Adieu à Jean-Pierre Bacri l’homme qui avait -le goût des autres-

Publié le 20 janvier 2021 à  10h33 - Dernière mise à  jour le 9 juin 2023 à  22h10

Non mais franchement, c’est quoi cette mauvaise blague ! Bacri qui nous quitte, comme ça à la mi-janvier de manière aussi discrète que le fut sa vie publique.

Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui (Photo archives Destimed/R.P.)
Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui (Photo archives Destimed/R.P.)

Franchement Jean-Pierre, c’est pas cool. Ça fait même carrément chier… pour reprendre une de vos expressions préférées. Et puis quand-même comme le chantait Jean Ferrat «Tu aurais pu vivre encore un peu », on avait pas fini de voir vos films, et lire vos pièces. Je me souviens de vos avant-premières au cinéma Cézanne d’Aix-en-Provence lorsque vous faisiez la promo de vos longs métrages, les vôtres ou ceux dans lesquels vous jouiez. Des instants magiques où vous mettiez la salle de votre côté, et suscitiez tant de sympathie, d’élans de complicité, de puissance évocatrice que vous n’aviez pas besoin d’en faire trop pour convaincre. D’abord c’est cela votre personnalité. La sobriété, et l’instinct du partage. Oui l’instinct, car rien n’était de l’ordre du prémédité, et de la surenchère.

Des personnages qui ressemblaient un peu aux antihéros

Si, pour reprendre le titre d’un film italien célèbre «Nous vous avons tant aimés», cher Jean-Pierre, c’est que inconsciemment ou pas nous pouvions tous nous identifier aux personnages que vous incarniez. Des personnages qui ressemblaient un peu aux antihéros, perdants magnifiques des romans de Jean-Paul Dubois, l’auteur de «Kennedy et moi» dont Sam Karmann a tiré un film poignant dans lequel vous partagiez l’affiche avec Nicole Garcia, Patrick Chesnais ou encore Lucas Bonnifait, le jeune comédien si bouleversant dans « Ma vie à Rouen». Des films vous nous en avez offert des drôles et des très mûrement confectionnés, écrits par vous même, avec Agnès Jaoui votre complice de «Cuisine et dépendances» et «Un air de famille». On pourrait très bien définir ces deux œuvres comme étant une sorte d’illustration du non moins célèbre «Famille je vous hais» mais «famille je vous ai» et il faudra faire avec. On notera cher Jean-Pierre que si nous sommes attachés à un tel point à ces deux pièces de théâtre devenues des films cultes c’est en raison du contenu assez universel de leur propos. Mais surtout parce que vous y décriviez et analysiez toujours des rapports de pouvoir. Même au sein des relations de fratrie ou de père-fils- mère-filles, époux-maris, tout y était tentative d’asseoir son autorité sur l’autre.

Des fabuleux textos

Jean-Pierre Bacri entouré de ses complices Olivier Nakache et Eric Toledano lors de la présentation en avant-première du film
Jean-Pierre Bacri entouré de ses complices Olivier Nakache et Eric Toledano lors de la présentation en avant-première du film

Et puis il y a votre jeu en lui-même. Sous vos vrais airs de faux-bougons (que les Jumeaux Steeven et Christopher aimaient imiter dans un excellent sketch), vous développiez un sens évident de la fête. Du bonheur de jouer surtout, et de faire crouler le public de rire en une seule scène comme celle des textos dans « Le sens de la fête» justement porté par un phénoménal Benjamin Laverhne dans le rôle du marié. Preuve que vous étiez un partenaire de comédie d’exception car au cinéma comme au théâtre on n’est jamais bon tout seul. Être de partage irrésistible dans «Batailles» de Jean-Michel Ribes, vous aviez cher Jean-Pierre «Le goût des autres». Et vous étiez un type bien engagé pour les causes justes. Un type drôle, bourré d’humour british, et déterminé à défendre quiconque était attaqué de manière injuste ou excessive. Rater un film ou une pièce ça ne mérite pas l’opprobre, et une pleine page de dénonciations dans la presse, car c’est pas comme si on avait piqué dans la caisse, aviez-vous en substance expliqué un jour en évoquant un camarade de cinéma descendu par la critique. Vous n’aimiez pas paraître, mais souhaitiez être. vous n’aimiez pas vous écouter et entendre votre voix, vous aviez la sagesse des grands, de ceux qui ont compris que du plus haut que l’on soit assis on ne l’est jamais que sur son derrière. En tout cas c’est moche ce départ, mais une chose est sûre. Là-haut Brasseur, Piccoli, Marcel Maréchal, Claude Rich, et tant d’autres «enfants du paradis» du cinéma et du théâtre doivent vous avoir non pas offert une standing-ovation (vous détestiez ça) mais vous ont invité à venir les rejoindre en toute fraternité. Merci l’artiste…
Jean-Rémi BARLAND

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