Publié le 21 mars 2017 à 22h20 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h57
Marseille accueille la deuxième édition du salon AccesSecurity du 29 au 31 mars 2017. Une manifestation qui se veut l’événement 100% business du secteur de la Sécurité et qui regroupe sur un seul lieu : un salon et un colloque avec 3 jours de débats et d’expertise des sujets sensibles, animés par des professionnels. Parmi les invités, Alain Juillet, le président du CDSE (Club des Directeurs de Sécurité & de Sûreté des Entreprises). Il fut en 2002, directeur du Renseignement au sein de la DGSE dont il a eu également la charge d’assurer la réorganisation. Cette mission s’achève en 2003, avant que ne lui soit confiée la mise en place de l’Intelligence économique au sein du SGDN (Secrétariat général de la Défense nationale). Il occupe alors la fonction de Haut Responsable pour l’Intelligence Économique (HRIE) en France auprès du premier Ministre jusqu’en 2009. Alain Juillet répond aux questions de Destimed.
Destimed: La sécurité est peu présente dans la campagne de la Présidentielle. Comment l’analysez-vous?
Alain Juillet: Je suis très surpris que cette thématique soit absente jusqu’à présent alors que les Français sont sensibilisés aux problèmes de sécurité. J’ai l’impression que les politiques oublient la réalité de la sécurité tant internationale que nationale. J’espère qu’il ne s’agit que d’une impression et qu’ils vont enfin s’y mettre et formuler des propositions.
Comment éclairer les Français sur les enjeux que représentent la sécurité?
Il faut rester le plus objectif possible alors que par idéologie on rejette ou bien on excuse tout. Or, les faits qui se produisent nécessitent que nous réagissions en mesurant bien que la question de la sécurité se décompose en deux parties, une qui relève de la réalité et l’autre de la psychologie. Le cas de Marseille est très intéressant pour comprendre cela. Il n’est pas rare d’entendre dire que la Ville n’est pas sûre. Pourtant, lorsque l’on regarde la réalité on mesure à quel point cette ville a considérablement progressé. On déplore aujourd’hui moins d’incidents dans cette ville que dans d’autres communes de France, de la région parisienne, entre autres. C’est le rôle des pouvoirs publics et des médias de montrer que les choses ne sont pas telles que l’on croit qu’elles sont.
En ce domaine, avec les nouvelles technologies et autres nouveaux usages, la rumeur ne circule-t-elle pas plus vite que l’information? Quelles solutions ?
C’est vrai qu’avec Internet nous sommes confrontés au problème du buzz. Il y a toujours eu des rumeurs mais elles se propageaient lentement et ne touchaient qu’un cercle restreint. Aujourd’hui, grâce aux nouveaux moyens de communication, une information peut faire le tour de France en quelques heures. Si l’information est juste, pourquoi pas mais, si l’information est fausse ou biaisée cela pollue la vision des choses qu’ont les Français. Pour être hors contexte politique, une vidéo fait actuellement le buzz en montrant un sanglier qui pèserait 450 kg. Il s’agit juste d’une question d’angle de prise de vue car, le jour où on trouvera un animal d’un tel poids je veux bien que l’on me garde une cuisse. Les gens n’ont pas ce réflexe du doute, ils ne se méfient pas. Une étude vient ainsi de montrer que, quand ils reçoivent une information d’un ami sept Français sur dix pensent qu’elle est vraie. Des politiques ont compris le parti qu’ils pourraient en tirer, des lobbyistes aussi. Il faut que les citoyens changent, qu’ils mettent en œuvre un doute constructif. Lorsqu’on leur dit quelque chose, qu’il se demande si ce que l’on vient de leur dire n’est pas faux plutôt que de le prendre, a priori, comme une vérité.
Daech est passé maître dans le domaine de la communication et l’utilisation des nouvelles technologies. Comment le combattre?
C’est vrai que Daech a parfaitement étudié les médias et sait utiliser les images à son profit pour faire passer ses messages de haine et de mort. Il reconstitue des scènes vues dans des jeux vidéo, des films. Et, face à cela il dépend de tous les citoyens de défendre les valeurs de la République; de liberté, égalité et fraternité. Et il n’y a pas d’excuses pour les ennemis de ces valeurs sinon, on ouvre la porte à ceux qui veulent nous détruire. Rien ne justifie que l’on tue, rien ne justifie qu’on le montre sur des vidéos. Alors, face à l’inacceptable, nous avons des systèmes de défense de plus en plus performants à condition de savoir les utiliser dans le respect de nos lois. Si tel n’est pas le cas, nous deviendrions comme les autres. L’État doit donc assurer la sécurité mais aussi informer, former. Les citoyens doivent se placer dans une logique de coproduction de la sécurité.
On pouvait penser qu’avec la fin de la guerre froide l’espionnage passerait de mode. L’histoire récente prouve le contraire. Comment analysez-vous cela?
Il y a un pays qui est en avance, les États-Unis qui utilisent ces technologies de façon problématique. On vient ainsi d’apprendre que la CIA espionne les gens chez eux à travers la télé. La Russie et la Chine ne se fixent pas de limite non plus en termes d’espionnage. Après, il faut savoir raison garder, l’espionnage ne se fait pas à l’encontre de tous mais, et ce n’est en rien une excuse, sur ce qui peut intéresser. Et, en ce domaine, les États-Unis sont très forts. Face à de tels pays, la France seule ne peut pas répondre. L’Europe à 28 ne le fera jamais, en revanche, une Europe historique à 10 ou 12 peut passer des accords pour construire des protections et des armes dissuasives.
Les menaces sont de plus en plus prégnantes, hautement sophistiquées comment professionnaliser encore plus les métiers de la sécurité?
Il faut que les gens apprennent ce qu’il faut faire et ne pas faire et qu’il y ait des qualifications. Il faut que les entreprises prennent des gens formés et que l’État et les entreprises veillent à payer à des tarifs normaux car sans cela il n’y aura pas de travail de qualité.
Propos recueillis par Michel CAIRE