Trois portraits d’astronomes entrent à l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille

Publié le 27 mars 2023 à  12h09 - Dernière mise à  jour le 6 juin 2023 à  20h37

L’astronomie marseillaise a une longue histoire et a entretenu des liens particuliers avec l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille de la fin du XVIIIe jusqu’à la fin du XIXe siècle. Pendant plus d’un siècle, les six directeurs successifs de l’Observatoire de Marseille ont tous été membres de cette Académie, depuis Guillaume de Saint-Jacques de Silvabelle, en 1765, jusqu’à Édouard Stéphan en 1878, à l’exception d’Adolphe Gambart, décédé prématurément.

Portraits des astronomes académiciens Silvabelle, Thulis et Stéphan, dans la salle des séances de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille au 40, rue Thiers.  (Photo Gérard Detaille) 
Portraits des astronomes académiciens Silvabelle, Thulis et Stéphan, dans la salle des séances de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille au 40, rue Thiers. (Photo Gérard Detaille) 

Trois portraits de ces directeurs ont été conservés : Silvabelle, Thulis et Stéphan. La fusion de l’Observatoire de Marseille avec le Laboratoire d’Astronomie Spatiale, en 2000, a donné naissance au LAM (Laboratoire d’Astrophysique de Marseille) qui s’est installé en 2008 au Technopôle de Château-Gombert. Mais ces portraits d’astronomes académiciens sont restés dans les sous-sols du bâtiment de Longchamp, maintenant occupé par l’IMéRA (Institut d’études Avancées de l’Université d’Aix Marseille), dans des conditions de conservation qui sont loin d’être optimales. Fort heureusement, ces trois portraits sont maintenant accrochés dans la salle des séances de l’Académie des Sciences, Lettres & Arts de Marseille où ils sont conservés dans de bien meilleures conditions. De plus, alors qu’ils étaient jusque-là enfermés dans des cartons, ils peuvent à nouveau être vus, y compris par le public lors des journées du Patrimoine où le siège de l’Académie peut se visiter au 40, rue Thiers (Marseille 1er).

Cette opération a pu se faire grâce à la signature d’une convention de prêt entre l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille et l’Université d’Aix-Marseille, pour le compte de l’Institut Pythéas qui est un Observatoire des Sciences de l’Univers couvrant les grandes thématiques scientifiques des Sciences de la Terre, de l’Environnement et de l’Univers. Cette convention vise à concrétiser la volonté de valoriser le patrimoine de l’OSU Institut Pythéas, largement hérité de l’Observatoire de Marseille. Il s’agit là de mettre à l’honneur trois «savants» marseillais, directeurs de l’Observatoire de Marseille, Guillaume de Saint-Jacques de Silvabelle, Jacques Joseph Thulis et Édouard Jean-Marie Stéphan qui ont été, tous les trois, membres de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille, en exposant leur portrait au sein du bâtiment de cette Académie.

Guillaume de Saint-Jacques de Silvabelle (1722-1801)

Portrait de Guillaume de Saint-Jacques de Silvabelle. Pastel anonyme du XVIIIe siècle. (Photo Marc Heller)
Portrait de Guillaume de Saint-Jacques de Silvabelle. Pastel anonyme du XVIIIe siècle. (Photo Marc Heller)

En 1702, le Père Laval, jésuite, crée un observatoire au collège de Sainte Croix, à la montée des Accoules. C’est le véritable début de l’astronomie marseillaise dont on a célébré le tricentenaire en 2002. Le bâtiment existe toujours et abrite aujourd’hui une école primaire. Guillaume de Saint-Jacques de Silvabelle prend la direction de l’observatoire, par brevet du roi du 18 juin 1764, dans un contexte assez particulier. En effet, l’ordre des Jésuites a été supprimé en 1763 et le Roi a pris possession de la maison de Sainte-Croix qui devient dès lors Observatoire Royal de la Marine.

Silvabelle est le premier astronome ayant siégé à l’Académie de Marseille où il a été élu le 20 mars 1765 au fauteuil n°15. La ville lui a rendu doublement hommage en donnant son nom à deux rues parallèles du 6e arrondissement de Marseille, la rue Saint-Jacques et la rue Sylvabelle. Lorsque Silvabelle arrive à l’observatoire des Accoules il ne trouve presque aucun mobilier ni instrument car le dernier directeur jésuite, le père Pézenas, s’est retiré à Avignon en emportant avec lui ses registres et tous les instruments qui n’étaient pas marqués des armes du roi. De plus son prédécesseur, le Père Laval, avait déjà emporté la plupart des instruments à Toulon où il avait été nommé professeur royal d’hydrographie en 1718.

C’est sous la direction de Silvabelle que l’observatoire s’est enrichi de la plupart des instruments qui ont permis d’y faire des observations , jusqu’au déménagement sur le plateau Longchamp en 1864 ; plusieurs de ces instruments sont d’ailleurs encore conservés dans les sous-sols de l’observatoire de Longchamp. Notons enfin que Silvabelle a été membre correspondant de l’Institut de France dès sa création, en 1795 (l’Institut de France réunit les cinq académies : Académie des sciences morales et politiques, Académie des sciences, Académie des beaux-arts, Académie française et Académie des inscriptions et belles-lettres).

En 1780, le local dans lequel l’Académie de Marseille tenait ses séances, dans l’Arsenal des galères, est démoli. Le Roi ordonne, l’année suivante, que cette Société savante prenne la direction de l’observatoire et 1’usage des bâtiments ainsi que des instruments qui y sont attachés. Silvabelle est maintenu dans sa fonction de direction et, en cas de vacance, il est prévu que la nomination du nouveau directeur soit faite par le ministre de la Marine, sur la présentation de trois candidats par l’Académie. Silvabelle ayant une santé fragile, il avait demandé à avoir un adjoint. Le premier fut Joseph-Pons Bernard, professeur de physique au collège de l’Oratoire. Il entre en fonction en 1778 mais cela n’est officialisé que trois ans plus tard, par un brevet signé du roi le 1er juillet 1781, le nommant « en adjonction » au Sieur Saint-Jacques de Silvabelle.

L’Académie de Marseille est alors mise officiellement en possession des bâtiments de l’observatoire, le 7 novembre 1781, elle y tient régulièrement ses séances jusqu’en 1793, dans le fameux Préau des Accoules. Elle y crée un cabinet de physique et de chimie, une bibliothèque, un cabinet d’histoire naturelle, et des registres y sont ouverts pour consigner les faits qui pourraient intéresser les sciences en général et l’astronomie en particulier. Mais, à la suite de la révolution, l’Académie est supprimée en 1793. Elle renaît en 1799 sous le nom de Lycée des Sciences et des Arts, puis en 1802 comme Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts. C’est cette renaissance qui explique la présence du phœnix sur son emblème.

Jacques-Joseph Thulis (1768-1810)

Portrait anonyme de Jacques-Joseph Thulis, vers 1800. Mine de plomb rehaussé de blanc, sur papier. (Photo Marc Heller)
Portrait anonyme de Jacques-Joseph Thulis, vers 1800. Mine de plomb rehaussé de blanc, sur papier. (Photo Marc Heller)

Au décès de Silvabelle, en 1801, Jacques-Joseph Thulis (qui était son adjoint depuis 1789, à la suite de Joseph-Pons Bernard) prend la direction de l’Observatoire. Cela fait presque 20 ans qu’il a été élu à l’Académie de Marseille, le 20 novembre 1782, au fauteuil n° 26. Thulis a donc vécu la période troublée de disparition de l’Académie, il était même directeur de l’Académie de Marseille lors du décret de la Convention, du 8 Août 1793, qui supprimait toutes les sociétés littéraires ou scientifiques patentées et, à ce titre, il en présida la dernière séance le 21 août 1793. Il fut ensuite l’un des fondateurs et le premier président de la société qui, en 1799, sous le nom de Lycée des Sciences et des Arts, a servi de trait d’union entre l’ancienne et la nouvelle Académie. Thulis a également été membre correspondant de l’Institut de France, à la suite de Silvabelle.

Thulis est le premier qui tient des registres réguliers où sont consignés les détails des observations faites à l’observatoire. Outre ses travaux d’astronomie, on y trouve une suite d’observations météorologiques poursuivies sans interruption pendant vingt ans. Sous la direction de Thulis, on découvre à Marseille plus de comètes que dans aucun autre observatoire. L’auteur de ces nombreuses découvertes est Jean-Louis Pons, personnage singulier qui mérite une mention spéciale. Entré à l’Observatoire de Marseille en 1789, comme simple concierge, il se montre curieux de l’activité des astronomes et est initié à l’astronomie par Silvabelle puis par Thulis. Il trouve sa première comète en 1801, avec une lunette entièrement fabriquée par lui, y compris les verres. Première comète d’une longue série puisqu’il en a trouvé 37 au cours de sa carrière, dont 23 à Marseille, un record qui n’a jamais été battu par aucun astronome et ne le sera sans doute jamais. Cela lui a valu d’être nommé directeur adjoint de l’Observatoire Impérial de Marseille en 1813, puis directeur d’observatoires en Italie, à Lucques (1819) puis Florence (1825).

Édouard Stéphan (1837-1923)

Portrait d’Édouard Stéphan, début du XXe siècle. (Photo Fernand Detaille)
Portrait d’Édouard Stéphan, début du XXe siècle. (Photo Fernand Detaille)

En 1862, l’Observatoire de Paris se trouve en possession d’un télescope de 80 centimètres de diamètre fabriqué par Léon Foucault. C’est à l’époque le plus grand au monde avec un miroir en verre argenté (il y en a de plus grands mais avec des miroirs en bronze poli qui n’offrent pas une aussi bonne qualité d’image). Le directeur de l’Observatoire de Paris, Urbain Le Verrier, qui a découvert la planète Neptune par le calcul en 1846, veut installer ce remarquable instrument dans le midi de la France, où le ciel permettra de l’utiliser d’une manière plus fréquente et plus efficace qu’à Paris, afin notamment de découvrir de nouvelles planètes. Après avoir hésité entre Montpellier et Marseille, Le Verrier opte finalement pour notre ville et choisit le plateau Longchamp, après avoir envisagé le parc Borély (considéré finalement comme trop près de la mer). Un traité approuvé par le ministre est signé en 1863, pour régler les obligations mutuelles de l’État et de la Ville afin d’assurer le bon fonctionnement et la durée de la nouvelle station astronomique.

Les instruments de l’observatoire des Accoules sont alors transférés à Longchamp et le bâtiment est rétrocédé à la ville par l’État. On confie à l’éminent architecte Henri-Jacques Espérandieu la construction des bâtiments du nouvel observatoire qui est inauguré à la fin de 1864. Mais le caractère de succursale de l’Observatoire de Paris n’est pas sans inconvénients et un décret de 1873 rétablit l’autonomie de l’ancien Observatoire de Marseille.

Pendant la période de transition, entre Les Accoules et Longchamp, de 1861 à 1865, il n’y a plus d’observations à Marseille et il y a deux directeurs successifs qui sont des astronomes détachés de l’Observatoire de Paris, Charles Simon puis Auguste Voigt, qui viennent en fait s’assurer du bon déroulement des travaux. Le premier qui va vraiment diriger et faire fonctionner le nouvel observatoire de Longchamp est Édouard Stéphan. Élève de l’École Normale Supérieure, il est remarqué par Le Verrier qui le prend comme astronome adjoint à l’Observatoire de Paris en 1862. Stéphan est délégué à la direction de la succursale de Marseille en 1866 avant de devenir directeur de l’Observatoire de Marseille lorsque celui-ci redevient autonome, en 1873.

Stéphan est élu à l’Académie de Marseille le 20 juin 1878, au fauteuil n° 15 où il succède à Le Verrier, décédé en 1877 (N.B. Le Verrier avait été élu en 1865 à l’Académie de Marseille alors qu’il était déjà membre de l’Académie des Sciences depuis 1846). Stéphan, tout comme Silvabelle et Thulis, a également été membre correspondant de l’Institut de France. La ville lui a rendu hommage en donnant son nom à la rue Édouard Stéphan, dans le 4e arrondissement de Marseille.

Grâce au télescope de 80 cm construit par Léon Foucault, Stéphan découvre près de 800 nébuleuses (l’éclairage public ne constituait pas encore une source de pollution lumineuse rédhibitoire). La plupart d’entre elles se sont avéré être des galaxies, dont le fameux groupe de cinq galaxies baptisé «quintet de Stéphan» qui fut une des premières cibles du télescope spatial JWST en 2022.

En 1873 Stéphan est le premier à appliquer les méthodes interférentielles proposées par Fizeau pour mesurer le diamètre des étoiles ; malheureusement, l’ouverture du miroir est insuffisante pour déduire des observations autre chose qu’une limite supérieure du diamètre (qu’il évalue à 0,16 secondes d’arc, angle sous lequel on voit une pièce de 2 € à 60 km) ce qui est déjà un résultat remarquable. Il faudra attendre presque 50 ans pour que la mesure effective soit faite par Michelson avec un télescope de 2,50 m au Mont Wilson, en Californie (0,047 secondes d’arc pour l’étoile Bételgeuse qui est une supergéante rouge dont le diamètre est presque 1 000 fois celui du Soleil, elle engloberait Mercure, Vénus, la Terre et Mars si elle était à la place du Soleil).

Sous la direction de Stéphan, la recherche systématique des petites planètes et des comètes est couronnée par de nombreuses découvertes effectuées notamment par Alphonse Borrelly et Jérôme Coggia. Stéphan lui-même découvre la petite planète Julia en 1866, peu après son arrivée à Marseille.

Il contribue au rattachement du réseau géodésique algérien à celui de la France par la détermination des différences de longitude entre Alger, Marseille, Lyon et Paris.
Il organise des expéditions pour observer des éclipses totales de Soleil : en 1868 au Siam (actuelle Thaïlande) puis en Algérie, en 1900 et 1905.

Stéphan met aussi en place un système de distribution de l’heure à Marseille qui fonctionnera pendant plus de 30 ans à partir de 1892. Une horloge-mère, installée à l’observatoire de Longchamp, est mise à l’heure par l’observation des étoiles, elle est reliée par fils électriques à une horloge-fille située dans les locaux de la faculté des sciences qui se trouvent alors en haut de la Canebière, à l’angle avec les Allées Gambetta. Cela permet aux horlogers et aux marins de mettre à l’heure leurs chronomètres, ce qui est indispensable pour faire le point en mer, en gardant avec eux l’heure du port d’attache.

D’autres horloges-filles ont suivi celle de la faculté des sciences, elles ont été installées plus près du port : dans l’Hôtel de la direction des ports à la place de la Joliette en 1903, au Palais de la Bourse en 1911. L’arrivée de la TSF en 1911 vient mettre fin à ce système, avec l’émission des tops horaires de l’Observatoire de Paris, transmis depuis la Tour Eiffel par radio et que les bateaux pouvaient capter au large. Le service de distribution de l’heure à Marseille se poursuit néanmoins, avec la mise en place de deux nouvelles horloges-filles le long de la ligne des ports, à la direction de l’outillage des ports en 1914 et enfin à l’Hôtel des Docks et Entrepôts en 1922.

Les trois premières horloges du système de distribution de l’heure mis en place par Stéphan sont exposées au Musée d’Histoire de la Ville de Marseille depuis le mois de septembre 2022, grâce, là aussi, à une convention passée entre le Musée et l’Université d’Aix-Marseille pour l’OSU Institut Pythéas. Il s’agit de l’horloge garde-temps de l’observatoire qui donnait le temps sidéral (lié aux étoiles), de l’horloge-mère de l’observatoire qui donnait le temps légal et de l’horloge fille de la faculté, toutes trois construites par l’horloger Auguste Fénon.
Michel MARCELIN
Directeur de recherche émérite CNRS au LAM
Membre de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille

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