Publié le 31 décembre 2019 à 10h38 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h43
Donnez du grain à moudre à Laurent Pelly, il en fera un chef-d’œuvre. Et lorsque ce grain prend la forme du livret de «Barbe-Bleue», co-signé Meilhac et Halévy d’après le conte de Perrault largement revisité, et que la musique est posée sur la partition par la main d’Offenbach, il ne faut pas être grand clerc pour envisager de voler vers le succès. Les scènes lyriques de Lyon et Marseille ne s’y sont pas trompées qui se sont unies afin de coproduire cet opéra-bouffe en trois actes en en confiant la mise en scène au dit Pelly. Créée en juin dernier entre Rhône et Saône, cette production est proposée depuis samedi soir sur les rives du Lacydon pour passer en joie d’une année à l’autre. Fin connaisseur de l’œuvre d’Offenbach, dont il travaille ici sur un onzième opus, Laurent Pelly décape le conte pour en livrer une lecture contemporaine, réaliste et savoureuse. Derrière la parodie et le comique de situation, il n’ignore rien du serial-killer qu’est Barbe-Bleue, du tyran odieux qu’est le roi Bobèche, tout en revendiquant l’affirmation de l’érotisme latent qui sert de fil rouge à l’œuvre ; le tout avec inventivité et distinction. Si pour servir son propos, à Lyon, Pelly pouvait compter sur le talent de Yann Beuron, à Marseille, son Barbe-Bleue est campé par un Florian Laconi qui n’est pas en reste, loin s’en faut. Look hipster, de cuir vêtu, il est un parfait Casanova mâtiné de Landru suivant la volonté du metteur en scène. Quelle performance théâtrale et vocale pour le ténor qui ne manque ni d’aisance, ni de talent afin d’incarner un Barbe-Bleue tour à tour désopilant ou inquiétant. Du grand art… A cet érotomane hors pair, il fallait marier une nymphomane voluptueuse, ce qui est fait avec la Boulotte d’Héloïse Mas. Toutes chairs dehors, ou presque («c’est un Rubens», ne l’oublions pas) la gaillarde campagnarde accompagnée d’un beau mezzo affuté cherche l’amour dans le pré et la bagatelle un peu partout. Que du bonheur ! Aux côtés de ce duo déchaîné, il fallait réunir une distribution homogène, certes, mais aussi un tantinet déjantée. Aussitôt dit, aussitôt fait par le directeur général Maurice Xiberras qui ne s’y est pas fait prier. Pour incarner la bergère Fleurette qui deviendra princesse Hermia, c’est Jennifer Courcier, son charme naturel et sa limpide voix de soprano, qui s’y collaient avec bonheur une fois de plus (elle était de la création à Lyon). L’occasion de se rappeler ici que la jeune femme fut pensionnaire, il y a quelques années, du défunt et regretté CNIPAL dont on ne dira jamais assez combien le travail qui y était effectué pouvait porter de fruits ; Jennifer Courcier en est l’exemple même, tout comme de nombreux autres artistes lyriques qui l’ont fréquenté et se produisent aujourd’hui sur les plus grandes scènes un peu partout dans le monde. Cécile Galois incarne idéalement la reine Clémentine et les cinq premières femmes de Barbe-Bleue, Héloïse, Éléonore, Isaure, Rosalinde et Blanche, lascives et installées par Popolani dans un boudoir de maison close, ont les voix agréables et les traits charmants d’Émilie Bernou, Pascale Bonnet-Dupeyron, Marianne Pobbig, Elena Le Fur et Mélanie Audefroy. Du côté des hommes, c’est aussi du luxe à tous les étages. Guillaume Andrieux est un Popolani inquiétant et savoureux et Jérémy Duffau un prince Saphir grand dadais à souhait. Une mention spéciale pour Francis Dudziak, remarquable en comte Oscar avec ce moment inoubliable qu’est la scène des courbettes au palais royal. Antoine Normand est un Roi Bobèche court sur pattes et déplaisant à souhait (c’est son rôle) et Jean-Michel Muscat incarne Alvarez. Les figurants, Michèle Bilhaut, Jade Saget, Pascal Bayart, Laurie Freychet, Raphaël Manas et Eric Pecout méritent aussi d’être salués ici. Il convient de louer, une fois de plus, mais c’est une bonne habitude, la qualité d’un chœur exceptionnel, superbement préparé par Emmanuel Trenque et idéalement exploité, scéniquement, par Laurent Pelly. A tous les pupitres, ils chantent et jouent avec talent. Que demander de mieux ? Puis il y a la cerise sur le gâteau, le point d’orgue : la direction soignée, généreuse et intelligente de Nader Abbassi qui a su exploiter de la meilleure façon qui soit les qualités d’un orchestre attentif pour faire vivre la musique d’Offenbach et lui procurer cette pâte si particulière qui lui sied parfaitement. Le maestro, qui dirigeait ce «Barbe-Bleue» pour la première fois dans sa carrière, y a pris beaucoup de plaisir ; les instrumentistes aussi, vraisemblablement, car le son de l’orchestre, samedi soir, était exceptionnel. On en redemande.
Michel EGEA
Pratique. Autres représentations : les 31 décembre et 3 janvier à 20 heures, le 5 janvier à 14h30. Location : 04 91 55 11 10 / 04 91 55 20 43 – opera.marseille.fr