Publié le 22 mai 2014 à 20h53 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h51
Directeur du Festival international de musique et d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence, Bernard Foccroulle, est aussi compositeur et organiste de renom. Natif de Liège, il est devenu un «euroméditerranéen » convaincu par l’entremise des musiques de tradition orale. Il est aussi un fervent défenseur du dialogue entre les communautés, des échanges interculturels. Pour lui, l’avenir du bassin méditerranéen mais aussi des relations Europe-Méditerranée passe par là. Et la culture a un rôle majeur à jouer. Interview.
Bernard Foccroulle, quel est le cheminement qui a mené à cette intégration de l’orchestre des jeunes de la Méditerranée au Festival d’Aix-en-Provence ?
Le point départ de tout cela se situe au cours de la préparation de la résidence du LSO. Nous nous sommes demandés pourquoi ne pas associer un orchestre de jeunes à cette résidence. Mais nous ne voulions pas faire de concurrence à l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée qui avait un programme déjà bien ficelé, avec une tournée et un concert à Aix-en-Provence dans le cadre du Festival. L’actualité malheureuse des conflits ayant une incidence sur le fonctionnement de l’orchestre, en 2010, nous avons relancé le projet de collaboration accrue avec l’OJM en concertation avec le Conseil régional. La question s’est alors posé de son intégration à la structure festival et Académie européenne de musique. Personnellement j’étais un peu sur la défensive. D’une part, je ne tenais pas être le dindon de la farce avec la gestion d’un orchestre sur les bras sans les subventions des tutelles, d’autre part je ne voulais pas que l’on puisse dire que le Festival était tentaculaire et avait récupéré l’OJM. Nous avons débuté des collaborations et au fil des années, notamment avec MP2013, la dimension méditerranéenne du Festival a pris de l’importance. Du coup, une collaboration plus rapprochée prenait du sens. Nous avons donc exploré les différentes possibilités et avons opté pour la «fusion absorption» intégrant l’orchestre comme l’un des quatre éléments de l’Académie européenne de musique avec lechant, la musique de chambre et l’opéra en création.
Des choses vont-elles changer cette année ?
L’orchestre va tenir, cette année, sa session symphonique comme les années précédentes. C’est Alain Altinoglu qui sera à sa tête. Ce dernier, de par ses origines turques notamment, est très motivé et impliqué dans ce travail. Nous espérions l’avoir deux ans avec nous, malheureusement pour nous et tant mieux pour lui, en 2015 il dirigera à Bayreuth. C’est dire son niveau. Au fil des ans, nous développerons un travail déjà entamé l’an dernier avec des ateliers pour moyennes et petites formes. Pour l’heure nous restons sur une présence de 92 musiciens issus de 20 nationalités différentes au terme d’auditions menées dans les grandes villes du bassin.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
Outre le développement des ateliers, nous tenons à restaurer une tournée méditerranéenne importante dans plusieurs villes. D’ores et déjà, l’année prochaine, Milan accueillera l’OJM et, certainement, la Tunisie. Puis, toujours en 2015, une trentaine de musiciens de cet orchestre travaillera sur la création d’un opéra « tout public » avec Simon Rattle pour maître d’œuvre. Le LSO et le Berliner seront aussi associés et cette production qui sera donnée à Aix, mais aussi à Londres et Berlin. Encore un exemple de cette transmission de savoir entre artistes, que j’affectionne particulièrement Nous voulons aussi ouvrir la programmation sur le répertoire méditerranéen et sur le développement de petits formats qui seraient plus faciles à exporter vers d’autres pays.
Quelles sont les répercussions financières liées à cette fusion ?
Nous avons l’assurance de pouvoir compter sur les budgets spécifiques alloués à l’orchestre par les tutelles. Mais le fait de reprendre l’OJM va permettre la mutualisation de certains services comme la communication, la gestion et l’administration. De fait nous allons économiser sur le fonctionnement pour abonder un peu plus l’artistique.
Comment vous est venu cet amour de la Méditerranée ?
Par la musique, bien sûr. J’ai toujours eu un réel intérêt pour les musiques de tradition orale. Lorsque je dirigeais La Monnaie à Bruxelles, je programmais déjà des concerts en ce sens. Alors, ici, à Aix-en-Provence, plus qu’ailleurs, j’ai eu à cœur de poursuivre en me tournant vers la tradition orale des pays du bassin méditerranéen. Car cette région est un creuset interculturel et inter communautaire. Le 21e siècle sera celui du dialogue entre les cultures sinon ce sera le choc des civilisations. Des deux hypothèses, je préfère et espère, la première.
Vous êtes arrivé en 2007 à la direction du Festival d’Aix et dès l’année
suivante vous affirmiez votre volonté d’ouverture sur le bassin. Et depuis les choses deviennent pérennes…
Oui. En accueillant Moneim Adwan et Françoise Atlan en 2008, la porte s’ouvrait sur la Méditerranée et sur le dialogue. Depuis, Moneim conduit une résidence qui a, entre autres, débouché sur la création du chœur multiculturel Ibn Zaydoun qui, pour être amateur, n’en demeure pas moins de très grande qualité. L’enregistrement d’un CD, l’an dernier, est là pour en témoigner. Puis, il y a quelque temps, l’idée de création d’un opéra est arrivée. La première étape de ce grand œuvre est programmée au théâtre du Jeu de Paume le 31 mai prochain. Il s’agit de «La colombe, le renard et le héron», une fable tirée du recueil «Kalila wa Dimna ». C’est pour l’instant une restitution d’atelier qui préfigure ce que pourrait être l’opéra construit autour de ce recueil qui est aussi important dans le monde arabe que «Les Mille et une nuits». Il est évident que cet opéra qui sera créé en 2016 sera appelé à tourner largement tout autour de la Méditerranée.
En donnant une des productions du Festival, «L’enfant et les sortilèges» de Ravel l’an dernier au Maroc, des nouvelles perspectives sont-elles nées ?
Je pense. Nous avons reçu un très bel accueil au Maroc avec la production de «L’enfant et les sortilèges». Et le 31 mai, au Jeu de Paume, les responsables de l’Institut français au Maroc seront là. En fait, ils nous demandent de travailler afin qu’un opéra différent puisse être présenté chaque année dans cinq ou six villes marocaines. Nous avons aussi une demande à peu près équivalente de la part de la Tunisie et j’aimerais pouvoir travailler avec Le Caire. Je m’y suis rendu pour les auditions de recrutement de l’OJM et j’ai pu constater l’excellence du niveau musical en Égypte et la qualité de certaines installations comme le conservatoire.
Quel regard portez-vous sur cette dimension méditerranéenne qui fait désormais partie de votre quotidien de directeur de l’un des plus importants festivals de musique et d’opéra au monde ?
Les choses se mettent en place plus vite que je ne le pensais. On ne mesure pas combien ces liens avec l’Europe sont essentiels, vitaux même, pour les pays du sud de la Méditerranée et du Proche-Orient. Au-delà des belles rencontres, d’année en année, nous avons fait évoluer une réflexion commune. Nous apportons notre savoir-faire en matière d’enseignement musical, de médiations, nous échangeons sur les traditions orale et écrite en matière de musique. Tout ceci est très important et nourrit le travail des intervenants lorsqu’ils retournent chez eux. A cela s’ajoute la présence du MuCEM, lieu artistique, et celle de la Villa Méditerranée, lieu citoyen, qui sont deux formidables compléments favorisant le dialogue entre les cultures de la Méditerranée. Si la dimension méditerranéenne n’était pas le point fort du Festival d’Aix, il y a quelques années, aujourd’hui il faut s’en emparer et en faire un atout majeur.
Propos recueillis par Michel EGEA