Au Musée Granet d’Aix-en-Provence – « Traverser la lumière » : une rétrospective conséquente en l’honneur des non-figuratifs

Publié le 12 décembre 2018 à  7h47 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  19h25

L’exposition rassemble plus de 100 œuvres sur 700 m2 au cœur du Musée Granet. Ici des toiles de Gustave Singier. (Photo Musée Granet)
L’exposition rassemble plus de 100 œuvres sur 700 m2 au cœur du Musée Granet. Ici des toiles de Gustave Singier. (Photo Musée Granet)
«Traverser la lumière »… Par les temps qui courent, l’invitation peut séduire. Fuir la laideur pour aller vers le beau, quitter les ténèbres pour se tourner vers l’azur. Le point commun des six peintres non-figuratifs exposés au musée Granet -Roger Bissière, Elvire Jan, Jean Bazaine, Jean le Moal, Gustave Singier et Alfred Manessier- est qu’ils ont tous tenté de maîtriser cette lumière et de la magnifier en pratiquant, à un moment ou à un autre de leurs vies d’artistes une activité de verriers. Unis, d’évidence, par la spiritualité, les six le sont aussi par une technique inhérente à l’art du vitrail, celle du motif de la grille qui guidera leurs pinceaux pendant une période plus ou moins longue de leur production artistique au sortir de la deuxième guerre mondiale. La première salle de l’exposition est d’ailleurs consacrée à la mise en lumière de cette technique où le cubisme le dispute à la liberté du fauvisme. Au-delà du groupe, ou de l’école (la 2e école de Paris à laquelle on les apparente, école sans manifeste) ces créateurs vivent simplement une amitié commune qui se transformera, au fil des ans, en un courant artistique, celui de la non-figuration.
Chant de l'Aube II, 1985 l’œuvre de Jean Bazaine (1904-2001) qui a été reproduite pour l’affiche de l’exposition. (Photo ADAGP, Paris 2018)
Chant de l’Aube II, 1985 l’œuvre de Jean Bazaine (1904-2001) qui a été reproduite pour l’affiche de l’exposition. (Photo ADAGP, Paris 2018)

Ils transposent leurs émotions ressenties face à la mer, la forêt, les arbres et la nature en général en jouant à l’infini avec la lumière. «Ils refusent l’appellation de peintres abstraits, confie Bruno Ely, co-commissaire de l’exposition. Ils sont des non figuratifs. Pour dire les choses simplement et un peu caricaturalement, l’abstraction c’est de partir de quelques chose de non figuratif pour arriver à quelque chose de non-figuratif alors que ces artistes partent de quelque chose de figuratif, de la réalité, pour arriver à une peinture non figurative.» Reconnus, ils sont cependant peu connus. Ils occupent une scène picturale française dont ils ont du mal à repousser les frontières, leur production étant effacée, après-guerre, par le déferlement de l’art américain et notamment par Pollock ou Hopper puis, un peu pus tard, par le Pop art. Pour Bruno Ely, une autre cause de cette méconnaissance est liée au fait qu’ils ont travaillé pour l’art sacré. «Un art lié à la religion, et l’on sait qu’en France la critique se situe plutôt à gauche. Ainsi leur travail pour le sacré, peintures, vitraux, mobiliers, a été mal vécu par cette critique. La troisième cause de cette non popularité, poursuit le Conservateur en chef du Musée Granet, c’est que pendant la guerre ces artistes vont se réunir dans une exposition qui s’appelle les jeunes de la peinture française. Pour eux c’est un acte de résistance et ils vont mettre du bleu, du blanc, du rouge dans leurs œuvres. Mais à la libération ils vont être doublés par des artistes que l’on estime être plus résistants qu’eux, comme Picasso avec Guernica. Alors, ils vont être presque relégués à des artistes de la collaboration parce qu’ils ont fait la promotion des couleurs tricolores considérées comme nationalistes et pas du tout comme résistants. C’est une erreur et une fausse interprétation de ce qu’ils ont voulu. Mais c’était la libération et les rapports de force étaient très exacerbés à cette époque.» En parcourant les quelque 700 m² de l’exposition où sont accrochées plus d’une centaine d’œuvres on prend la mesure de la qualité de leur travail. On ne peut alors que se féliciter que Jean Planque, un jour de 1952, entre par hasard dans la galerie de France, faubourg Saint-Honoré, et y découvre les œuvres de Manessier. Plus que séduit, il est ébloui par, dit-il, «la vérité» qui irradie ces toiles, lui qui n’avait jusqu’alors aucune considération pour les non-figuratifs. Et si, aujourd’hui, le musée Granet peut abriter cette exposition, c’est grâce à la Fondation Jean et Suzanne Planque dont 300 œuvres sont en dépôt pour 15 ans à Aix-en-Provence et dont les essentielles -plus de 130- peuvent être découvertes entre les murs de la Chapelle des Pénitents blancs. «Pendant 40 ans, Jean Planque a défendu ces artistes en qui il croyait, contre l’indifférence des institutions officielles» rappelle Florian Rodari, commissaire de l’exposition «Traverser la lumière». Quant à Bruno Ely, il souligne combien il était important de mettre en lumière le travail de ces artistes, une mission dont peut s’honorer un établissement de service public comme le musée Granet. En quittant Aix-en-Provence, cette exposition partira en Allemagne, au Kunstmuseum Pablo Picasso à Münster puis sera accrochée à «La Piscine», musée d’art et d’industrie André-Diligent de Roubaix.
Michel EGEA

Pratique. « Traverser la lumière » jusqu’au 31 mars 2109 au Musée Granet, Place Saint-Jean-de-Malte à Aix-en-Provence, du mardi au dimanche de 12 heures à 18 heures. Fermetures annuelles les 25 décembre et 1er janvier. Informations : 04 42 52 88 32 – museegranet-aixenprovence.fr Réservations : 04 42 52 87 97.

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