Publié le 9 décembre 2018 à 19h07 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 19h24
Depuis quelques jours, Monique et Vincent Buffile accueillent dans leur atelier Sabiha Ayyari, potière de Sejnane en Tunisie, pour un échange original qui se conclura par une exposition-vente des travaux réalisés individuellement et en commun, vente dont les bénéfices iront aider la coopérative des potières de Sejnane. Potières qui sont plus d’une centaine dans ces montagnes. «La tradition potière de Sejnane est liée à la fabrication usuelle d’objets pour le quotidien, nous explique Vincent Buffile. Ces femmes berbères détentrices du feu, fabriquaient depuis longtemps leur batterie de cuisine et les objets pour les fêtes; des objets résistant au feu mais relativement fragiles. Paysannes, elles s’occupent aussi des bêtes et du travail des champs et renouvelaient leurs poteries utilitaires au gré des saisons de la ferme. Ayant désormais accès aux casseroles en métal et autres récipients en plastique plus pratiques, elles se sont tournées vers la réalisation de poteries pour les touristes ou pour des décorateurs. Des travaux qui les détournent, souvent, de leurs poteries traditionnelles.» Pendant quinze jours, Vincent Buffile est parti de l’autre côté de la Méditerranée pour découvrir les techniques ancestrales utilisées par ces femmes. En fait, cette terre est utilisée depuis des millénaires et ce n’est pas par hasard si les Nations Unies ont accepté le dossier de classement de Sejnane et de ses potières au Patrimoine immatériel de l’humanité. «Avec Sabiha, raconte le potier aixois, nous regardons des livres sur la poterie de Sejnane. Je lui montre des pièces anciennes abandonnées au profit de nouvelles modes. Ces anciennes formes elles les connaît par cœur. Elle façonne avec une dextérité déconcertante un vase à deux becs réunis par une anse. Comment ces femmes depuis des générations et sans en avoir vu l’image ou la photo peuvent elles reproduire un vase étrusque de plus de deux mille ans ? Je lui demande alors des formes traditionnelles ; comme des jattes pour le lait, raouba, grands plats à bord incurvé, mâajna, des saucières, majmâa, des jattes, sahfa, et autres ghannaï, grands plats pour cuire les galettes.» Des formes que l’on découvrira dans quelques jours à Aix-en-Provence au long de l’exposition. Pendant son séjour, Vincent Buffile a travaillé sur la décoration des poteries modelées par Sabiha Ayyari, cette dernière décorant depuis son arrivée à Aix, des formes créées par Vincent Buffile. Un échange qui permet à l’une et à l’autre de se frotter à leurs techniques respectives.
Des techniques ancestrales
«Le séjour à Sejnane fut pour moi un retour aux sources, confie l’aixois, car j’ai été confronté à des techniques de fabrication antiques. Après façonnage, les formes séchées, brutes, peuvent être, ou non, badigeonnées d’une terre blanche selon la couleur désirée. Elles sont polies une première fois avec un coquillage et après séchage repolies afin d’obtenir une surface lisse et brillante. Ce qui leur confère une étanchéité relative. Les pièces blanches, décorées en rouge avec une terre liquide chargée en oxyde de fer, sont travaillées avant la première cuisson. Le décor noir sera obtenu avec une deuxième cuisson plus douce. La couleur noire pour les décors est obtenue en écrasant au pilon des feuilles de lentisque. Une fois filtré dans une chaussette, le liquide vert est utilisé. Le décor est posé avec une brindille ou un morceau de bois taillé pour les dessins délicats ou avec le doigt pour les filets sur les rebords des pièces.» Si, en Tunisie, Vincent Buffile s’est retrouvé confronté à l’utilisation, avec plus ou moins de bonheur, du bois taillé pour poser ses décors, à Aix, Sabiha Ayyari a utilisé le pinceau avec dextérité. Autre découverte à Sejnane, la cuisson. «Les femmes préparent un lit de branchages sur lequel elles posent des bouses de vache séchées, un combustible très efficace, raconte Vincent Buffile. Un cadre métallique grillagé permet de poser les objets à cuire. Ils sont recouverts sur les côtés et le dessus par les bouses et le feu est allumé du côté d’où vient le vent. La cuisson est rapide; deux heures au maximum. Les pièces sont petit à petit dégagées de la chaleur en repoussant les bouses consumées toujours dans le sens du vent jusqu’à ce que le feu s’amenuise. Le décor noir au jus de lentisque sera obtenu après deuxième cuisson sur les restes de braise ou dans le four à pain. On obtient un noir magnifique faisant penser à l’encre de chine… » Sabiha Ayyari et Vincent Buffile vous invitent à les rencontrer et à découvrir leurs œuvres, dans quelques jours du côté de la place de l’Archevêché à Aix-en-Provence.
Michel EGEA
Pratique. Exposition-vente à La Cave aux Huiles, Place de l’Archevêché à Aix-en-Provence le 14 décembre de 14heures à 18 heures, samedi et dimanche 15 et 16 décembre de 10 heures à 18 heures.