Pour commémorer les 30 ans du génocide des Tutsis au Rwanda qui a fait près d’un million de morts entre le 7 avril et le 4 juillet 1994, l’artiste international Bruce Clarke, en collaboration avec la Fondation Camp des Milles, présente l’exposition « Comment vivre après…». Le choix du lieu n’est pas anodin. Les génocides procèdent toujours sur le même schéma.
Dire l’indicible
Comment traduire un génocide. Comment suggérer l’indicible ? Le plasticien Bruce Clarke apporte son regard dans cette exposition au camp des Milles. Une résistance artistique contre l’oubli et la réitération d’un engrenage meurtrier. « Ce qui s’est passé au Rwanda n’aurait pas eu lieu s’il n’y avait pas eu la Shoah et la Shoah ne se serait pas produite s’il n’y avait pas eu le génocide arménien. Il y a une sorte de continuité historique qu’il faut systématiquement rappeler », analyse Bruce Clarke. « C’est quand même difficile de tuer son voisin juste parce qu’une autorité locale te le dit. Ça ne se fait pas comme ça ». Alors comment décide-t-on d’abandonner sa propre humanité en devenant bourreau ? Selon Bruce Clarke: « Il faut déshumaniser l’autre et cela se fait à long terme. La solution finale au Rwanda est déjà évoquée dans les années 60. La radio des Milles collines n’a été qu’un amplificateur ».
Des êtres géants
En 2014 Bruce Clarke a réalisé une vaste exposition sur les murs de Kigali. Des personnages géants de plus de 20 mètres de haut. Une manière d’affirmer l’individu dans l’espace publique, de le présenter debout et non à genoux, déshumanisé comme dans tout projet génocidaire. En 2024, il présente « Des Femmes debout ». Elles ont survécu plus massivement au génocide, ont reconstruit le pays et l’artiste souhaitait leur rendre hommage. Au camp des Milles une esquisse est présentée mais l’artiste a surtout voulu montrer à travers sculptures, tableaux, textes, « la Vie d’après » qui est le titre de l’exposition. Le traumatisme des rescapés et le pays à reconstruire.
« Le camp des Milles, une évidence »
Pour Bruce Clarke, exposer au camp des Milles était une évidence. « Il y a une similarité dans les stratégies de planification des génocides. Elle éclate ici. Chaque fois que des massacres ont eu lieu au Rwanda, personne n’a réagi. La communauté internationale détournait le regard. Et si on détourne le regard on ouvre la porte au génocide. C’est cela qui a encouragé les bourreaux des Tutsis jusqu’au paroxysme de 1994».
« Briser le silence »
« L’occultation et le silence, ont été des manières d’éviter de regarder en face le passé voire le présent», analyse Alain Chouraqui, président de la fondation du Camp des Milles. « On le voit aujourd’hui, beaucoup préfèrent se taire, euphémiser les choses or il faut briser le silence car il est toujours malsain et annonce de mauvaises choses voire le recommencement du pire ». Des génocides peuvent encore se produire alors ? « Cela peut toujours arriver. L’effort d’éducation et d’alerte est infini », conclut Alain Chouraqui.
Reportage Joël Barcy
L’exposition « La Vie d’après » au camp des Milles se tient jusqu’au 9 juin – Plus d’info: