Publié le 4 novembre 2017 à 23h16 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Sous la plume incisive d’Olivier Guez se dessine la cavale du criminel de guerre, le docteur Josef Mengele, bourreau d’Auschwitz, médecin SS depuis 1938 qui, sous divers pseudonymes, a réussi pendant 30 ans, jusqu’à sa mort mystérieuse sur une plage au Brésil en 1979, à passer entre les mailles du filet.
Pourquoi ? Comment ? C’est le sujet de ce livre écrit par un auteur qui tient sa distance avec son personnage. La narration est froide et le poison qu’elle diffuse, glacial. On plonge dans les ténèbres des 40 années de l’avant et de l’après-guerre mondial. Un livre singulier qui, par rapport aux nombreux ouvrages déjà parus sur les nazis en fuite, planqués en Amérique du Sud, se concentre sur un personnage, ce prédateur qu’était Josef Mengele qui ne songeait qu’à sauver sa peau.
Direction l’Argentine de Perón
Après trois semaines de traversée le North King arrive un matin pluvieux de 1949 à Buenos Aires. A son bord, des Allemands qui entonnent un chant militaire, des Italiens qui se signent tandis que des juif prient, que des couples s’embrassent, ancien médecin tortionnaire à Auschwitz, caché derrière divers pseudonymes, Josef Mengele, devenu Helmut Gregor depuis sa planque en Italie a fini par arriver en Argentine. Le monde entier veut oublier les crimes nazis et l’argentine des Perón en pleine effervescence, est une sorte de petit paradis pour les pires bourreaux. « A la fin des années 1940, Buenos Aires est devenue la capitale des rebuts de l’ordre noir déchu ». C’est une aubaine pour Gregor, l’ange de la mort, le docteur Josef Mengele qui de mai 1943 à janvier 1945 a passé ses journées à Auschwitz à guetter l’arrivée des convois pour alimenter son laboratoire « en matériel humain adéquat« , avec à sa disposition « des enfants cobayes afin de percer les secrets de la gémellité, de produire des surhommes et de rendre les Allemandes plus fécondes pour peupler un jour de paysans soldats les territoires de l’Est » (…)
Un bourreau aux multiples facettes qui peut être aussi fleur bleu dans les bras d’une femme, la sienne lorsqu’elle lui rend visite à Auschwitz : «Malgré l’ampleur de sa tâche, l’arrivé de 440 000 juifs hongrois, ils avaient connu une seconde lune de miel; Les chambres à gaz tournaient à plein régime; Irène et Josef se baignaient dans la Sola. Les SS brûlaient des hommes, des femmes et des enfants vivants dans les fosses; Irène et Josef ramassaient des myrtilles dont elle faisait des confitures», rapporte l’auteur qui compare le comportement de Mengele à celui de Rudolf, le commandant en chef d’Auschwitz qui consacrait la moitié de sa journée à mettre au point différentes techniques d’extermination et l’autre moitié à consacrer du temps et de l’attention à ses jeunes enfants. Un mélange inqualifiable aussi abject que dégoutant.
L’errance du bourreau d’Auschwitz
30 années de cavale où sous la plume d’Olivier Guez on croise quelques piliers de la nazi society de Buenos Aires, l’adjudant-chef d’Himmler, le fils d’un ancien ministre d’Hitler, l’argent coule à flot et en attendant que les rêves d’empire de Perón se concrétisent, tout ce petit monde mène grand train, bottines luisantes et cheveux laqués. Toute une communauté qui noie dans sa nouvelle vie bourgeoise sa nostalgie de la grandeur du Reich. Tous partagent une idée fixe : reconquérir leur patrie adorée « leur patrie qui n’a pas changé d’un coup de baguette magique, et qui finira par les rappeler pour mettre un peu d’ordre« . Ils en sont persuadés, les conspirateurs travaillent à la reconquête du pouvoir, Gregor tient ses distances, « quoi qu’il prétende, son amour de l’Allemagne ou sa fidélité au nazisme; il n’a jamais pensé qu’à lui, il n’a jamais aimé que lui« . Ses affaires prospèrent, il dirige une charpenterie et une fabrique de meubles et pratique des avortements clandestins.
Le piège se resserre
Tout va basculer un jour de 1960 lorsque le Mossad enlève Adolf Eichmann. Mengele s’affole, il prend la fuite, à quarante-neuf ans il doit se réinventer une nouvelle vie. Il sait qu’il n’a aucune chance face aux «tireurs aguerris du Mossad». Il a peur d’être reconnu, «maintenant que le gouvernement Ouest-Allemand a mis sa tête à prix pour vingt mille marks». S’en suit une cavale sans fin jusqu’aux dernières lignes du livre qui, une fois refermé, continue de vous perturber.
Christine LETELLIER
«La disparition de Josef Mengele» d’Olivier Guez chez Grasset est en lice pour le Renaudot