Aix-en-Provence. Écrivains du Sud: Rachida Brakni présente  son livre «Kaddour »

Magnifique moment aux Journées des Écrivains du Sud lors de laquelle Paule Constant, en présence de Sophie Joissains maire d’Aix recevait à La Manufacture Rachida Brakni venue présenter son livre « Kaddour ».

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Paule Constant et Rachida Brakni (Photo Jean-Rémi Barland)

« Samedi 15 août 2020. Ce n’est pas un jour pour mourir». D’emblée Rachida Brakni lit un premier extrait de son livre « Kaddour » et le public de La Manufacture où se tenait cette rencontre ouvrant le Festival des Écrivains du Sud est bouleversé. « C’est l’histoire du 15 août au 20 août d’un retour d’une fille vers son père qui vient de mourir », précise Paule Constant qui orchestre avec émotion cet échange avec la comédienne qui signe là son premier texte ô combien personnel. « C’est un livre pour mémoire », dit l’âme littéraire de ces Journées aixoises consacrées à la littérature. « Les personnages ont leurs vrais noms », ajoute Paule Constant, passionnant ainsi son auditoire parmi lequel figure  Sophie Joissains, maire d’Aix-en-Provence.

« La mémoire est un muscle »

« C’est la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, à une nuance près », répond Rachida Brakni qui précise que son livre se structure comme une pièce de théâtre en cinq actes. « La mémoire est un muscle qui ne demande qu’à être réactivitée », dit-elle racontant alors l’être magnifique, courageux et secret qui s’en est allé. « Ce livre est l’enterrement d’un homme avec les honneurs dus à son rang. Redonner sa dignité à votre père c’est ici une de vos ambitions» rappelle Paule Constant à Rachida Brakni qui très émue répond qu’effectivement « Kaddour » est un livre-hommage, un cri d’amour, et aussi un portrait en creux de toutes les femmes de son entourage. « Mon père, je le respectais mais je ne le craignais pas », avoue-t-elle alors avant que de lire d’autres passages dont celui page 146 où est écrit: « Il n’existe pas de contrées pour les orphelins de l’émigration, ni pour les rebuts de l’immigration ».  S’installe alors un échange poignant entre Paule Constant et Rachida Brakni sur le parcours personnel de Kaddour, le père de la comédienne, un homme déraciné réduit à sa condition d’ouvrier tiraillé entre deux pays, qui ne voulut jamais prendre la nationalité française pour des raisons aucunement explicitées par celui-ci mais que sa fille tente de deviner en pages chargées de compassion. Un père qui à cause du Covid repartira en Algérie seul dans un cercueil.

« Un écrivain est aussi un acteur »

Prenant racine aussi sur le statut d’interprète de Rachida Brakni qui fit partie de la Comédie-Française, l’échange amical avec Paule Constant rappela qu’ « un écrivain est aussi un acteur et qu’un acteur n’est pas forcément un écrivain. » A n’en pas douter Rachida Brakni est quant à elle une authentique créatrice des lettres à qui Paule Constant dira : « Ce qui est beau dans votre livre c’est la force du langage.» On ne saurait que lui donner raison. Rachida Brakni qui, redisant le choc que fut la découverte pour elle de « La place » d’Annie Ernaux, signe avec « Kaddour » son premier livre, mais certainement pas le dernier, un récit qui brille d’un éclat d’écriture. Ce dont les auditeurs présents à La Manufacture ont pu se rendre compte en écoutant les différents extraits lus par son auteure avec modestie et un esprit de résilience tout à fait remarquable.

Kaddour : « Mon père ce héros »

Retour en arrière… Quand on fait une confidence à un écrivain il n’est pas rare que celui-ci la répercute dans une de ses œuvres. Ainsi Dominique Bluzet, patron des Théâtres aixois et marseillais, a raconté au dramaturge Fabrice Melquiot qu’il s’est fait tatoué une discrète « fée clochette ». Ce dernier a immédiatement intégré cette information dans une de ses pièces à savoir « J’ai pris mon père sur mes épaules », où l’on voit un des personnages la montrer à un de ses camarades. Ce magnifique moment de théâtre fut donné en mai 2019 au Gymnase à Marseille porté par Philippe Torreton, Maurin Ollès, Vincent Garanger, …. et Rachida Brakni sublime dans le rôle d’Anissa. D’une présence qui frappe les esprits, comédienne à la voix d’or et à la curiosité sans limites -elle a chanté dans le groupe « Lady Sir » et enregistré aux côtés d’Isabelle Carré et Elsa Zylberstein deux CD pour enfants consacrés aux animaux dans la poésie française-, elle s’est imposée également dans des mises en scène inventives. Celle de « Face au paradis » de la pièce signée Nathalie Saugeon avec Eric Cantona -son mari dans la vie-, et Lorant Deutsch. Celle de « Victor » un chef d’oeuvre d’Henri Bernstein où brillaient Grégory Gadebois, Catherine Silhol, et toujours son cher Eric Cantona. Deux inoubliables lectures de pièces surprenantes.

Le récit de la compassion

Née en février 1977, Rachida Brakni entreprend des études de théâtre au sortir du lycée – où un professeur lui avait fait découvrir ce monde passionnant. A 21 ans, elle entre au Conser­vatoire National Supérieur d’Art Dramatique. Elle y suit les classes de Jacques Lassale et de Catherine Hiegel. Quelque trois ans plus tard, en juin 2001, elle devient pensionnaire de la Comédie française. Parallèlement, Rachida fait ses débuts au cinéma en tournant dans le film « Couleur café » de Henri Duparc. Après avoir joué pour André Téchiné, elle atteint la consécration pour son rôle dans Chaos de Coline Serreau, qui lui vaut le César du meilleur espoir féminin en 2002. Son activité redouble en 2004 : outre la Comédie française, on la trouve au générique de nombreux films, aux côtés de Claude Rich et de François Cluzet notamment. Et la voilà qui publie « Kaddour » son premier livre consacré à son père et à sa mort survenue le 15 août 2020.  Un texte puissant, bouleversant, en raison de son sujet bien entendu, qui évoque le parcours d’un homme chauffeur routier, puis ouvrier dans une usine. Un Algérien arrivé en France en 1955, qui décida que sa dernière demeure serait creusée à Tipiza, et que Rachida Brakni comme la chanteuse Barbara d’ailleurs -elle le raconte dans « Il pleut sur Nantes »-, ne put rejoindre avant son dernier soupir. En raison aussi de cet hommage qu’elle fait tout au long du livre à ces hommes qui comme Kaddour furent déracinés, réduits à leur condition d’ouvriers, et tiraillés entre deux pays. « Ce n’est pas pour devenir écrivain qu’on écrit. C’est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour », disait Christian Bobin dans « La part manquante». Cette réflexion que Rachida Brakni a placé en exergue de « Kaddour », livre sombre et poétique résume la teneur du travail humble, plein d’amour et de reconnaissance que celle-ci entreprend ici avec compassion pour celui sans qui elle ne serait pas devenue ce qu’elle est.

Jean-Rémi BARLAND

« Kaddour » par Rachida Brakni. Stock, 197 pages, 19,50 €

 

 

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