Publié le 26 juillet 2022 à 22h04 - Dernière mise à jour le 11 juin 2023 à 19h05
Paris, fin des années 40. Paul Weylberg, célèbre mécène, collectionneur d’art et séducteur invétéré, est mystérieusement assassiné. Huis-clos chez l’artiste peintre Noël Martin et sa femme Belle, amis de la victime. Noël, mari jaloux, semble particulièrement nerveux à l’annonce du meurtre. Il soupçonne Belle, si coquette, si jolie et si courtisée de lui mentir sur la nature de ses relations avec feu Paul Weylberg.
L’arrivée, puis l’omniprésence du Commissaire Maria, chargé de l’enquête, sème le trouble dans le ménage Martin, et pousse Noël dans un état d’anxiété toujours plus intense… Manifestement, il a quelque chose à cacher, et l’enquête semble toujours tourner autour de lui. Ainsi se structure la pièce «Quai des orfèvres» qui se joue dans le cadre du Off au Théâtre des Gémeaux d’Avignon avant que d’être reprise à Paris au Théâtre Montparnasse.
Une pièce qui saisit d’emblée le spectateur et que la metteuse en scène Raphaëlle Lémann qui interprète Belle présente ainsi : «Un joueur expérimenté que le Commissaire Maria, qui joue avec plusieurs coups d’avance contre un joueur amateur, Noël, qui pense avoir toutes les chances de gagner mais qui tombe dans les pièges tendus par son adversaire. Autour d’eux, les autres personnages sont de la partie, avançant chacun selon les règles de déplacement des pièces de l’échiquier qu’ils représentent. Ainsi, Belle, telle le fou, joue en diagonale, ce qui déstabilise Noël. Elle entre et sort, jamais inquiète. Est-ce le signe de son innocence ou de sa parfaite maîtrise du jeu ? Noël s’agite.
Il est pris dans les filets d’un Commissaire Maria qui devine tout, et qui le pousse à avouer. Plus il veut s’échapper, plus Noël fait sombrer ce qu’il voulait sauver, emportant Belle dans sa chute. La mise en scène suivra cette logique, rythme et jeu d’acteurs s’enchaîneront selon les coups de la partie. Un huis clos. Le petit salon des Martin est davantage la pièce de Noël : peu de traces de féminité. Belle ne vit pas dans cet appartement, elle y passe, et laisse Noël seul, muré dans sa solitude et ses angoisses.» Et d’ajouter en présentation de son travail: «L’intrigue se déroule à huis clos, dans un appartement situé au dernier étage d’un immeuble parisien : un petit salon qui sert d’atelier d’artiste à Noël : une vieille table en bois, deux chaises dépareillées, un fauteuil, un chevalet, des toiles, des pinceaux, des tubes de peinture… Nous sommes à la fois dans une pièce de vie, et dans un lieu de travail, mais aucun meuble superflu. L’idée n’est pas de créer un décor réaliste, mais plutôt de suggérer où nous sommes. Afin de conserver l’évocation des films noirs, un décor et des costumes en « noir et blanc » ou plus exactement suivant la palette des noirs, gris et blancs. Un camaïeu qui permet davantage de travailler sur des ambiances, du clair-obscur ou du flou, ainsi que sur les matières et les reliefs.
Seules quelques touches de couleurs choisies, des indices ou des éléments importants de l’intrigue : un tableau, un flacon de parfum, les lèvres rouges de Belle… Petites touches lumineuses apportant des indices à l’œil avisé des plus observateurs. La lumière est le sixième acteur de la pièce. Elle sert à donner de la densité à ce décor simple, et permet au gré de l’avancée de l’intrigue de mettre en avant des éléments de détails, des personnages. Elle traduira la suspicion du spectateur qui suit l’enquête.
A cela s’ajoute le son, afin de souligner l’importance du huis-clos, et donc de l’enfermement psychologique de Noël. La pièce évoque le fait que l’appartement des Martin donne sur la cour d’un couvent d’où provient régulièrement des chants de jeunes filles. Les bruits de pas dans l’escalier ou les divers bruits de l’immeuble sont également importants… Sans qu’ils soient illustratifs de l’action, les sons d’ambiance créent «un extérieur» d’où provient le danger, la menace contre Noël et ceux qui sont à l’intérieur de l’appartement. L’aspect aléatoire des sons contribue à créer l’atmosphère sombre et inquiétante de la pièce. Un son réaliste associé à une image déformée crée un vide. Le cerveau humain détestant le vide, il le comble par une interprétation et transforme ainsi la réalité. De là, nait la peur, d’où jaillit le fantôme de la réalité fantasmée par Noël.»
Légitime défense
Prenante la pièce qui rappelle par moments l’ambiance de «Garde à vue» de Claude Miller, « Quai des orfèvres» porte en sous-titre «Légitime défense» et ce n’est pas innocent ni anodin. Nous ne vous dévoilerons pas la fin, mais l’épilogue de la pièce change pas mal de choses par rapport au film, notamment sur l’intention et la puissance criminelle des uns et des autres. Au centre du dispositif donc le commissaire interprété par Philippe Perrussel, comédien puissant au théâtre comme au cinéma et qui est également Professeur titulaire d’Art dramatique des conservatoires de la ville de Paris.
Élève de Philippe Perrussel
François Nambot qui interprète Noël Martin a été un de ses élèves. « Il m’a tant appris, dit-il, c’est un homme généreux, attentif, et on a fait jusqu’à Quai des Orfèvres plusieurs spectacles ensemble. Comme ce fut mon professeur quand je jouais il fallait que je me détache du fait que j’ai été son élève.» Quant à la pièce en elle-même François Nambot y voit une manifestation d’un théâtre d’ambiance, un thriller psychologique où on montre comment un crime fait exploser la vie des gens. « L’idée géniale du spectacle, explique-t-il, c’est de ne pas refaire le film. Tout avance par la parole des personnages, par ce qu’ils racontent, ce qu’ils ont vu, entendu. Les questions qu’ils se posent, et la mise en scène subtile de Raphaëlle Lémann laisse justement une grande place aux silences pour mieux capter leurs doutes, leurs craintes, leurs effrois. C’est aussi une magnifique histoire d’amour poignante et esthétiquement soignée.»
Théâtre et cinéma
Affichant sur scène une présence quasi magnétique, François Nambot a suivi un parcours remarquable tant au théâtre qu’au cinéma. Après des études de 7e art François a été formé au conservatoire d’art dramatique du XIe arrondissement de Paris, sous la direction de Philippe Perrussel et Alain Hitier. Au sortir du conservatoire, il crée sa compagnie, La Boîte aux Lettres, avec le concours de Salomé Villiers et Bertrand Mounier qui joue à ses côtés dans «Quai des orfèvres». Sous la direction de ce dernier il jouera Yerma de Federico Garcia Lorca et Courteline dans L’Affaire Courteline.
Mélanie Mary le mettra en scène dans Un deux Un deux, une pièce de François Bégaudeau. Issame Chayle lui confiera le rôle du Comte de Foehn dans L’aigle à deux têtes de Jean Cocteau. Salomé Villiers le mettra en scène et jouera avec lui dans Le jeu de l’amour et du hasard de Marivaux. Ils se retrouvent en 2019 dans Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare, mis en scène par Salomé Villiers.
François Nambot a travaillé également sous la direction de Clément Hervieu-Léger. Le Pays lointain, de Jean-Luc Lagarce, a été créé au TNS de Strasbourg avant de faire une tournée des CDN et Scènes Nationales. Le spectacle a été présenté à l’Odéon-Théâtre de l’Europe la saison dernière. A l’écran, il a été dirigé par Tonie Marshall, Alex Lutz ou Eric Woreth. En 2021, il reprend le rôle de Maurice Sand dans Marie des poules, face à Béatrice Agénin dans une mise en scène d’Arnaud Denis au Théâtre Montparnasse. Pièce qui remporte le Molière du meilleur spectacle dans un théâtre privé et pour laquelle un Molière de la meilleure comédienne a également été attribué à Béatrice Agénin.
« Théo et Hugo sont dans le même bateau »
Mais c’est en 2015 que sa carrière a véritablement explosé. Il fait la magnifique rencontre d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau qui lui offriront son premier grand rôle au cinéma dans Théo et Hugo dans le même bateau. Pour ce film il recevra le prix Premier Rendez-vous au Festival du Film de Cabourg. La collaboration avec ces deux réalisateurs se poursuit avec le tournage d’un nouveau long métrage, Haut perchés, sorti en 2019. Une histoire d’amour là-aussi entre Théo (Geoffrey Couët) et Hugo (François Nambot) sur fond de séropositivité et de déambulation dans Paris. « Ce film a marqué les gens, raconte l’acteur, six ans après sa sortie on reçoit encore des messages par le biais des réseaux sociaux toutes générations confondues, et le film continue d’avoir une vie en dehors des frontières françaises. C’est incroyable et assez bouleversant de voir l’impact qu’il a sur les gens.»
« Les humains » d’Ivan Calbérac
Fourmillant de projets François Nambot aux côtés de Bernard Campan, Isabelle Gélinas, Mélanie Bernier, Astrid Ortmans, et Michèle Simonnet va remonter sur les planches en septembre prochain et ce jusqu’en décembre dans la pièce «Les humains» de Stephen Karam adapté en français par Ivan Calbérac. Une comédie que l’on peut présenter ainsi : «Un réveillon de Noël, des provinciaux à Paris, un souplex, des cartons de déménagements, des rêves et des non-dits… Beaucoup de non-dits. C’est la vie normale d’une famille normale. Des humains comme nous tous, qui se débattent pour vivre. Des humains qui tentent encore de cacher dans le rire leurs failles. Mais ce soir de Noël les cachotteries toucheront à leur fin, et la famille Lemonnier n’en ressortira pas indemne.» «J’y joue Louis le gendre de Bernard Campan, explique François Nambot. «Il vient d’une famille plus aisée, et ces gens-là qui appartiennent à des classes sociales différentes vont apprendre à se connaître. J’y ai des partenaires en or, et Ivan Calbérac sait véritablement fonder des équipes. Il a le sens de la comédie, définit toujours des personnages qu’on a envie d’aimer, et, à travers eux, il cherche toujours là où peut se loger une humanité tendre.».
« Chat en poche »
Outre la reprise au Petit Montparnasse de « Quai des orfèvres», en janvier 2023, François Nambot va monter avec sa compagnie «la boîte aux lettres» la pièce de Feydeau «Chat en poche» et c’est Philippe Perrussel qui va la mettre en scène. Une histoire de famille donc.
Jean-Rémi BARLAND
« Quai des orfèvres » au théâtre des Gémeaux au 10, rue du Vieux Sextier 84 000 Avignon. Jusqu’au 30 juillet à 14h15 relâche le 26 juillet. Réservations au 09 87 78 05 58. ou sur theatredesgemeaux.com et au Petit Montparnasse au 31, rue de la Gaîté – 75014 Paris à partir du 20 janvier 2023. Réservations au 01 43 22 77 74. ou sur resa@theatremontparnasse.com.
«Les humains» d’Ivan Calbérac au théâtre de la Renaissance au 20, boulevard Saint-Martin – 75010 Paris. Du 23 septembre 2022 au 15 janvier 2023 . Réservations au 01 42 08 18 50.