Publié le 1 novembre 2016 à 20h21 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h41
C’est un week-end «royal» qui était proposé à l’Opéra de Marseille, avec les représentations en versions concertantes des œuvres de Donizetti «Anna Bolena» et «Maria Stuarda», deux des trois consacrées par le musicien aux reines d’Angleterre. Un peu comme un mano a mano, à quelques heures d’intervalle, entre deux distributions confrontées aux airs virtuoses composés par Donizetti sur un canevas quasi identique en deux actes et qui voit s’opposer deux femmes. Mais les affrontements diffèrent; entre Anne Boleyn et Jeanne Seymour, victimes de la manipulation d’Henri VIII, ce sont désespoir et déchirements qui président aux échanges ; entre Marie Stuart et Elisabeth, place à la haine et au mépris pour animer les joutes vocales. Quatre femmes, quatre caractères, quatre voix. Samedi soir, Anna Bolena, c’est Zuzana Markova. La soprano est fatiguée et le fait savoir ; le pharynx est touché. Malgré ce, la jeune femme accepte de chanter afin d’éviter l’annulation de la représentation ; pour elle le public a les yeux de Chimène et l’oreille bienveillante.
Même un tantinet diminuée la charmante Zuzana touche son auditoire, surmontant les difficultés liées à l’état de sa gorge, pour offrir un chant un peu moins assuré qu’à l’habitude, un peu moins limpide et puissant mais encore efficace et élégant. A ses côtés, Sonia Ganassi incarne Giovanna Seymour. On connaît la technique et la puissance de cette mezzo qui va en jouer sans retenue pour imposer un chant direct et franc, parfois limite en haut de la tessiture. Notre coup de cœur pour cette représentation ira à la jeune mezzo Marion Lebègue, interprète de Smeton. Assurance, puissance, ligne de chant idéale : il ne lui a rien manqué en ce samedi soir. Alors, certes, la partie est moins ardue que pour les deux autres dames, mais Marion Lebègue a tout d’une grande !
Chez les hommes, Mirco Palazzi, poids plume, impose sa voix de basse sans sourciller; une projection idéale, une voix directe et puissante, une diction parfaite : du grand art complété par sa capacité à donner du sentiment à son interprétation. Donner du sentiment au chant, c’est un peu ce qui manquera à Giuseppe Gipali qui prête sa voix à Percy. Gipali est un habitué de la scène marseillaise et on connaît sa voix, précise et franche et son timbre si particulier dans les aigus. Rien à redire sur la justesse du ténor, si ce n’est qu’il manque, pour nous, d’émotion jusqu’aux scènes finales. Antoine Garcin (Rochefort) et Carl Ghazarossian (Hervey) complétant idéalement la distribution.
Après un entracte d’une nuit (rallongée d’une heure) et d’une demi-journée, retour à l’Opéra pour l’unique représentation de «Maria Stuarda» donnée en matinée. On attendait Annick Massis dans le rôle-titre, c’est Silvia Tro Santafé qui a triomphé dans son interprétation d’Elisabeth. Quelle fougue, quel investissement, quelle voix chez cette mezzo espagnole qui était invitée pour la première fois à Marseille. Un petit bout de femme qui s’est attiré «bravi» et «brava», mettant sens dessus dessous une salle qui n’en revenait pas. Les poings fermés pour chanter sans faillir, sa haine de la Stuart:
exceptionnel ! Il faut dire qu’à ses côtés, Enra Scala (Roberto) a lui aussi fait monter la pression. Un ténor comme on les aime à Marseille, avec de la puissance, de la charpente et un potentiel émotionnel énorme.
Alors, même si son chant est moins «léché» que chez d’autres, il a lui aussi, et à juste titre, secoué le public. Apprécié, aussi, Mirco Palazzi qui avait accepté au dernier moment de reprendre le rôle de Talbot laissé vacant par Marco Vinco. Il affirmait définitivement ses qualités vocales, basse élégante et puissante. Florian Sempey (Cecil) s’est lui aussi distingué pour sa première marseillaise. Une somptueuse voix de baryton, très à l’aise et à la ligne de chant superbe. Aurélie Ligerot fut une bonne Anna Kennedy. Quant à Annick Massis, elle a eu du mal à s’approprier le rôle-titre pour la première fois de sa carrière.
Elle ne manque ni de finesse, ni de couleurs, mais l’exercice, devant un orchestre de Marseille très présent, était périlleux pour elle qui, visiblement, n’était pas satisfaite de sa prestation aux saluts, murmurant «pardon» à une salle qui ne lui tenait rigueur de rien… Directeur musical de ces représentations, Roberto Rizzi Brignoli a confirmé, en était-il besoin, qu’il est l’un des spécialistes du moment de Donizetti. A la tête d’un orchestre de Marseille à la géométrie variable pour ces deux œuvres, il a proposé une lecture dynamique et colorée des deux partitions, arrivant à estomper les quelques faiblesses de composition que l’on peut y trouver. Il a pu compter, pour y parvenir, sur les qualités d’instrumentistes faisant preuve de rigueur, mais aussi de souplesse, à tous les pupitres. Enfin, mais c’est devenu une (bonne) habitude, impossible de passer sous silence les prestations lumineuses, précises et chatoyantes du chœur préparé par Emmanuel Trenque. Pour terminer, saluons la bonne idée de Maurice Xiberras, le directeur de la maison, d’avoir proposé ce week-end « royal » signé Donizetti…
Michel EGEA
Pratique. Dernière représentation de «Anna Bolena», mercredi 2 novembre à 20 heures à l’Opéra de Marseille. Réservations : 04 91 55 11 10 – 04 91 55 20 43 opera.marseille.fr