Dans le sillage de son Tartuffe-Théorème, Macha Makeïeff, poursuit avec Dom Juan, à voir cette semaine au Théâtre du Jeu de Paume d’Aix-en-Provence, ce qu’elle appelle son compagnonnage transgressif avec Molière. «Le mal prenant cette fois les traits du mâle prédateur», est-il souligné.
Si son Tartuffe était une sorte de Mephisto chez Kubrick et Pasolini, Dom Juan qu’elle a conçu de manière également très chorégraphique nous plonge avec une élégance perverse dans l’atmosphère libertine du XVIIIe siècle et des « Liaisons dangereuses ». Éloge superbement implicite de l’athéisme Dom Juan se présente comme une errance. A chaque acte voulu par Molière un nouveau décor est planté. Macha Makeïeff propose quant à elle un décor unique. La violence s’exprime, se décide dans le lieu de l’intimité. Dom Juan est chez lui. Elle précise: « En alerte dans une impasse je le prends au bout de son errance. L’extérieur est menaçant. On ne le laisse pas en paix. La dramaturgie est celle de l’empêchement. Aucun de ses désirs n’aboutit, pas même le souper qu’il réclame. Je le montre reclus, rendu fou par une suite incessante d’intrusions et de sommations. Plutôt que le théâtre à machines et les cinq décors de l’itinérance, la perdition sera ici plus psychique que géographique ». Et d’ajouter : « Dans un geste suavement narcissique Dom Juan s’intéresse à la représentation de lui-même. A la manière de Sade, il se donne le plaisir de la représentation de soi comme prédateur en action. Le théâtre dans le théâtre, effet baroque, effet de vérité cruciale. »
Elvire, femme puissante
Au centre de ce qui peut apparaître dans son travail ici comme une sorte d’hymne féministe Macha Makeïeff revendique le personnage d’Elvire comme une femme puissante, à l’initiative d’une révolte. Alors qu’on la présente habituellement plaintive, éplorée, grande déçue de l’amour, elle apparaît dans cette mise en scène à travers une suite d’aveux. C’est Elvire qui, par deux fois, prononcera un « non » libérateur à Dom Juan et ce sera pour elle une véritable métamorphose. « Molière, rappelle la metteuse en scène, n’écrit pas un personnage de simple victime. » Sur scène Elvire est incarnée par Irina Solano, bouleversante et incroyable de grandeur outragée.
La parole du père enfin clairement entendue
S’il est un personnage de la pièce qui passe souvent au second plan, voire qui sert de prétexte, c’est bien Dom Louis, le père de Dom Juan. Ce qui n’est pas le cas ici et sa parole est enfin clairement audible pour le spectateur. On s’aperçoit que le père ne fait pas ici la leçon à son fils, mais il affirme qu’«il n’est pas digne de sa lignée ». autrement dit, précise Macha Makeïeff : «que son fils n’a pas d’existence. » Incarné par Pascal Ternisien, inoubliable de densité il est comme Sganarelle (impressionnant Vincent Winterhalter) un maillon essentiel de la narration proposée.
Xavier Gallais exceptionnel Dom Juan
Et puis il y a Xavier Gallais dans le rôle de Dom Juan. Macha Makeïeff -qui avait fait de l’acteur un des plus grands Tartuffe que l’on puisse croiser, lui offre ici non seulement un rôle en or mais la possibilité, une fois encore, d’impressionner par la puissance de son jeu subtil. Il est inquiétant à souhait jusque dans les silences placés dans le dispositif dramaturgique. Comédien d’exception il bondit, se fait félin, dangereux, prince pervers d’une cruauté implacable et destructrice. Il est inoubliable. Notez que l’on peut voir Xavier Gallais en ce moment sur les écrans en médecin dans le film de Gaël Morel « Vivre, mourir, renaître » annonçant à un des deux protagonistes qu’il a le Sida. Ce qui le rapproche de Loïc Mohiban qui a joué avec lui dans le « Tartuffe » de Macha Makeïeff, le jeune acteur incarnant dans le film « Plaire, aimer et courir vite » de Christophe Honoré un interne faisant au personnage campé par Pierre Deladonchamps le même diagnostic. Comme à chacune de ses apparitions d’ailleurs Xavier Gallais secoue les lignes, et contribue au centre de décors et de costumes flamboyants à rendre plus vertigineux encore ce Dom Juan en forme de chef d’oeuvre.
Jean-Rémi BARLAND
« Dom Juan » de Molière mis en scène par Macha Makeïeff avec Xavier Gallais dans le rôle titre. Au théâtre du Jeu de Paume. 17/21, rue de l’opéra 13100 Aix-en-Provence. Mardi 15 octobre à 20 heures. Mercredi 16 octobre à 19 heures. Jeudi 17 octobre à 11heures. Réservations et renseignements sur lestheatres.net