Absolument féérique. Un choc pour petits et grands, qui, signé Julien Gelas, fait se rejoindre musique, chanson, théâtre, chorégraphie, cerceau aérien, combat de cape et d’épée, pour une immersion totale dans un conte célèbre aux multiples adaptations. Une expérience unique où le réel se mêle au fantastique pour créer un univers totalement nouveau.
« La Belle et la Bête » ainsi donnée nous captive d’emblée grâce aux effets vidéos interactifs avec le jeu des interprètes, tous parfaits. « Depuis ma dernière adaptation du « Petit Chaperon rouge », l’univers merveilleux et profond des contes ne cesse de me ramener aux vérités essentielles de nos vies, » explique Julien Gelas qui précise que: « plus on les lit, plus on s’aperçoit qu’ils ont été écrits par des adultes, et qu’ils parlent parfois davantage des peurs et des rêves perdus des adultes que de la candeur et de la confiance en la vie des enfants. »
Un univers fantastique
« La Belle et la Bête » tel que l’a conçue cette création du Chêne Noir d’Avignon nous projette de fait dans un univers fantastique où les vertus de l’âme se retrouvent confrontées aux démons des apparences. Et si en ce monde tout n’était qu’apparences ? L’héroïne, derrière sa naïveté supposée, s’attache aux vérités du cœur, celles qui permettent de se frayer un chemin dans l’obscurité. On ne peut s’empêcher de penser ici au célèbre « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux » du « Petit Prince» de Saint-Exupéry.
Subjuguée, la salle reçoit l’ensemble comme un cadeau. D’autant plus que Julien Gelas n’a pas trahi l’esprit du texte original qui peut être résumé ainsi : « C’est l’histoire d’une jeune femme qui s’émancipe, une jeune femme qui, voulant sauver son père d’une mort certaine, finit par se détacher de lui et donner de la place à ses sentiments. Ce faisant, elle réussit à aller au-delà des apparences dans sa rencontre avec la Bête, qui a tout de repoussant. La Bête est colérique, violente, laide, seule, elle semble maudite comme un individu qui serait marginalisé, mais la Belle découvre en elle une autre dimension, celle de l’amour et de l’attention. » Julien Gelas de préciser alors la philosophie de son projet : « Ce que je trouve absolument passionnant dans ce conte, et qu’il met en lumière une vérité importante de notre existence. C’est ce que les deux personnages principaux sont en mesure de se libérer de leurs chaînes au moment même où ils sont les plus fragiles. Comme si, confrontés à leurs propres fragilités, ils y découvraient à l’intérieur une force insoupçonnée. Car derrière le voile de la peur et de la colère, il y a certainement le désir d’être heureux, et l’amour. L’histoire de « La Belle et la Bête » raconte cela », explique le metteur en scène-créateur qui ajoute : « Il était important pour moi de partir de la version de Madame Leprince de Beaumont, écrite quelques décennies avant la Révolution française. C’est cette version qui a popularisé le conte, et c’est par elle que la plupart des adaptations contemporaines ont été faites. Lorsqu’un chef-d’œuvre existe, et qu’on a l’audace de s’y confronter, il faut avoir le respect et la modestie nécessaire pour puiser dedans. L’histoire telle que nous la narre Madame Leprince de Beaumont, est assez simple et épurée de nombreuses pages que Madame de Villeneuve avait écrites peu avant elle. L’élément central de sa version, outre l’évolution des deux personnages principaux, est la jalousie des deux sœurs à l’égard de la Belle. »
Esthétique remarquable
Travail esthétique remarquable jamais esthétisant, véracité des personnages et des lieux traversés, moment de grâce absolue quand La Belle évolue dans un cerceau suspendu dans les airs, guitare et voix magiques du conteur, on ne peut que souscrire aux propos de Julien Gelas : « J’ai voulu créer un spectacle où la beauté serait notre fil conducteur. La mise en scène est ce qui risque de surprendre le public, car si j’ai essayé de rester fidèle à l’écriture à la version classique du texte. Avec la mise en scène j’ai souhaité nous projeter dans une univers vidéo propre à notre temps. Ainsi, le château de la Bête est un univers numérique. Nous avons travaillé avec une équipe de designers pour concevoir un univers graphique qui nous transporte dans un ailleurs. »
Utilisation des technologies interactives sur le plateau
Mais surtout, la grande nouveauté de ce spectacle c’est l’utilisation de technologies interactives au plateau. Certaines images sont directement envoyées par les acteurs selon leurs mouvements, et cette idée de créer un spectacle immersif où le spectateur se sent plongé dans l’histoire fonctionne à merveille. Enfin, on ajoutera que c’est un spectacle où la musique est très présente. « J’ai composé quarante cinq minutes de musiques qui sont parfois chantées. Nous sommes partis d’un conte universel pour en faire un spectacle unique en son genre. Les deux sœurs sont les véritables « méchantes » de l’histoire, elles sont absentes de la version de Walt Disney, or j’ai trouvé qu’elles donnaient beaucoup de possibilités pour le spectacle. J’ai donc accentué leur jalousie et leur méchanceté. J’ai pris l’un des frères de la Belle pour en faire le narrateur de l’histoire, c’est par lui que le fil narratif va se dérouler, c’est une sorte de Scaramouche bienveillant. Sans dévoiler l’histoire, j’ai également tissé plusieurs liens entre les personnages qui n’existaient pas dans l’histoire d’origine. »
Interprètes au diapason
L’interprétation frise elle aussi la perfection. Liwen Liang, la Belle, Jacques Vassy, le père, François Santucci, le narrateur, Guillaume Lanson, un des frères de La Bête, Max Millet, qui joue successivement, le Chef de Ville, un frère et le Prince, Holly-Rose Clegg et Océane Rucinski, les deux sœurs méchantes qui finissent par être touchées par la beauté et la bonté, pour se fondre dans ces propos de la Fée -veillant sur la Belle : « A chaque fois qu’un obstacle se trouve sur ton chemin je serai toujours là pour toi. »- rivalisent d’ingéniosité pour offrir une interprétation choral des plus lumineuses. La Bête à qui l’on a fait un masque et une voix à la Dark Vador incarnant la souffrance d’un cœur pur secoué par la laideur d’un corps monstrueux est absolument inoubliable. Tout comme l’ensemble de ce spectacle qui fait honneur à la création théâtrale moderne. Ce qui est souvent le cas dans ce lieu mythique qu’est le Chêne noir d’Avignon.
Jean-Rémi BARLAND
« La Belle et la Bête » au Théâtre du Chêne noir, 8 bis rue Sainte Catherine 84 000 Avignon. Ce vendredi 19 avril à 20heures. Durée 1h30. Spectacle à partir de 5 ans. Réservation : 04 90 86 74 87 – Plus d’info: chenenoir.fr