Publié le 23 novembre 2015 à 14h51 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 20h45
Il y a tout juste un an, le 12 Novembre 2014 la Sonde Rosetta a réalisé un exploit en permettant au robot Philae de se poser à la surface d’une comète désormais célèbre, la comète Churyumov-Gerasimenko. Un formidable succès auquel le Laboratoire d’Astrophysique de Marseille (LAM) regroupé au sein de l’Institut Pythéas et ses cinq grands centres de recherches totalisant plus de mille chercheurs, a largement contribué. Comment ? Pourquoi ? Quel suivi est fait aujourd’hui par les astrophysiciens marseillais ayant mis au point la caméra embarquée sur le robot Philae? Autant de question que nous avons posées à l’astrophysicien Michel Marcelin.
Destimed: Mais d’abord Michel Marcelin, revenons un peu sur la fameuse sonde Rosetta. Quand a-t-elle était lancée exactement ?
LAM : Cette sonde a été lancée de Kourou par Ariane 5 le 2 mars 2004 et elle a dû faire un voyage de 10 ans et parcourir 7 milliards de kilomètres dans l’espace avant de rejoindre la comète Churyumov-Gerasimenko qu’elle accompagne depuis dans son mouvement orbital autour du Soleil. Rosetta est équipée de plusieurs appareils et instruments de mesure, fabriqués et testés par différents laboratoires européens, dont le Laboratoire d’Astrophysique de Marseille. C’est vraiment un exploit qu’a réussi cette sonde en permettant au robot Philae de se poser à la surface d’une comète parce que la gravité à sa surface est très faible -à peine deux millièmes de la gravité terrestre- et c’est aussi et surtout la première fois qu’une comète est visitée de la sorte….
Dans cette formidable aventure, quel a été le rôle du laboratoire d’Astrophysique de Marseille ….
Notre laboratoire, en collaboration avec un laboratoire de recherche allemand de Lindau, a participé à la conception et aux tests de la caméra NAC (Narrow Angle Camera) qui équipe la sonde Rosetta. Et c’est cette caméra qui a permis de prendre la plupart des clichés de la comète Churyumov-Gerasimenko. Des prises d’images qui ont fait les Unes des journaux dans le monde, ce qui est une belle récompense. Mais au delà de cet événement, pour l’ensemble de la communauté des chercheurs ces clichés marquent une nouvelle étape, certains confirmant des hypothèses émises, d’autres ouvrant la voie à d’autres interprétations.
Comment cette caméra a-t-elle été testée ?
On a dû d’abord vérifier qu’elle allait résister aux vibrations dues au lancement par Ariane 5. On dispose pour cela de ce qu’on appelle un pot-vibrant. C’est une sorte de tambour sur lequel on place l’appareil que l’on veut tester et on le fait vibrer avec les fréquences caractéristiques du lanceur. Ensuite on a contrôlé que le matériel allait résister à l’ambiance spatiale, c’est-à-dire au froid et au vide. On utilise pour cela des cuves à vide, ce sont des sortes de grosses citernes en inox dans lesquelles on pompe l’air avant de refroidir l’enceinte avec de l’azote liquide qui circule dans la double paroi de la cuve.
Êtes-vous intervenus également en 2004 pour la caméra embarquée par Rosetta?
Oui, il a fallu procéder de la même façon. Et il n’y a eu aucun souci lors des tests réalisé à Marseille. La caméra a ensuite été envoyée aux Pays-Bas où elle a été montée sur la sonde Rosetta, dans les laboratoires de l’Agence Spatiale Européenne, puis expédiée à Kourou pour être lancée par Ariane 5 en 2004.
La sonde a donc mis 10 ans pour atteindre sa cible!
Oui, dix années! Et évidemment on se demandait si la caméra fonctionnerait bien à l’arrivée. On a eu toutefois l’occasion de vérifier son bon fonctionnement à deux reprises, lorsque Rosetta a croisé deux astéroïdes, Steins le 5 septembre 2008 puis Lutetia le 10 juillet 2010. Cela a permis de voir que les images avaient la qualité attendue et d’être fin prêts lorsque Rosetta est arrivée près de la comète Churyumov-Gerasimenko en juillet 2014.
Le LAM , pendant ces dix années, a-t-il participé à l’analyse des données ?
Bien sûr, et un de nos collègues, Laurent Jorda, a même fait partie du petit comité de chercheurs européens qui a choisi le site d’atterrissage du robot Philae sur la comète, en novembre 2014.
Et que nous ont finalement appris Rosetta et Philae ?
La découverte la plus intéressante est sans doute que l’eau des mers et des océans terrestres ne provient pas des comètes comme on l’a longtemps cru. En effet, si les comètes sont principalement composées de glace d’eau on a découvert que la composition de cette eau -on a mesuré pour cela le rapport isotopique deutérium / hydrogène- n’était pas la même que celle de nos océans. D’où vient alors l’eau des mers et des océans? La question reste posée même s’il existe d’autres hypothèses.
Par ailleurs, on a pu montrer que la consistance de la glace de cette comète est en fait plus proche de la neige car elle est nettement moins dense. Quant à la forme bizarre de cette comète, avec deux lobes accolés, elle s’expliquerait par le fait qu’il s’agit de deux comètes qui auraient fusionné !
Pouvez vous nous donner quelques caractéristiques principales de la comète observée par Rosetta ?
Voici la réponse en chiffres. Dimensions : La partie la plus importante fait 4,1 × 3,2 × 1,3 km et la partie plus petite et ronde : 2,5 × 2,5 × 2,0 km – Masse : 10 milliards de tonnes – Densité : 0,47 (plus proche de la neige que de la glace) – Température : – 40 °C à -70 °C (à 555 millions de km du Soleil) – Période de rotation sur elle-même : 12,4 heures – Période orbitale (autour du Soleil) : 6,45 ans – Gravité à la surface : 0,002 g (rappel : la gravité à la surface de la Terre est égale à 1 g).
Si Rosetta semble toujours « en forme », on ne peut pas en dire autant du robot Philae, pourquoi ?
La sonde Rosetta nous envoie toujours des images de la comète, elle a pu suivre son évolution au cours des derniers mois, notamment au mois d’août 2015, lorsque la comète s’est activée en se rapprochant du Soleil et a déployé de multiples jets de gaz et de poussière. En revanche on n’a plus de nouvelles du robot Philae depuis le mois de juin 2015. Lorsqu’il s’était posé sur la comète, il y a un an, il avait rebondi à deux reprises avant de s’immobiliser dans un creux où il avait très peu de lumière, ce qui l’avait empêché de recharger ses batteries. On l’avait alors mis en hibernation après qu’il eut pris quelques images et fait quelques mesures sur place. Au mois de juin dernier, Philae a pu communiquer à nouveau avec Rosetta car la comète se rapprochait du Soleil et le petit robot avait pu se recharger. Mais cela n’a malheureusement pas été suffisant pour maintenir le contact et procéder à de nouvelles mesures à la surface de la comète.
Et quand doit s’arrêter la mission ?
Elle devait s’arrêter dans un mois, en décembre 2015, mais l’ESA a déjà décidé de la prolonger jusqu’en septembre 2016. Et si la sonde Rosetta continue de bien fonctionner et apporte toujours des résultats nouveaux, l’ESA prolongera sans doute encore la mission.
Propos recueillis par Christine LETELLIER