Caumont – Centre d’Art à Aix : « Turner et la couleur » ou comment la nature et les voyages forment la palette

Publié le 3 mai 2016 à  22h59 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  15h14

Découverte en avant-première, ce mardi après-midi, de l’exposition «Turner et la couleur » à l’Hôtel de Caumont – Centre d’Art à Aix-en-Provence. 133 items sont exposés dont 36 œuvres exceptionnellement prêtées par la Tate Gallery de Londres. Une découverte effectuée sous la direction de Ian Warrell , le commissaire de l’exposition. Le cheminement, de salle en salle, a pour but de démontrer, chronologiquement, comment Turner est arrivé à développer son style jugé remarquable par ses fidèles et quels sont les facteurs qui ont influencé son emploi des couleurs.

Peu exposée en France, cette superbe toile « Bonneville, Savoie avec le Mont Blanc a été prêtée par le Dallas Museum of Art
Peu exposée en France, cette superbe toile « Bonneville, Savoie avec le Mont Blanc a été prêtée par le Dallas Museum of Art
Turner naturaliste avec cette charmante étude de poissons et crevettes prêtée par The Ashmolean Museum d’Oxford (Photo M.E.)
Turner naturaliste avec cette charmante étude de poissons et crevettes prêtée par The Ashmolean Museum d’Oxford (Photo M.E.)
Turner à la découverte de la Provence. Un pan entier de l’exposition est consacré à ce voyage (Photo M.E.)
Turner à la découverte de la Provence. Un pan entier de l’exposition est consacré à ce voyage (Photo M.E.)

Un chemin qui débute par cette grande toile copiée chez Poussin car, à l’époque, on apprenait à peindre en copiant les maîtres. On poursuit avec une salle consacrée à Turner, peintre naturaliste. Aquarelles et huiles laissent déjà s’exprimer la couleur.
Et les volatiles que l’on peut y voir (tête de paon, coq de combat, esquisse d’un faisan mort) font apprécier un soin du détail et une grande expressivité. Des qualités que l’on retrouve dans les paysages, notamment cette superbe toile peu connue et peu montrée de Bonneville, en Haute-Savoie, avec le Mont-Blanc en fond ; un prêt du Dallas Museum of art. Après un passage dans l’atelier du peintre où une partie didactique est réservée aux théories de Turner sur la couleur, une salle est consacrée aux gravures tirées des œuvres de Turner. Des estampes en noir et blanc dont l’artiste supervisait la réalisation de façon très attentive destinées à être vendues telles quelles, mais aussi à l’illustration de livres, notamment ceux de sir Walter Scott ou de lord Byron… Au deuxième étage de l’Hôtel de Caumont, c’est avant tout Turner le voyageur qui est à l’honneur. Des périples au cours desquels il expérimente de nouvelles couleurs. Ainsi sa série sur «la Provence d’Avignon à Marseille» est d’une belle richesse; tout comme ces paysages juste esquissés mais déjà si puissants de Gènes, Sisteron… Puis, il y a les souvenirs de ses visites à Margate où il peint «les plus beaux ciels d’Europe». Et après un bien trop court passage dans une salle consacrée à la chromomania chez Turner, l’exposition s’achève sur l’une des toiles les plus connues du peintre la «Plage de Calais à marée basse, « poissards » ramassant des appâts ». Une exposition qui, si elle permet de découvrir Turner naturaliste et, pour certains, Turner voyageur, ainsi que l’évolution de sa palette au fil des années, a un petit côté frustrant s’achevant très (trop) rapidement et ne permettant pas d’approfondir la période de la chromomanie qui, en matière de couleur chez le peintre, est l’une des plus importantes. Mais ne boudons pas notre plaisir; Turner à Aix-en-Provence sera, sans doute aucun, l’un des grands rendez-vous culturels de l’été dans le Sud de la France.
Michel EGEA

Pratique: Exposition ouverte du 4 mai au 18 septembre. Hôtel de Caumont Centre d’Art 3, rue Joseph Cabassol 13100 Aix-en-Provence – Tél.04.42.20.70.01 – caumont-centredart.com – Ouvert tous les jours y compris les jours fériés de 10 à 19 heures – nocturne le vendredi jusqu’à 21h30 – Dernière entrée 30 minutes avant la fermeture. Tarifs. Visite de l’Hôtel de Caumont Centre d’Art + exposition temporaire : 13 € en plein tarif / 10 € en tarif réduit. Les enfants de 7 à 17 ans, les porteurs du Pass Éducation, les étudiants et les demandeurs d’emploi bénéficient du tarif réduit (sur présentation d’un justificatif). Les enfants de moins de 7 ans entrent gratuitement (sur présentation d’un justificatif). Visite en groupe à partir de 15 personnes, sur réservation. Contact : groupes@caumont-centredart.com.


Trois questions à Ian Warrel, commissaire de l’exposition

Ian Warrel, le commissaire de l’exposition est aussi au générique des extraits du film documentaire J.M.W. Turner réalisé en 2010 par Alain Jaubert pour Arte (Photo M.E.)
Ian Warrel, le commissaire de l’exposition est aussi au générique des extraits du film documentaire J.M.W. Turner réalisé en 2010 par Alain Jaubert pour Arte (Photo M.E.)

Pourquoi la couleur est-elle un sujet à part entière dans l’œuvre de Turner ?
Songez à Turner et vous penserez inéluctablement à des couleurs vibrantes. Son œuvre s’est de plus en plus caractérisée par des couleurs fortes, qu’il s’agisse d’éclatants couchers de soleil ou de clairs de lune profonds, et elle a surtout été marquée par sa célèbre prédilection pour le jaune. De toute évidence, il a fait des choix esthétiques dans sa recherche d’une certaine réponse au monde naturel. Mais ces choix ont aussi été influencés par les idées sur la couleur développées par les théoriciens contemporains, tels Moses Harris et George Field, et par ses réflexions sur les premières thèses de Johann Wolfgang von Goethe. Le fait que la vie de Turner ait coïncidée avec l’invention de nombreux nouveaux pigments est tout aussi significatif, autant que le développement commercial des premiers tubes en métal permettant l’usage de la peinture à l’huile en plein air. Un autre facteur qui a conduit à l’aspect lumineux de ses œuvres fut le lien étroit entre ses huiles et ses aquarelles, qui aboutit à un style audacieusement expérimental propre à Turner.

Quelle est l’approche novatrice de cette exposition, par rapport aux précédentes? Cette exposition offre un récit essentiellement chronologique de la carrière de Turner, mais avec des axes thématiques centrés sur des éléments tels que ses premières tentatives de naturalisme, son intérêt pour les théories contemporaines sur la couleur, son utilisation de nouveaux matériaux, son implication dans la traduction en gravures en noir et blanc de ses images en couleur et sa soif insatiable de nouvelles expériences de voyage. Cette dernière section présentera une petite sélection des nombreux croquis, aquarelles et peintures que Turner réalisa en France, y compris des vues de la côte méditerranéenne entre Marseille et Gênes. Les expositions précédentes en France de l’œuvre de Turner ont traité son admiration et émulation des grands maîtres (Turner et le Lorrain, Musée des Beaux Arts, Nancy 2002; Turner et ses peintres, Grand Palais, Paris 2010). En France, la dernière vue d’ensemble exhaustive de l’œuvre de Turner fut celle au Grand Palais en 1983. En outre, il y a eu plusieurs études des voyages de Turner, en commençant par l’exposition avant-gardiste réalisée par Maurice Guillaud, Turner en France en 1981 (Centre Culturel du Marais, Paris), et depuis lors, d’autres traitant de façon plus détaillée ses voyages sur la Loire et la Seine et dans les Alpes. Contrairement aux précédentes, cette nouvelle exposition donne une idée de la façon dont la vie de Turner fut inextricablement liée à son art et à ses aspirations pour produire des représentations saisissantes et audacieuses.

Qu’est-ce que le public découvrira dans cette exposition qu’il n’a pas vu auparavant ? Quelles sont les œuvres majeures, les œuvres présentées pour la première fois en France ou à l’étranger, ou les œuvres n’ayant pas été présentées lors d’une exposition depuis longtemps ?
L’exposition rassemble des peintures à l’huile célèbres et une riche variété d’aquarelles, ainsi que certaines des gravures qui ont contribué à répandre le nom de Turner parmi ses pairs. Au-delà d’un ensemble important des œuvres du legs de Turner à la Tate Britain, parmi lesquelles Matin glacial (1813), Ombre et obscurité – le soir du Déluge, Lumière et couleur (théorie de Goethe) – le matin après le Déluge, Moïse écrivant le Livre de la Genèse (1843), les tableaux proviennent de plus de vingt-cinq musées et collections privées et, beaucoup d’entre eux n’ont encore jamais été exposés en France. D’autres, comme Plage de Calais à marée basse, « poissards » ramassant des appâts (1830) de la Bury Art Gallery, sont parmi les représentations de la France les plus connues de Turner. Parmi les formidables prêts voyageant depuis les États-Unis se trouve l’une des premières représentations saisissantes de Bonneville, Savoie, avec le Mont-Blanc (Dallas Museum of Art) et quelques-unes des toutes dernières peintures réalisées lors de ses voyages privés à Margate dans les années 1840 (Yale Center for British Art, New Haven). L’époque de Turner à Margate sera également représentée par un ensemble d’aquarelles provenant d’une collection privée, jamais exposées en France auparavant. Les voyages plus lointains de Turner en Europe sont eux aussi bien représentés, y compris quelques-unes de ses vues de Venise les plus admirées. Mais les visiteurs d’Aix-en-Provence seront particulièrement enthousiasmés par les esquisses colorées que Turner réalisa à Marseille, à Gênes et sur la côte méditerranéenne, et qui n’ont jamais été rassemblées jusqu’alors. Elles conservent la puissance des couleurs vibrantes et une fraîcheur d’observation, comme si elles avaient été peintes hier. Ces œuvres démontrent l’indépendance radicale de la façon qu’avait Turner de voir le monde.

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