«De Bach à nos jours » qui pourrait s’appeler « Bach et moi ou comment s’en détacher » est un spectacle musical empreint d’inventivité. Signé Julien Gelas et donné dans ce mythique Théâtre du Chêne noir à Avignon -qu’il dirige maintenant succédant à son père le bâtisseur Gérard Gelas, voilà un moment convivial et festif qui a enchanté tous les spectateurs présents dans ce prestigieux espace culturel où Anne Sylvestre et Léo Ferré vinrent, comme tant d’autres, marquer les esprits.
Julien Gelas a commencé le piano à l’âge de cinq ans, avec un professeur aveugle qui lui apprend le plus important : la sensibilité. Il intégra ensuite le Conservatoire National de Provence où il apprendra les fondements de la musique classique. Depuis l’artiste a joué en piano solo devant plus de 600 000 personnes en Chine, pays qui l’accueille régulièrement, mais également en Corée du Sud. Sa marque de fabrique c’est l’improvisation musicale -avec laquelle il s’amuse à moderniser des pièces célèbres comme la Marche turque de Mozart, les Préludes de Bach ou le Canon de Pachelbel- «c’est elle qui permet de rendre chaque moment de musique unique, de m’adresser à chaque spectateur individuellement», dévoile-t-il.
Un concert imaginé comme un voyage
Ayant imaginé à travers ce concert un voyage qui partirait du XVIIe siècle pour aller jusqu’à aujourd’hui, Julien Gelas nous invite à le suivre autour de rendez-vous avec Bach, Mozart, Tchaïkovski, ou Oscar Petersen. Julien Gelas précise: « L’idée n’est pas de présenter une histoire de la musique au piano, mais de voyager à travers quelques morceaux choisis parmi mes compositeurs préférés, et faire partager mes dernières compositions au piano. Ce qui m’importe, est de transmettre des émotions, de créer des petites formes qui évoquent le rêve, l’amour, la tragédie, la joie, de jouer également plusieurs œuvres qui ont été données lors de mes concerts en Asie, et qui ont rencontré un grand succès dans mon premier album « L’éclaicie » ». Se succèdent alors des moments magiques comme un « Tempo » de toute beauté et une célébration de Notre-Dame de Paris, Julien Gelas rappelant ces instants tragiques d’avril 2019, moments terribles où un incendie la détruisit en partie avant que de renaître aujourd’hui.
Écrits par le pianiste lui-même dans des morceaux courts et tendus comme des haïkus, comme autant de poèmes musicaux, se déploient des instants de grâce. De La Traviata de Verdi à la Valse française de Tchaïkovski, du Rondo « Alla Turca » de Mozart, à quelques pages de Bach, nous passons d’un univers à l’autre avec un égal bonheur d’écoute mais aussi un sentiment pour l’auditeur d’une unité entre tous ces opus. On notera un son un peu métallique du piano conférant par moments à l’ensemble des accents futuristes.
Un pianiste, auteur et metteur en scène
Étant donné que Julien Gelas est aussi un auteur et metteur en scène -on pourra voir ou revoir au Chêne noir du 17 au 19 avril sa « Belle et la Bête » dont il a signé l’adaptation, la direction d’acteurs en plus d’avoir co-signé la musique-, on comprend aisément pourquoi il excelle sur scène dans l’art de raconter des histoires à la fibre très autobiographique. « Mes morceaux parlent de mon parcours, de la rêverie, du désir féroce qui gît en chacun de nous, mais aussi de ces moments plus orageux que les peintres ont nommé « le sublime », ces moments où la beauté et la terreur se mêlent et fascinent », explique-t-il. Et comme Julien Gelas est aussi un excellent pianiste au service de la partition « De Bach à nos jours », s’est imposé en un moment magique et aérien.
Jean-Rémi BARLAND