Publié le 14 décembre 2017 à 12h26 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 17h50
Un début qui rappelle «Ça a débuté comme ça», la première phrase du «Voyage au bout de la nuit » de Céline. Même volonté d’ailleurs chez Wajdi Mouawad de tordre le cou au «métal foudroyant de la réalité», avec le regard lucide et craintif d’un enfant répétant devenu homme «mes yeux sont des violons qui crachent des soleils.» Un commencement très camusien aussi, où la mort de la mère -celle de «L’étranger»-, rejoint l’agonie de l’héroïne d’«Un obus dans le cœur» évoquée sur fond de souvenirs de guerre civile par ce fils étranglé de chagrin. Mais d’ailleurs «on ne sait jamais comment une histoire commence», explique Wahab, le narrateur de ce récit devenu pièce de théâtre. Texte poignant sur l’agonie d’une mère qui finira emportée par le cancer l’écriture de ce monologue secoue, émeut, et renverse les codes habituels de la tragédie intimiste. Cri d’angoisse contre la fatalité, cri de culpabilité, cri de douleur de perdre sa mère et plus dur encore de s’en libérer. «Un obus dans le cœur» possède dans son humanisme une générosité narrative rare. Il fait constamment froid dans l’existence de Wahab, dix-neuf ans au moment où il se rend à l’hôpital dans lequel se meurt celle qui l’a mis au monde. La neige tombant sur les rues de cette ville du Canada, le trajet en bus devenant polaire qui le conduit des glacis de sa souffrance au feu par lequel se consume sa mémoire dévastée de larmes. Nous l’écouterons nous dire : «Il n’y a qu’une peur d’enfant pour terrasser une autre peur d’enfant» lui qui est à la fois «le frère de l’agonie», un Perceval mais sans mains, ne tenant rien d’autre que sa soif de vivre. Langue célinienne disons-nous, qui charrie des tonnes d’onirisme sombre et de compassion pour ceux qui souffrent pour un moment de littérature structuré en retours en arrière, de rappels de souvenirs d’enfance, d’adolescence, -«le jour où ma mère s’est mise à avoir un visage autre, j’avais 14 ans»-, et de mises en abimes. Seul en scène Guillaume Séverac Schmitz incarne Wahab mais tous les autres personnages au chevet de la mère, passent de l’expression de l’un au visage de l’autre avec une rapidité confondante. Seul en scène donc, sans autre décor qu’un écran tendu de noir sur lequel on verra en vidéo l’auteur peindre lui-même, -avec en voix off l’acteur Pierre-François Garel, accueilli déjà au Gymnase de Marseille et qui rompu à l’exercice d’enregistrements de livres audio, incarna Johnny Hallyday dans «La dernière idole» pièce donnée en 2016 dans le cadre du Off d’Avignon-, et un tabouret transporté au gré de l’action. Sobriété, intensité, jeu puissant, éloge de la peinture et de l’art, en digne compagnon de route de Wajdi Mouawad, l’acteur Guillaume Séverac-Schmitz marque les esprits de tous les spectateurs de l’écrin du Théâtre des Bernardines où «Un obus dans le cœur » est donné jusqu’au samedi 16 décembre.
Artiste accompagné par les Théâtres sur Richard II
Rappelons d’ailleurs que l’artiste n’est pas un inconnu des Marseillais amoureux du Théâtre. Du jeudi 4 au samedi 6 février 2016 Guillaume Séverac-Schmitz a donné au Gymnase sa conception personnelle du Richard II de Shakespeare avec Thibaud Perrenoud dans le rôle titre. Spectacle puissant où il changea l’identité de l’assassin choisi par Shakespeare devenu par ses soins le duc d’Aumerle. Un personnage de duc retravaillé donc joué par Baptiste Dezerces, comédien exceptionnel qui vient de s’illustrer dans «L’adieu à la scène» donné dans le Off d’Avignon cet été 2017 en jouant La Fontaine essayant de convaincre Racine (Baptiste Caillaud, formidable lui aussi) de ne pas abandonner le théâtre. Baptiste Dezerces dirigé avec précision et fougue dans « Richard II » où Guillaume Sévérac-Schmitz le mit en lumière lors d’un monologue final habité et lyrique, que l’on vient de voir à Marseille dans une adaptation du «Limier» de Shaeffer et que l’on retrouvera en janvier prochain au Jeu de Paume d’Aix dans «Bluebird» aux côtés de Philippe Torreton qui interpréta d’ailleurs lui aussi «Le limier» (c’était au Gymnase face à Jacques Weber). A l’époque Guillaume Séverac-Schmitz en tant qu’artiste accompagné par Les Théâtres dirigés par Dominique Bluzet rappelait qu’être en compagnonnage «c’est tout d’abord participer à une aventure collective passionnante !». Rappelons ce qu’il disait de cette expérience : «Avec les Théâtres le compagnonnage prend des allures toutes particulières du fait qu’ils rassemblent plusieurs lieux de diffusion et que nous sommes huit jeunes metteurs en scène à y participer.» Et d’ajouter parlant de ce projet social et urbain : «En mettant en place ce compagnonnage, la direction des Théâtres montre la confiance qu’elle a dans la jeunesse, dans sa capacité à rassembler, à créer, à risquer, à inventer un théâtre multiforme, qui s’adresse à tous, sans distinction de classe et d’origine. Un théâtre populaire et citoyen auquel je suis fier de participer», avait-il conclu.
Jeu d’ombres et de lumières
Deux ans après renvoyons-lui le compliment : «Un obus dans le cœur» créé en 2014 et joué cet hiver aux Bernardines est du grand théâtre populaire et vivifiant pour l’esprit qu’applaudirait des deux mains Jean Vilar en personne, l’inventeur des ATP. Autant pour le fond que pour la forme parfaite de cette pièce interprétée d’une diction parfaite et qui bénéficie d’un jeu de lumières chamarré (travail sur les ombres) dont on sort le cœur bouleversé et l’esprit en fête !
Jean-Rémi BARLAND
«Un obus dans le cœur» de Wajdi Mouawad, mis en scène et interprété par Guillaume Séverac-Schmitz. Aux Bernardines au 17, boulevard Garibaldi – 13001 Marseille –
Tél : 04 91 24 30 40 – jusqu’au 16 décembre à 20h30. Plus d’info et réservation sur lestheatres.net