A propos d’agroaĂ©cologie par Madeline Carlin : « Nourrir la terre pour nourrir les Hommes »

Publié le 11 mars 2018 à  11h51 - DerniÚre mise à  jour le 29 novembre 2022 à  12h24

Étymologiquement, le paysan est «celui qui habite la campagne et cultive la terre». Et cultiver, selon le Larousse, signifie dĂ©velopper, entretenir une qualitĂ©, un don, un talent, une relation. En effet, autrefois, le paysan, qui habitait son territoire, entretenait, nourrissait, cultivait la terre. Aujourd’hui, l’agriculture dite « moderne » fournit directement Ă  la plante ce dont elle a besoin pour croitre : azote, potassium et phosphore. Sans considĂ©ration pour son milieu. Ce qui Ă©quivaudrait Ă  fournir par perfusion Ă  un ĂȘtre humain le glucose, les acides aminĂ©s et quelques nutriments nĂ©cessaires Ă  sa survie
 autant dire le priver du plaisir de s’alimenter, mais aussi et surtout de l’intĂ©rĂȘt des apports diversifiĂ©s qu’apporte une alimentation variĂ©e.

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Cette approche de l’agriculture considĂšre le sol comme un substrat, une sorte de support inerte dans lequel il suffit d’introduire les nutriments dont la plante a besoin
approche qui est allĂ©e jusqu’à rĂ©sumer la culture de lĂ©gumes sous serres Ă  de simples bacs remplis de solution «nutritive» [[Hydroponie]] ! D’autant plus rĂ©ducteur et dĂ©solant quand on sait que la partie aĂ©rienne d’une plante, celle que nous sommes en mesure de voir, ne reprĂ©sente que la «partie Ă©mergĂ©e de l’iceberg» : elle dĂ©veloppe en moyenne le mĂȘme volume racinaire, autant de vie aĂ©rienne que souterraine
 Et c’est dans l’intimitĂ© de cet Ă©cosystĂšme sous-terrain que se dĂ©ploie un ballet de nombreux acteurs : transformation, digestion, mĂ©lange, incorporation, dĂ©composition, etc.
On estime aujourd’hui qu’on ne connaĂźt pas encore 10% de la faune du sol [[VidĂ©o «Vie et mort des sols » Lydia et Claude Bourguignon]], alors que celle des ocĂ©ans est explorĂ©e Ă  environ 80%. Il semblerait que les fonds marins aient bien plus intĂ©ressĂ© les curieux que le sol sur lequel nous vivons, et qui nous nourrit. Ce milieu souterrain jusqu’alors mĂ©connu est davantage explorĂ© depuis quelques dĂ©cennies grĂące aux avancĂ©es technologiques dans les domaines de l’imagerie. Il est essentiellement peuplĂ© d’ĂȘtres microscopiques : bactĂ©ries, champignons, mais aussi acariens, collemboles, lombrics et autre
 Certains scientifiques estiment qu’une cuillĂšre de sol vivant contient plus d’un millier
d’organismes vivants.

Sous nos pieds, tout ce petit monde est bien orchestré :
– en surface, collemboles, acariens et myriapodes rĂ©duisent les Ă©lĂ©ments grossiers, dĂ©chets vĂ©gĂ©taux et animaux arrivĂ©s au sol, tels que les feuilles mortes, les dĂ©chets
de fruits, les dĂ©jections, les fragments de carapaces et de coques en tout genre, il s’agit de la faune Ă©pigĂ©e, qui vit au-dessus du sol;
-sous la surface, on trouve des espĂšces des mĂȘmes groupes, spĂ©cialisĂ©s dans la vie en profondeur, qui consomment les rĂ©sidus racinaires en fin de cycle d’une plante, il s’agit de la faune endogĂ©e ;
-et les voyageurs, qui parcourent tous ces horizons du sol, brassant matiĂšres organiques issues de la surface et matiĂšres minĂ©rales issues des profondeurs, de la dĂ©gradation de la roche, il s’agit de la faune anĂ©cique, constituĂ©e des cĂ©lĂšbres vers de terre, qui visitent la surface, viennent y consommer de la matiĂšre organique fragmentĂ©e par les collĂšgues de l’épigĂ©e, et redescendent en profondeur, mĂ©langeant ainsi minĂ©raux et humus, ils crĂ©ent du sol.

Cette population insoupçonnĂ©e de travailleurs souterrains favorise l’aĂ©ration et la circulation de l’eau dans le sol, en amĂ©nageant des galeries, en brassant matiĂšres minĂ©rales et organiques, et favorisant ainsi les conditions de vie des racines qui, sans eux, pourraient vite se retrouver asphyxiĂ©es ou oppressĂ©es. Au-delĂ  de ces fonctions « d’amĂ©nagement », ils opĂšrent grĂące Ă  leurs diffĂ©rents rĂ©gimes alimentaires de fabuleux mĂ©canismes de transformation : ils apportent ainsi aux racines de la plante les nutriments dont elle a besoin pour croitre et rĂ©aliser son cycle de vie. Cette
chorégraphie souterraine, telle notre flore intestinale, opÚre un processus de digestion et constitue une forme de mutualité bien organisée!

Aux vues de ces processus complexes, on comprend alors que la plante aussi puisse profiter d’une alimentation variĂ©e : plus ses racines seront aĂ©rĂ©es et alimentĂ©es, dans un milieu riche en diversitĂ©, et plus elle sera robuste face aux alĂ©as qui bousculeront sa croissance. Et s’il s’agit d’une plante destinĂ©e Ă  l’alimentation, on peut supposer aussi qu’elle n’en sera que plus intĂ©ressante en goĂ»t et en apports nutritionnels. Au cours du siĂšcle dernier, l’histoire nous a conduit Ă  la course au productivisme, garant de
l’alimentation d’une population en reconstruction
 Les engrais minĂ©raux et divers produits de synthĂšse semblaient pouvoir rĂ©pondre aux exigences qu’on fixait alors Ă  nos terres cultivĂ©es. Cependant, aprĂšs quelques dĂ©cennies de nĂ©gligence envers la vie du sol, cette agriculture productiviste perd en productivitĂ© ! On sous-estimait le travail fourni par tous ces organismes vivants sous nos pieds, et les apports d’engrais de synthĂšse on rĂ©duit drastiquement leur biodiversitĂ©. Autrefois, l’apport quasi-systĂ©matique de fumier sur les parcelles mimait les phĂ©nomĂšnes naturels qu’on peut observer en foret : les faunes Ă©pigĂ©es, endogĂ©es et anĂ©ciques sont nourries par des apports de matiĂšres organiques. Lorsqu’on rĂ©duit le sol Ă  une sorte de substrat inerte, en apportant sous forme soluble les Ă©lĂ©ments nutritifs nĂ©cessaires Ă  la plante, on oublie de nourrir ces travailleurs et leurs populations s’effondrent.

Aujourd’hui, en France -comme beaucoup de rĂ©gions du monde-, des terres agricoles se sont minĂ©ralisĂ©es et leur taux de matiĂšre organique a dĂ©gringolĂ© : on est passĂ© en quelques dĂ©cennies de 4% de matiĂšre organique Ă  1,3% en moyenne -ce qui sous-entend que certains sols sont bien plus bas encore-. La responsabilitĂ© de ce triste constat n’est pas attribuable Ă  un seul facteur, par exemple l’élan d’une Ă©conomie d’aprĂšs-guerre Ă  reconstruire, mais c’est l’ensemble du modĂšle agricole mondial qui a menĂ© Ă  de telles consĂ©quences. L’essentiel n’est pas dans l’identification de la source mais dans la quĂȘte de solutions : heureusement, la vie est assez volontaire pour que tout sol dĂ©gradĂ©, minĂ©ralisĂ©, ayant perdu ses populations actives, puisse ĂȘtre repeuplĂ©.

L’apport de matiĂšre organique transformĂ©e, ou humus, pour les intimes, permet de «revivifier» un sol minĂ©ralisĂ©. GrĂące Ă  l’apport de compost par exemple, bactĂ©ries et champignons peuvent Ă  nouveau ĂȘtre ensemencĂ©s, tel un levain, pour rendre Ă  nouveau vie au sol, alors l’ensemble de la chaine peut s’inviter Ă  la fĂȘte : tant que de la
matiĂšre organique sera disponible Ă  la consommation, tout ce petit monde se dĂ©veloppera et Ɠuvrera de nouveau pour tendre Ă  un sol mieux structurĂ©. On peut donc saluer ces partenaires, pour leur prĂ©cieuse collaboration, sans aucune attente
en retour si ce n’est que le buffet soit bien achalandĂ© : Ă  nous d’assurer l’apport organique pour qu’ils assurent Ă  leur tour des conditions de vie saines et confortables Ă  nos cultures.

Destimed ouvre un nouveau champ avec une chronique rĂ©guliĂšre sur l’agroĂ©cologie portĂ©e par Madeline Carlin, ingĂ©nieur agronome, qui est membre du rĂ©seau des animateurs en agroĂ©cologie (AAE) -formĂ©s par Terre & Humanisme afin de transmettre l’agroĂ©cologie, ses pratiques et son Ă©thique en suivant la voie que Pierre Rabhi a initiĂ© pour la souverainetĂ© alimentaire, le respect de tous et du vivant…-

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