Publié le 21 mars 2016 à 23h23 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 22h05
La deuxième partie de l’exposition André Masson s’est ouverte sans tambour ni trompette ce 17 mars au musée Cantini de Marseille. Inaugurée le 13 novembre l’exposition qui se tiendra jusqu’au 24 juillet, présente seize peintures dont la magnifique «Antille» et 44 dessins. Ces derniers ont été montrés en deux étapes avec changement de 21 dessins le 16 mars pour protéger de la lumière ceux qui étaient estimés trop vulnérables. Quatorze coloriages pour ses enfants et petits-enfants déjà exposés au Préau des Accoules (dont «Fou de serpan» et le «Chevalier à l’escargot») sont en plus accrochés dans le petit salon où ils font toujours la joie des petits invités à s’exercer dans la salle attenante au rez-de-jardin du musée.
«André Masson de Marseille à l’exil américain»
Ce sont des œuvres prêtées pour la plupart par les enfants et petits-enfants d’André Masson pour rendre un hommage à Varian Fry et honorer la mémoire de cet universitaire américain qui permit au peintre et son épouse juive et leurs deux fils de fuir les lois raciales de Vichy. Varian Fry a aussi permis à d’autres intellectuels de quitter la France dont Peret, Duchamp qui deviendra citoyen américain, Max Ernst échappé du Camp des Milles près d’Aix-en-Provence -brièvement marié à Peggy Guggenheim-, René Char et Adamov.
«Artiste majeur du vingtième siècle, membre du groupe surréaliste dès 1924, André Masson est l’auteur d’une œuvre placée sous le double signe de l’expérience de la guerre et de la découverte d’une dimension lyrique et onirique du réel», souligne la plaquette de l’exposition. On peut regretter qu’elle se limite à ce fonds familial prêté pour une durée exceptionnelle de 10 mois. Augmentée de la collection du musée Cantini dont la pièce maitresse «Antille», bien qu’importante en qualité, cette exposition ne reflète pas totalement l’œuvre de Masson. Ce n’est pas une rétrospective et se concentre sur la période de l’exil.
Elle rappelle sa participation tumultueuse au surréalisme mais dit peu de choses de son travail avec Miro et les débuts du surréalisme lorsqu’ils partageaient le même atelier du 45, rue Blomet à Paris entre les deux guerres avec comme visiteurs Breton et Bataille. Un oubli délibéré de la commissaire d’exposition et conservatrice du musée, Claude Miglietti. La famille Masson souhaitait n’exposer que les travaux de la période se rapportant à Varian Fry auquel elle voulait rendre ainsi un hommage appuyé.
Certaines œuvres du maître déjà acquises par le musée sont restées dans les réserves sauf quelques-unes dont «l’âne de Napoléon» qui date des années 60 et un magnifique documentaire sur André Masson réalisé en 1957 par le cinéaste Jean Gremillon. En 20 minutes, tout Masson est décortiqué des dessins automatiques aux «Tableaux de sable» de Sanary (du sable projeté sur des toiles enduites de colle) des œuvres aléatoires qui inspireront notamment Jackson Pollack. Aux États-Unis, André Masson a apporté un souffle nouveau.
Pour ceux qui ont déjà visité l’exposition, parmi les 21 dessins qui viennent d’être accrochés, le célèbre «Massacre» -encre de chine sur papier des années 30, réminiscence de la grande guerre ou il fut grièvement blessé au chemin des Dames- et la «Méditation sur une feuille de chêne» (1941) -en pleine période sombre où il retrouve ses anciens amis surréalistes à Marseille- et, «l’Épave d’un monde disparu» (encre sur papier 1941). Parmi les 23 dessins restés du premier accrochage il y a surtout l’esquisse préparatoire pour «Antille» à l’encre de chine réalisée en 1941-1942 après sa halte en Martinique où il retrouve André Breton lors de leur périple vers la liberté.
Réalisé sur papier journal, ce dessin est à l’origine de cette manifestation a précisé Claude Miglietti, à Destimed lors de l’inauguration de cette double exposition. Don des héritiers Masson, elle a rejoint les collections du musée aux côtés de la toile «Antille» (huile, sable et tempera de 1943) reproduite en affiche. Ce don, outre être le prétexte au montage de cette exposition, a également été l’occasion de rendre hommage à Varian Fry déjà célébré il y a dix ans par le Conseil Général des Bouches-du-Rhône dans son ancienne galerie d’Aix-en-Provence et récemment
On peut regretter que cet hommage du musée Cantini soit juste évoqué dans un cartel pour rappeler la part importante qu’a prise cet universitaire américain dans le «sauvetage» de nombre d’intellectuels menacés sur le territoire français par le régime nazi et le régime vichyste. Son groupe en profita pour sauver près de 4 000 personnes dont de nombreux juifs qui avaient trouvé un refuge provisoire à Marseille, en zone alors dite libre. Dans sa résidence de l’Emergency Rescue Committee (Centre de secours pour artistes et intellectuels) à la villa Air Bel (La Pomme) à Marseille , il hébergeait notamment des surréalistes dont André Breton tandis que André Masson était hébergé avec sa famille par la Comtesse Pastré à Montredon. On retrouve notamment à Marseille entre Pastré et Air Bel rebaptisé «château espère-visa» où ils se réunissaient les dimanches Masson, Breton, Tzara, Peret, Duchamp, Max Ernst, René Char et Adamov. L’exposition du musée Cantini abrite ainsi les dessins collectifs automatiques et surréalistes, «cadavres exquis» réalisés en techniques mixtes sur papier par Masson, Breton et consorts.
André Masson et sa famille embarquent en 1941 sur le Carimaré pour la liberté avec une escale aux Antilles qui sera très fructueuse. On peut regretter aussi que le poème «Antille», généralement attribué à André Breton mais crédité à André Masson dans une rétrospective de l’œuvre de Breton dans la pléiade et le catalogue de cette exposition, ne soit pas publié sur le mur à côté de cet œuvre majeur.
«Le feu de case la nuit se mire au regard de terre
Serti par le silence bruit le grand ballet de palmes dans le jeune air dansant.
Huppée de bambous ma sauvage tête de montagne heurte un rêve de nue et voit
plongeant d’un maelström de feuillage – suspendu à son vol – le colibri».
Aux États-Unis, où il est arrivé avec quelques-unes de ses œuvres récentes, il a été très bien accueilli et a eu droit à plusieurs rétrospectives. Il y a aussi poursuivi son œuvre et résumé son horreur de la guerre dans son terrifiant «enfant effrayé par les ombres de la guerre» (huile et tempera sur composite, 1943).
«C’est en Amérique que pour moi les choses se sont concentrées, là où je suis allé le plus loin, où j’ai mûri.» Mais c’est surtout aux Antilles que semble avoir eu lieu un tournant avec cet œuvre majeur qu’est «Antille»
Suivre une classe de primaire dans un musée est toujours un régal. Les enfants ont des formules chocs. «Que voyez-vous sur ce tableau?», demande la jeune guide du musée à la classe assise sagement face à l’œuvre. «C’est un tableau sombre» répond l’un; «il est aussi lumineux», dit une autre ; «chaque touche sombre est soulignée par une touche lumineuse», résume un troisième. «On voit une femme noire au milieu», découvre un ingénu. «On voit un sein» dit une petite voix «et on voit ses fesses», ajoute une autre regardant la maîtresse pour s’assurer qu’elle n’avait pas dit de bêtise…
A côté, sur le mur de la grande salle, cette phrase de Masson qu’il faut encore expliquer aux enfants avec des mots simples : « L’esprit de métamorphose et l’invention mythique sont les extrémités du balancier qui m’ont permis de traverser sur la corde raide un monde de tragédies, d’écueils et de souffrance».
L’importance de la halte aux Antilles lors de l’exil grâce à Varian Fry est rappelé aux visiteurs à la sortie du musée par une phrase extraite du « dialogue créole » entre André Breton et André Masson :
«Regarde cette tache blanche là-haut, on dirait
une immense fleur mais ce n’est peut-être que l’envers
d’une feuille: il y a si peu de vent.
La nuit ici doit être pleine de trappes, de bruits inconnus.
Mais le plus beau parce que le moins supposable,
c’est encore le lever du jour.
Tout ce qu’on ne se pardonnera pas d’avoir manqué.»
Antoine LAZERGES
Exposition André Masson jusqu’au 24 juillet au musée Cantini – 19, rue Grignan –
13006 Marseille – Du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures – Tarifs d’entrée: 5€ – Tél: 04 91 54 77 75 – 04 91 55 03 61 – Dgac-musee-cantini@mairie-marseille.fr
Hommage à Varian Fry
Texte du cartel d’hommage à Varian fry affiché à la porte de la salle principale de l’exposition André Masson
Marseille, après la débâcle de mai 1940, accueille des réfugiés clandestins de
plus en plus nombreux, attendant leur visa de transit vers les Etats-Unis. Madame Eleanor Roosevelt avait sollicité le Département d’Etat pour trouver des correspondants à tous les intellectuels antifascistes, artistes, musiciens, écrivains, dont une liste de deux cents noms avait été donnée à Varian Fry, un jeune universitaire qui s’était porté volontaire. L’Emergency Rescue Committee (Centre américain de secours) qu’il vient diriger à Marseille procure visas, vêtements, allocations et passeurs. Grâce à la générosité de Mary Jane Gold, une riche héritière américaine, Varian Fry loue une bastide à Air-Bel, dans le quartier de la Pomme. Dans cette vaste demeure viennent s’installer en octobre 1940 André Breton, sa femme Jacqueline Lamba, leur fille Aube, leur ami Victor Serge, son fils Vlady et sa compagne Laurette Séjourné, Théo et Daniel Bénédite. De nombreux autres les rejoignent : Oscar Dominguez, Victor Brauner, Jacques Hérold, Wifredo Lam, Max Ernst, Frédéric Delanglade, Hans Bellmer, Tristan Tzara, André Masson, René Char, Arthur Adamov, Benjamin Péret, Remedios Varo, Jean Malaquais, Marcel Duchamp, Sylvain ltkine, Henriette et André Gomès qui tient
le journal photographique du petit groupe. Certains travaillent à la coopérative ouvrière des Croquefruits, située près de la Porte d’Aix, créée par ltkine, Jean Rougeul et Guy d’Hauterive pour venir en aide aux exilés, artistes, militants politiques et juifs qui étaient privés de travail par les décrets de Vichy. Victor Serge rebaptise bientôt« Château Espère-Visa » la spacieuse demeure. Dans la grande bibliothèque, le groupe s’adonne à de nombreuses activités collectives, créatrices et ludiques : lectures, jeu de la Vérité, devinettes et anagrammes en tout genre, cadavres exquis, dessins collectifs.
Antille par André Masson
Poème probablement écrit conjointement par Breton et Masson et attribué à André Masson « qui tient la plume » après leur séjour aux Antilles en route pour l’exil ou ils eurent une belle rencontre avec Aimé Césaire en 1941.
Le feu de case la nuit se mire au regard de terre. Serti par le silence bruit le grand ballet de palmes dans le jeune air dansant
Huppée de bambous ma sauvage tête de montagne heurte un rêve de nue et voit plongeant d’un maelström de feuillage -suspendu à son vol- le colibri.
Fourrure arborescente de la terre éventrée éventail de désir élan de sève oui c’est
la roue de lourde feuille dans l’air fruité. Interroge la sensitive elle répond non
mais rouge au cœur de l’ombre vaginale règne la fleur charnelle du baiser -le sang s’est coagulé dans la fleur insigne. Lave spermatique il t’a nourri pétrissant le verre banal la main du feu l’irisait de mortelle nacre. La grande main caresse le sein du morne à moins que ce ne soit ta croupe Vénus d’anthracite elle irrite le crin des palmes soulève la plume des frondaisons et se glisse sous la toison amoureuse de l’énorme Sylve.
Au ciel de ton front le cri du flamboyant
Au gazon de tes lèvres la langue arrachée de l’hibiscus
A la chaude campagne de ton ventre les champs de canne en couronne de saveur
Aux verdures trouées de tes yeux de lucioles
A tes mammes la langue fine
Tes banians aux petites filles
L’arbre à pain pour tous les tiens
Et le mancenillier pour la bête casquée.
Publié dans la revue Hémisphères, N° 2-3, automne/hiver, 1943-1944 Et sous le nom d’André Masson dans le 3ème volume des œuvres d’André Breton de La Pléiade (1999)