

Je l’ai dit plus tôt et je le confirme c’est bien monsieur Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, qui a inoculé ces maladies dans le corps de la police. Alors Atlantiste invétéré son paradigme en la matière était celui d’une police à l’Américaine : répressive donc violente ! Mais, je n’oublie pas que monsieur Manuels Valls, rencontré à deux reprises, n’a fait que confirmer ces orientations et a laissé la police s’enfoncer inexorablement dans un profond état de déliquescence. En octobre 2002, sur le plateau de Canal +, je lui demandais quand la politique du chiffre allait cesser. Il répondait que les consignes avaient été données pour qu’elle ne soit plus appliquée et je rétorquais qu’elles n’étaient toujours pas parvenues aux cerveaux de la hiérarchie.
Elle est encore aujourd’hui l’unique mode de fonctionnement de la police et cela fait quinze années que ça dure …

Alors la légitimité des mouvements de policiers m’apparait moins flagrante, bien moins évidente et notamment lorsque l’on mesure leur incapacité à faire front, en son temps, à une politique dévastatrice de l’institution qui les nourrit. Je ne suis la référence de rien mais j’ai été le témoin privilégié de cette lente déchéance d’une police que j’ai aimée. Je ne porte la parole de personne et certainement pas celle des policiers en colère que j’ai vu être les artisans d’une telle déchéance mais ma parole est libre de toutes pressions et regards critiques et mes doigts sont agiles sur un clavier lorsqu’il s’agit de défendre la société et surtout les personnes vulnérables économiquement ou physiquement. C’est bien pour cela que j’étais devenu flic !

Alors il faut néanmoins que j’emmène un bémol à mon propos, que je tempère ma fougue et me fasse pédagogue pour les non-initiés. Dans les protestations des policiers il ne s’agit pas aujourd’hui de défendre les intérêts de la société et même de se porter à son chevet mais bien de prendre conscience que ce que les flics ont mis en place est à l’origine de leur mal être. Ce n’est pas le sort de la société qu’ils défendent puisqu’ils l’ont négligé depuis quinze années mais bien leurs propres avenirs financier, corporatif et leur intégrité physique face à une criminalité et délinquance toujours plus violentes et à une hiérarchie devenue inhumaine aux méthodes de management inspirées des pires firmes anglo-saxonnes.
Ainsi elles sont légitimes …

J’en veux pour preuve cet exemple que je vais vous donner, il est le reflet d’une ambiance et de ce qui se passe dans les têtes des policiers lobotomisés par tant de politiques incohérentes appliquées ces dernières années.
En ce mois d’octobre 2016, ils se réunissent devant la mairie centrale de Marseille ou sur le Vieux-Port. Ils hurlent pour se faire entendre d’un interlocuteur putatif, d’un gouvernement sourd aux jérémiades incontrôlées de quelques policiers incapables de comprendre qu’il faut cesser de piétiner le pavé pour se regrouper sous une seule motivation, celle de la grève du zèle qui impacterait la sacro-sainte référence : le chiffre!
Celui-là appartient à la Brigade Anti Criminalité, la BAC et il est encore plus véhément que ses collègues pour demander la fin de la politique du chiffre puisque, l’ayant appliquée minutieusement, il parle de ce qu’il connaît très bien.

Il tient les bras de ses collègues et entonne La Marseillaise comme si il en détenait le monopole, comme si elle devenait le chant d’une police malade. Mais tout a une fin et il est l’heure maintenant de redevenir flic et de s’intéresser à ce que Marseille peut générer, peut engendrer de violent. Sa voiture patrouille dans le secteur nord de la ville, celui des cités défavorisées pour se mettre en quête d’une interpellation. Ce sera ce jeune homme à casquette qui va faire l’objet d’un contrôle d’identité et il est trouvé porteur d’une quantité négligeable de résine de cannabis, une «crotte de nez» comme le sabir policier le qualifie.

Menotté, placé dans la voiture il est conduit devant l’Officier de Police Judiciaire du quart Nord, dans le quartier de la Delorme. Ce dernier, surpris par la médiocrité de l’interpellation et surtout faisant référence à l’activisme récent du flic de la BAC, l’interroge sur la différence entre ses prises de position et son attitude. Le « Baqueux » répond en bombant le torse : « Moi j’achète ma tranquillité !»

Cette histoire est vraie et elle reflète les dichotomies de ce mouvement incontrôlable. Si la population semble le soutenir c’est uniquement parce qu’elle est effrayée de ne plus pouvoir compter sur une force de police pour l’aider, l’assister.

La police nationale est dans un état de déliquescence que peu de gens peuvent imaginer, elle est incapable de répondre aux attentes légitimes des citoyens. A Marseille un appel au 17 Police-secours se solde trop souvent par une non-réponse ou par un succédanée de réponse. Ils n’ont pas le temps, pas de matériel, pas de personnels ou alors ils ferment les commissariats en guise de réplique cinglante à des besoins essentiels. Le retard qui a été pris est colossal. Les coupes franches dans les effectifs et les restrictions budgétaires ont savonné la planche sur laquelle la police ne cesse de glisser.

Mais au-delà de cela ce sont bien les orientations politiques décidées trop souvent à des fins uniquement électorales qui ont eu raison de la police efficace et du service public de qualité. J’ai évoqué la politique du chiffre et la qualifie de cancer de l’institution mais il ne faut pas faire l’impasse sur les méthodes de management nouvellement inculquées aux hiérarques avides de primes aux résultats et de déroulement de carrière facile. Lorsque je cible les policiers je n’épargne aucune catégorie, aucun grade et les tiens tous pour responsables de la situation dans laquelle la police se trouve. J’ai trop de souvenir de ce commissaire m’ordonnant de placer en garde à vue un jeune homme pour une infraction dérisoire afin de faire du chiffre, j’ai encore souvenir de celui-là m’indiquant de transformer le recel de vol en vol pour faire augmenter les mauvais chiffres de l’infraction de recel. J’ai refusé de le faire pourquoi ceux qui manifestent aujourd’hui ont accepté d’exécuter ces ordres-là ?
Légitimes ? Je ne crois pas …
Dors bien peuple de France, la police ne te protège plus …


Marc La Mola

Marc La Mola a été flic durant vingt-sept années. Après des débuts à Paris il rejoint sa ville natale, Marseille et choisit les quartiers nord pour y exercer. C’est aussi là qu’il a grandi. Officier de Police Judiciaire à la tête d’un groupe d’enquête de voie publique il a traîné dans ces quartiers pour en mesurer les maux. Il a touché du doigt la misère et la violence de ces secteurs de notre ville. Marc La Mola a sans doute trop aimé son métier et c’est en 2013 qu’il décide de mettre un terme à sa carrière. «Après trop de saloperies brassées et surtout trop de turpitudes d’une hiérarchie devenue inhumaine car aux ordres d’une politique abjecte, Marc décide de retourner à la vie civile pour écrire.» Il est aujourd’hui auteur, romancier et scénariste. Chez Michalon Éditions il a publié : «Le sale boulot, confessions d’un flic à la dérive», «Un mauvais flic, lettre ouverte à Manuel Valls », «Quand j’étais flic …». Ces trois témoignages relatent les moments forts de sa carrière et ses différentes prises de position. C’est chez ce même éditeur qu’il publiera en mars 2017, « Police, Grandeur et Décadence » dans lequel il explique comment la police en est arrivée à descendre dans la rue pour manifester son mécontentement. Marc est encore romancier. Il publie chez Sudarenes Éditions un polar à l’accent Marseillais, «Le sang des fauves». En juin 2017 le personnage de ce premier polar revient dans «Vallis Clausa», deuxième volet des enquêtes de son personnage Randy Massolo, un flic torturé. Il est aussi scénariste et a signé l’écriture de plusieurs synopsis optionnés par des maisons de production. Il enseigne aussi l’écriture de scénarios à l’école supérieure du cinéma Cinemagis de Martigues (13)

Les ouvrages

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Marc La Mola

Marc La Mola a été flic durant vingt-sept années. Après des débuts à Paris il rejoint sa ville natale, Marseille et choisit les quartiers nord pour y exercer. C’est aussi là qu’il a grandi. Officier de Police Judiciaire à la tête d’un groupe d’enquête de voie publique il a traîné dans ces quartiers pour en mesurer les maux. Il a touché du doigt la misère et la violence de ces secteurs de notre ville. Marc La Mola a sans doute trop aimé son métier et c’est en 2013 qu’il décide de mettre un terme à sa carrière. «Après trop de saloperies brassées et surtout trop de turpitudes d’une hiérarchie devenue inhumaine car aux ordres d’une politique abjecte, Marc décide de retourner à la vie civile pour écrire.» Il est aujourd’hui auteur, romancier et scénariste. Chez Michalon Éditions il a publié : «Le sale boulot, confessions d’un flic à la dérive», «Un mauvais flic, lettre ouverte à Manuel Valls », «Quand j’étais flic …». Ces trois témoignages relatent les moments forts de sa carrière et ses différentes prises de position. C’est chez ce même éditeur qu’il publiera en mars 2017, « Police, Grandeur et Décadence » dans lequel il explique comment la police en est arrivée à descendre dans la rue pour manifester son mécontentement. Marc est encore romancier. Il publie chez Sudarenes Éditions un polar à l’accent Marseillais, «Le sang des fauves». En juin 2017 le personnage de ce premier polar revient dans «Vallis Clausa», deuxième volet des enquêtes de son personnage Randy Massolo, un flic torturé. Il est aussi scénariste et a signé l’écriture de plusieurs synopsis optionnés par des maisons de production. Il enseigne aussi l’écriture de scénarios à l’école supérieure du cinéma Cinemagis de Martigues (13)

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