Publié le 28 février 2013 à 1h00 - Dernière mise à jour le 6 juin 2023 à 18h54
Un départ émouvant… et très commenté !
Alors que son pontificat s’achèvera officiellement ce jeudi à 20h, Benoit XVI a fait ses adieux, particulièrement émouvants, aux fidèles mercredi sur la place Saint-Pierre de Rome. Mais alors qu’il n’a pas encore quitté son ministère, les spéculations, relayées par la presse, sont déjà légion pour tenter d’apporter une explication à sa décision inattendue et historique du 11 février dernier.
« J’ai senti, ces derniers mois, que mes forces allaient diminuant, et j’ai demandé à Dieu, avec insistance, dans la prière, de m’illuminer de sa lumière pour me faire prendre la décision la plus juste, non pas pour mon bien, mais pour le bien de l’Église. J’ai posé ce pas dans la pleine conscience de sa gravité et de sa nouveauté, mais dans une profonde sérénité d’âme. Aimer l’Église signifie aussi avoir le courage de faire des choix difficiles, souffrants, en ayant toujours devant soi le bien de l’Église et non son propre bien personnel. »
C’est par ses mots que Benoit XVI, très ému, est revenu sur le sens de sa démission, annoncée le 11e février, lors de son ultime apparition publique en tant que pape, ce mercredi 27 février place Saint-Pierre, où s’étaient rassemblés 150 000 fidèles. Un discours qui résonne comme un testament spirituel la veille de son départ officiel du ministère de Pierre ce jeudi 28 février à 20 heures. L’occasion de revenir sur les grandes étapes de son pontificat, à commencer par le jour de son élection, le 19 avril 2005. « Seigneur, que me demandes-tu ? Ce que tu me poses sur les épaules est un grand poids, mais si tu me le demandes, je jetterai les filets, sûr que tu me guideras », s’est-il souvenu en s’adressant au Christ à haute voix. Avant d’ajouter : « Et le Seigneur m’a vraiment guidé, il m’a été proche, et j’ai pu sentir quotidiennement sa présence. »
Se référant à l’épisode de l’Evangile où la barque de Pierre est prise dans une tempête, il est revenu sur les moments les plus difficiles de son ministère. « Ce fut un trajet du chemin de l’Église qui a eu ses moments de joie et de lumière mais aussi des moments non faciles (…) le Seigneur nous a donné tant de jours de soleil et de brises légères, des jours où la pêche était abondante ; mais il y a eu aussi des moments où les eaux étaient agitées, et le vent contraire, comme dans toute l’histoire de l’Église, et le Seigneur semblait dormir. » Avant de préciser qu’il a « toujours su que dans cette barque, il y avait le Seigneur et j’ai toujours su que la barque de l’Église n’était pas la mienne, n’était pas la nôtre, mais la sienne et qu’il ne le laisse pas couler. C’est lui qui la conduit, y compris avec les hommes qu’il a choisis. » Le pape pose à travers ces mots une vraie question théologique qu’on osera qualifier de « sacrée » : si Dieu dirige tout, quid du libre-arbitre ? Et de la question de la foi elle-même ?
« Je ne retourne pas à la vie privée »
Benoit XVI a également évoqué le poids de ses fonctions sur sa propre vie privée. Se référant à nouveau à son élection, il souligne « qu’à partir de ce moment et ensuite, j’étais occupé, toujours et pour toujours par le Seigneur. Toujours – celui qui assume le ministère pétrinien n’a plus aucune vie privée. Il appartient toujours et totalement à tous, à toute l’Église. On peut dire qu’il est totalement privé de la dimension privée de sa vie. » Et de préciser que sa démission ne changera rien à ce dévouement total à l’Eglise. « Avec le « toujours », et même le « pour toujours » il n’est plus possible de retourner à la vie privée. Ma décision de renoncer à l’exercice actif de mon ministère ne remet pas cela en cause. Je ne retourne pas à la vie privée, avec une vie de voyages, de rencontres, de réceptions, de conférences… Je n’abandonne pas la croix, mais je reste d’une manière nouvelle près du Seigneur crucifié », explique celui qui deviendra ce jeudi 28 février à 20 heures « pape émérite », un titre qui lui vaudra de continuer à porter la soutane blanche. Et, tout en soulignant qu’il « demeure au service de la prière », il a remercié les fidèles du monde entier pour leur « respect » et leur « compréhension » face à la « décision tellement importante » qu’il a prise.
Autant de propos qui continueront nourrir à n’en pas douter toutes les spéculations sur les raisons qui ont poussé le pape Benoit XVI à quitter son ministère tant sa décision a surpris les catholiques et tous les observateurs à travers le monde. Par son caractère historique et inédit en tout premier lieu car rappelons qu’il faut remonter au XVe siècle pour trouver d’une précédente démission d’un pape. C’est à l’époque Grégoire XII, élu pape en 1406 à un des pires moments de l’histoire de l’Eglise en occident, celui du Grand schisme d’occident, qui avait présenté sa démission au Concile de Constance en 1415.
« En cinquante ans, nous avons appris que la fragilité humaine est également présente dans l’Eglise »
Le 11 février, Benoit XVI, qui aura 86 ans le 16 avril, avait mis en avant les forces qui lui manquaient pour continuer à assurer son ministère. Mais forcément cette décision interpelle et interroge, chacun cherchant à dénicher les « vraies raisons » (encore faut-il qu’elles existent ?) qui ont pu pousser le pape en exercice à renoncer à son ministère. Et nul doute que ces spéculations ne s’achèveront pas avec son départ son jeudi.
Depuis l’annonce de sa décision, c’est un article publié par le quotidien italien « La Repubblica » qui a fait couler le plus d’encre. Dans ce papier aux accents volontiers sensationnalistes, le journal s’appuie sur des propos tenus par le pape en direction de jeunes, le jeudi 11 octobre dernier, le jour où l’Eglise commémore Jean XXIII, 50 ans après le début du Concile Vatican II. « Il y a cinquante ans, j’étais comme vous, sur cette place, avec les yeux tournés vers le haut pour regarder et écouter les paroles pleines de poésie et de bonté du pape. Nous étions alors heureux. Enthousiasmés, nous étions sûrs qu’allait venir un nouveau printemps de l’Eglise. » Courte pause. « Aujourd’hui, la joie est plus sobre, humble. En cinquante ans, nous avons appris que la fragilité humaine est également présente dans l’Eglise. »
Et le quotidien italien de lier la teneur de ces propos à une énième rencontre qu’aurait eue Benoit XVI avec le cardinal espagnol Julian Herranz. Agé de 82 ans, membre de l’Opus Dei depuis 1949, il est celui qui dirige la commission de trois cardinaux mandatés par le pape lui-même pour enquêter sur le scandale généré par le détournement de la correspondance privée de Benoit XVI que les journaux ont dénommé « Vatileaks ». Une affaire qui a conduit à la condamnation à 3 ans de prison, une peine immédiatement réduite à 18 mois en raison des services rendus à l’Eglise, de l’ex-majordome du pape, Paolo Gabriele, un laïc de 46 ans, reconnu coupable de vol aggravé de documents confidentiels du Vatican.
Le « lobby gay » révélé par le rapport du cardinal Herranz ?
Or, dans le cadre de son enquête, le cardinal Herranz aurait, selon la Repubblica, révélé la teneur d’un rapport qui parle pour la première fois d’homosexualité au sein d’un milieu de prélats de niveau assez élevé. Ces derniers auraient été soumis à un chantage de la part de laïcs avec lesquels ils entretiendraient des relations homosexuelles. C’est selon le quotidien italien, qui parle de « lobby gay » à l’intérieur du Vatican, la révélation la plus épineuse que contiendraient les deux volumes de 300 pages, le fruit du travail des trois cardinaux enquêteurs, avec l’entête « sous secret pontifical » qui ont été remis à Benoit XVI. Et que ce dernier transmettra exclusivement à son successeur, comme il l’a annoncé ce lundi 25 février.
Mais l’un des problèmes soulevés n’est-il pas d’avoir confié cette enquête à un membre de l’Opus Dei ? D’autant que traditionnellement l’armée du pape, ce sont les jésuites.
Alors quel crédit accorder à ces affirmations qui n’ont suscité ni démenti, ni confirmation, ni commentaires de la part du Vatican ? Pour accréditer cette thèse on pourrait s’appuyer sur l’un des derniers faits marquants du pontificat de Benoit XVI : la démission rendue publique ce lundi 25 février du cardinal Keith O’Brien, principal ecclésiastique catholique de Grande-Bretagne. Agé de 74 ans, il est accusé de « comportement indécent » par trois prêtres et un ancien prêtre. Il avait annoncé en novembre son intention de démissionner de son poste d’archevêque de Saint Andrews et Edimbourg en Ecosse à l’occasion de son 75e anniversaire en mars 2013. Mais « le Saint-Père a désormais décidé que ma démission prendrait effet aujourd’hui, le 25 février 2013 », a déclaré le cardinal dans un communiqué publié lundi. Keith O’Brien, qui devait participer au conclave pour élire le successeur du pape, quitte ainsi sa fonction d’archevêque et, bien que demeurant cardinal, il ne se rendra pas à Rome. Une décision qu’on peut considérer comme le dernier acte « politique » de Benoit XVI.
Un faisceau d’affaires ?
Mais de nombreux observateurs ne croient pas à cette explication du départ de Benoit XVI, à commencer par Christian Makarian, directeur délégué de la rédaction de L’Express. « Il est invraisemblable de le croire. La décision est antérieure au rapport. La vérité c’est que c’est l’accumulation qui a produit la décision de Benoît XVI, il a souhaité produire un électrochoc historique », analyse-t-il en estimant en revanche que « le pape a démissionné pour un faisceau accablant de raisons ». Et d’évoquer les scandales liés aux affaires de pédophilie ou celui de l’IOR, l’Institut pour les œuvres de religion, dite la « banque du Vatican », la principale institution financière du Saint-Siège. Cette banque privée, formellement instituée en 1942 par Pie XII, qui gère les avoirs de tous les prêtres dans le monde, a vu, suite aux affaires, son directeur, l’économiste italien Ettore Gotti Tedeschi, être limogé l’année dernière. Et Christian Malakian d’en déduire : « Le pape a-t-il démissionné parce qu’il en avait assez ? La réponse est non. Ou parce qu’il croyait que l’Eglise avait besoin d’un sursaut et qu’elle était capable de se redresser avec un autre que lui ? La réponse est oui, mais elle soumise totalement au choix de son successeur. »
Ce qui est également certain, c’est que d’autres révélations jalonneront les prochains mois, révéler les « vraies raisons » du départ du pape constituant à n’en pas douter le scoop du siècle.
Dans ce contexte épineux, quel est le successeur idéal de Benoit XVI ? C’est peut-être à cette question plus qu’à aucune autre que tenteront de répondre dans les prochains jours les cardinaux réunis en conclave à Rome.
Andoni CARVALHO
