Publié le 9 octobre 2019 à 22h18 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 12h32
C’est une remarquable séance qui a ouvert la saison 2019 -2020 de la vénérable Société de Musique de Chambre de Marseille, ce mardi soir à l’auditorium de la faculté de médecine de la Timone. Misant sur une jeune formation, le quatuor Daphnis, les organisateurs ont en effet proposé aux adhérents un moment en tous points exemplaire, tant au niveau du programme que des qualités des interprètes. Ceux-ci, qui se perfectionnent encore en master au Conservatoire National Supérieur de Paris auprès de Jean Sulem, ont montré de bout en bout une magnifique cohésion (malgré le remplacement au pied levé du second violon), un incroyable sens dynamique des contrastes conjugué avec un travail raffiné sur les couleurs sonores, ainsi qu’une acuité rythmique qui n’entravait en rien de très beaux élans lyriques. La soirée s’ouvrait sur le rare Quatuor n° 5 de Mieczyslaw Weinberg. Il est heureux que l’on écoute de plus en plus en concert ce compositeur russe né à Varsovie et disparu en 1996, car ses partitions laissent une impression profonde et durable. Tout comme Chostakovitch, auquel on l’a souvent comparé, Weinberg alterne passages faussement allègres ou carrément inquiets. Mais ici la tension est différente et peut-être encore plus présente, elle s’installe sans faillir, initiée par des phrases désolées semblant aboutir sur des plages plus rassurantes, lesquelles dérivent pourtant rapidement vers des harmonies progressivement déchirantes avant de revenir à d’illusoires ambiances de repos. Le quatuor Daphnis en a soutenu l’intérêt avec une conviction totale, passant avec aisance de séquences virtuoses à une dilution contrôlée du discours. Dans un prolongement paradoxal, la même urgence dramatique habitait le bien plus célèbre «Quartettsatz» de Schubert, que les interprètes traduisaient dans une concentration énergique traversée par le chant déployé du premier violon. Entièrement consacrée au quatuor de Debussy, la seconde partie confirmait le talent indéniable des instrumentistes, qui ajustaient d’emblée leur couleur collective à celle requise par la musique française. À nouveau, ce sont les mêmes vertus de cohérence esthétique (indispensable dans cette œuvre cyclique), de fraîcheur d’approche et d’investissement sincère qui ont captivé l’auditoire. Il faut vraiment saluer le talent de ces interprètes, à savoir Eva Zavaro, rayonnante leader, et Misako Akama, violons, Violaine Despeyroux, alto et Alexis Derouin, violoncelle. Conclu par un touchant Andante cantabile du 1er quatuor de Tchaïkovsky donné en bis, voici un concert dont on est ressorti avec gratitude pour cette génération de musiciens. On leur souhaite de conserver ce même bonheur de jouer, propre à attirer un public de leur âge qui n’est pas encore assez concerné. Déjà, par leur implication et leur naturel, tranchant avec la tentation de routine émanant parfois d’interprètes pourtant réputés, ils ont contribué à redonner de l’optimisme quant à l’avenir de la transmission du grand répertoire !
Philippe GUEIT