Tribune libre du Pr. Hagay Sobol: Une troisième intifada pour empêcher l’accord entre Gaza et Israël ?

Publié le 31 octobre 2015 à  10h25 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  20h43

Le conflit israélo-palestinien a toujours été pris en otage par des forces qui dépassent largement ses frontières. Né des découpages arbitraires du Moyen-Orient opérés par la Grande-Bretagne et la France après la chute de l’empire Ottoman, puis pris en étau dans l’affrontement entre l’Est et l’Ouest, c’est aujourd’hui la lutte plus que millénaire entre chiites et sunnites qui imprime sa marque. Aussi, si l’on veut apporter une solution utile aux protagonistes, il est plus qu’urgent de recontextualiser ce conflit à l’aune des nouvelles lignes de fractures qui sont apparues suite à l’irruption du groupe djihadiste sunnite Daesh prônant le retour au Califat, et les visées hégémoniques de la République islamique d’Iran chiite.

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Un accord entre Gaza et Israël ne ferait pas l’affaire de tous !

Il y a quelques semaines, la presse internationale se faisait l’écho de négociations indirectes entre la branche politique du Hamas à Gaza et Israël. En effet, laminé par la dernière campagne de Gaza, le mouvement islamiste n’avait pas d’autre choix s’il voulait rester au pouvoir et contrer ses principaux adversaires et anciens alliés que sont le Djihad islamique et des mouvements ayant prêté allégeance à Daesh. Ces efforts étaient sur le point d’être couronnés de succès avec la signature d’un accord de non-agression de longue durée entre les deux parties et la construction d’un port flottant, sous l’impulsion de l’Arabie Saoudite, et des pays sunnites dits «modérés».

L’objectif était de constituer une «nouvelle alliance» incluant Israël afin de lutter conjointement contre la double menace existentielle représentée par les djihadistes sunnites de Daesh (acronyme de l’Etat Islamique en arabe, EI) et l’impérialisme chiite iranien. Pour faire accepter leurs populations respectives cette coopération étroite, il fallait aux dirigeants arabes une avancée notable sur le dossier palestinien souvent mis en avant pour masquer leurs divisions profondes. Dès lors, on comprend aisément que ces avancées ne faisaient pas l’affaire de tous, à commencer par Daesh ou Téhéran, mais également au sein même de la famille palestinienne.

La transformation d’un conflit national en guerre de religion

Avant toute chose, pour bien comprendre ce qui est à l’œuvre aujourd’hui, il faut réaliser ce que représentent pour les islamistes, Israël ou le Liban d’avant la guerre civile. A leurs yeux, les États multiculturels, au sein desquels les minorités religieuses peuvent s’exprimer, sont intolérables. Selon leur logique, ils doivent disparaître pour que puisse être restaurée la «umma islamiyya», «la communauté des croyants» ou encore «la Nation Islamique». A cela se rajoute un schisme religieux entre sunnites majoritaires et chiites, considérés par les premiers comme des hérétiques qui a donné naissance à un interminable et sanglant conflit depuis plus de mille ans.

Pour mettre un frein à la «nouvelle alliance» entre Israël et pays arabes sunnites modérés, il est donc prioritaire, à la fois pour l’EI et pour l’Iran, de faire capoter l’accord politique en gestation. Pour arriver à leur fin, ils disposent de plusieurs leviers: jouer des dissensions entre et au sein des groupes palestiniens, impliquer les arabes israéliens et donner une dimension religieuse à une revendication jusqu’alors essentiellement nationaliste. C’est à cette fin qu’a été propagée, par tous les ennemis de l’accord et de la paix, la rumeur infondée de la «menace [pesant] sur la mosquée d’al Aqsa» et de la nécessité de «libérer Jérusalem des juifs».

Non il ne s’agit pas d’une troisième intifada !

De fait, il existe de grandes différences entre ce à quoi nous assistons et les deux intifadas. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un soulèvement populaire et la coopération sécuritaire entre l’Autorité Palestinienne et Israël est toujours en vigueur et efficace. Ensuite, la « guerre des pierres » a fait place à la « guerre des couteaux » qui frappent indistinctement les femmes, les vieillards et les enfants. Les auteurs des attentats en Israël ou dans les territoires sont pour la plupart indépendants des grands mouvements palestiniens, même si l’on ne peut nier le rôle de catalyseur joué par le la branche nord du mouvement islamique israélien, proche du Hamas et tout comme lui issu des Frères musulmans. Enfin, en incendiant un lieu saint révéré par les juifs, le tombeau de Joseph à Naplouse en Cisjordanie, pourtant sous autorité de l’AP (Autorité Palestinienne) de Mahmoud Abbas, on voit bien que l’on essaye de donner une dimension religieuse au conflit.

La main de Daesh

Ainsi, outre le terrorisme auquel l’État Hébreu a dû faire face jusqu’alors, se surajoute un phénomène nouveau qui ne ressemble en rien aux événements précédents. L’usage systématique de couteaux dans les attaques et la destruction de lieux saints non-musulmans s’apparentent aux pratiques habituelles de Daesh. Nous avons tous en mémoire les exécutions filmées et la destruction de Palmyre.

Majoritairement, les terroristes sont des individus isolés, qui se sont autoradicalisés en s’abreuvant sur internet aux discours islamistes. Leurs actions ont immédiatement été condamnées par nombre de responsables politiques et de Maires arabes israéliens qui disent « non à la violence », y compris après l’attentat de Beer Sheva, par la communauté bédouine bien insérée dans la société israélienne jusqu’à occuper des postes clés dans l’armée.

Mais pour s’en convaincre définitivement, il suffit de regarder les dernières vidéos postées par Daesh qui glorifient les attaques au couteau, sa marque de fabrique, menées par des Palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem. Nous assistons en quelque sorte à l’importation en Israël du terrorisme qui vise l’Europe après avoir déstabilisé l’Irak, la Syrie et la Libye.

L’ombre de Téhéran

Mais l’Iran n’est pas en reste et voit d’un très mauvais œil ce rapprochement entre son ancien protégé, le Hamas, et les israéliens. En effet, le « mouvement de la résistance islamique » (traduction de l’acronyme arabe Hamas), pourtant d’obédience sunnite, a joué pendant des années le rôle de bras armé de l’Iran chiite dans la région. C’est la crise syrienne, avec le soutien apporté par le mouvement islamiste aux rebelles djihadistes qui a sonné le glas d’une union jusqu’alors sans faille, alors que Téhéran faisait tout son possible pour maintenir son allié alaouite -branche du chiisme- Bachar el-Assad au pouvoir.

Cependant, sous une même appellation, le Hamas, reconnu comme organisation terroriste par l’Europe et les USA, est en fait très divisé entre d’une part ses branches politique et militaire, entre Gaza et la Cisjordanie, et sa direction extérieur en exil représentée par Khaled Mechaal, ayant déménagé de Damas à Doha au Qatar. Ceux qui négocient avec Israël appartiennent majoritairement à la branche politique gazaouïte et l’Iran essaye d’agir sur les rivalités internes pour que les autres composantes reprennent la lutte armée. Pour mettre encore plus d’huile sur le feu, les Mollahs de Téhéran financent d’autres groupes tels le djihad islamique ou la milice chiite al-Sabirin.

La famille palestinienne divisée

Malgré le fait que les leaders des mouvements palestiniens entonnent d’une seule voix une rhétorique guerrière en soutenant les attaques anti-israéliennes, ils ne sont en rien moteurs et tentent de récupérer un mouvement qui leur échappe pour en tirer des bénéfices politiques au sein d’une famille palestinienne divisée, tant géographiquement que politiquement.

Le fossé qui existe entre Gaza, dirigée par le Hamas après un coup d’État, et la Cisjordanie avec à sa tête le Président Mahmoud Abbas, issu du Fatah, n’est pas que géographique. En effet les projets même des deux entités sont incompatibles. L’un est un mouvement islamiste, traversé par différentes tendances, prônant la charia, la destruction d’Israël et le retour au Califat, contestant la notion d’État-nation, même palestinien. L’autre, est un mouvement politique d’inspiration «laïque» qui a décidé d’arrêter la lutte armée contre l’État Hébreu pour mettre en œuvre les accords d’Oslo et la création de l’Autorité Palestinienne.

Mais tout comme le Hamas, le Fatah est profondément divisé, et Mahmoud Abbas est à la croisée des chemins. A 81 ans, il garde les rênes d’un pouvoir qui ne cesse de se déliter. Sans jamais avoir organisé d’élection depuis 20 ans, ni désigné de dauphin, il fait tout pour éviter que son ennemi juré, Mohamed Darlan, l’ancien homme fort de Gaza, actuellement en exil, ne lui succède. L’Autorité Palestinienne, rongée par la corruption, n’a pas engrangé les bénéfices des actions remarquables entreprises par Salam Fayyad, l’ancien Premier Ministre de l’AP. Durant son mandat, il avait travaillé à la mise en place d’institutions devant constituer les bases du futur État. Cependant, il a été limogé par le Raïs palestinien sous pression des caciques du Fatah qui lui reprochaient son trop grand désir de transparence au sujet de l’argent distribué par la communauté internationale.

Aujourd’hui, le successeur d’Arafat, jongle entre une diatribe belliqueuse et la condamnation de «toute attaque contre les civils». Il se présente en défenseur de la «Mosquée al-Aqsa menacée», revendique à l’Unesco le Mur des Lamentations comme lieu saint de l’Islam et non pas du judaïsme, tout en poursuivant la coopération sécuritaire avec Israël. Ce faisant, il se remet dans la course face au Hamas, et se rappelle aux bons soins de Benjamin Netanyahu, le Premier Ministre israélien qui l’avait complètement marginalisé au profit des négociations avec Gaza.

Quel rôle pour les occidentaux et la France ?

Pour le moment la rue palestinienne ne suit pas. Lassée par la politique à courte vue et suicidaire de ses leaders, la minorité arabe et la population des « territoires » n’aspirent qu’à une résolution pacifique du conflit, tout comme la majorité des israéliens juifs. Mais, ce numéro d’équilibriste fort dangereux fait le lit de Daesh et des mouvements soutenus par l’Iran. Et s’il devait se poursuivre trop longtemps, cela ne pourrait mener qu’à la catastrophe.

La France qui a tenu un discours ferme face à l’Iran au sujet de son programme nucléaire controversé; la France qui a su également faire évoluer sa politique au grès des reconfigurations régionales, en intervenant contre les djihadistes en Afrique et en agissant désormais en Syrie, est attendue sur ce dossier. Aussi plutôt que de s’abstenir à l’Unesco sur une résolution palestinienne reconnaissant désormais comme lieux saints musulmans des hauts lieux du judaïsme – le Caveau des Patriarches et le Tombeau de Rachel – ce qui contribue à donner une dimension religieuse au conflit, la France à la tête des puissances européennes devrait être source de propositions constructives.

En particulier, il ne suffit pas de faire pression sur Benjamin Netanyahu pour que la résolution du problème arrive. Au milieu de la poudrière Moyen-Orientale où les États-nations s’effondrent, et face à la menace nucléaire perse, le Premier Ministre israélien a un argument imparable : «On ne négocie pas sous le feu». Pour ramener ce dernier à la table des négociations, la France et l’UE pourraient créer la confiance en soutenant l’accord avec le Hamas à Gaza, et en favorisant une transition pacifique à la tête de l’Autorité Palestinienne en Cisjordanie. Car mieux vaut un accord de non-belligérance à trois que d’attendre pour faire la paix, une improbable réconciliation palestinienne entre le Hamas et le Fatah.

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