Publié le 6 juin 2022 à 21h29 - Dernière mise à jour le 6 novembre 2022 à 10h58
Tyrannie, extrémisme et intégrisme sont des moteurs sinistres qui fonctionnent encore aujourd’hui dans notre monde. Ces moteurs sont aussi ceux qui mènent l’action du Don Carlo de Verdi dans sa version italienne proposant une part plus importante à la vision politique alors que le «Don Carlos» initial et français pose l’accent de façon plus affirmée sur l’intrigue amoureuse.
Cinq ans après avoir accueilli une nouvelle production de «Don Carlo» mis en scène par Charles Roubaud, la maison lyrique marseillaise boucle sa présente saison avec cette même production qui triomphe à deux pas du Vieux-Port.
Prendre des risques est le propre d’un programmateur qui doit mettre en place ses distributions deux, voire trois ou quatre ans, avant que les œuvres ne soient données. Pour ce «Don Carlo», Maurice Xiberras, le directeur de l’opéra marseillais, a fait preuve d’audace en proposant à deux jeunes artistes de prendre des rôles qui font partie des plus exposés de l’ouvrage. Ainsi la soprano Chiara Isotton est-elle devenue Elisabetta, pour la première fois de sa carrière alors que le baryton Jérôme Bouteiller faisait de même dans le rôle de Rodrigo di Posa. Au soir de la première, force est de reconnaître que les choix étaient judicieux.
Chiara Isotton incarne son personnage avec une présence affirmée conférant à la reine sa double personnalité de jeune femme amoureuse, délicate et fragile, mais aussi de femme d’État lucide et réaliste. La voix est belle, pleine et assurée, ne manquant ni de délicatesse, ni de projection. Une prestation séduisante. Le Rodrigo de Jérôme Bouteiller est, lui aussi, à un niveau d’excellence. Passion et dynamisme dans le jeu, mais aussi dans la voix, précise et nuancée, confèrent à son personnage une réelle indépendance par rapport au pouvoir en place et mettre en lumière l’amitié qui le lie à Carlo.
Distribution de luxe
A leurs côtés, c’est une distribution de luxe qui est réunie. A commencer par l’Eboli de Varduhi Abrahamyan, femme noble et déchirée dont la voix nous livre les sentiments entre passion et tourments. Marcelo Puente est un Carlo des plus crédibles, physiquement et vocalement. Il donne au personnage toute sa dimension entre l’inconscience fougueuse de la jeunesse et la passion de celui qui cherche à s’émanciper. Le Filippo de Nicolas Courjal est sombre, tiraillé par les interrogations qui restent sans réponses et les décisions parfois prises à contre-cœur. La voix est solide, précise et non dénuée de sensibilité au moment de donner avec bonheur «Ella giammai m’amo !», une dizaine de minutes de chant à tirer les frissons.
Sombre, aussi, même de blanc vêtu, le grand inquisiteur incarné par Simon Lim, aux imprécations puissantes et aux apparitions inquiétantes, illustration du pouvoir malsain de l’intégrisme. Dans le rôle travesti du page Tebaldo, Caroline Géa, affirme sa présence espiègle avec une belle assurance scénique et vocale. Cécile Lo Bianco, Jacques Greg Belobo, Christophe Berry et Samy Camps complètent idéalement la distribution de même que le quintette des députés flamands composé de Lionel Delbruyère, Jean-Marie Delpas, Florent Leroux-Roche, Jonathan Pilate et Dmytro Voronov et le chœur préparé par Emmanuel Trenque.
Scène et fosse à l’unisson
Remettant sur le métier son ouvrage d’il y a cinq ans, Charles Roubaud signe une mise en scène efficace et donne ainsi aux solistes l’occasion de laisser s’exprimer pleinement leur talent. Les décors minéraux d’Emmanuelle Favre accueillent les projections d’images et vidéos, toujours judicieusement composées, de Virgile Koering, les costumes de Katia Duflot ne manquent ni de classe, ni de potentiel historique, le tout délivrant des ambiances propres à favoriser ce côté obscur et extrémiste qu’est l’inquisition. Dans la fosse, les pupitres de l’orchestre maison n’ont aucun mal à faire briller la musique de Verdi sous la direction, précise, dynamique et nuancées du maestro Arrivabeni qui, pour notre bonheur et celui des mélomanes retrouvera Marseille et Verdi dans quelques mois pour ouvrir la saison 2022/23 avec «Macbeth» et, au printemps 2023 pour diriger «Nabucco». Pour l’heure, si vous avez un regret de dernière minute, hâtez-vous ; il reste encore des places pour les deux dernières représentations de ce Don Carlo qui, hélas, trouve une résonance particulière dans notre monde actuel.
Michel EGEA
« Don Carlo » de Verdi à l’Opéra de Marseille : autres représentations les 8 et 11 juin à 20 heures. Plus d’info et réservations: opera.marseille.fr