Publié le 8 octobre 2015 à 23h30 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h44
C’est une visite historique qui s’est déroulée au camp des Milles ce 8 octobre, pour la première fois, avec François Hollande, un Président de la République est venu sur ce site. Première fois aussi qu’un Président se rend dans un camp sous autorité vichyste, qui fonctionna entièrement avant l’occupation allemande de la zone dite «libre». Il a annoncé à cette occasion une révision, d’ici la fin de l’année, du Code Pénal, faisant du racisme et de l’antisémitisme une circonstance aggravante «quelle que soit l’infraction, quel que soit l’auteur», un texte sera présenté avant la fin de l’année. Une intervention qui s’en prendra «à ceux qui jouent sur les peurs pour diviser, séparer et parfois détester»; rappellera que «la République ne connaît ni races ni couleurs, elle ne reconnaît pas les communautés. Elle ne connaît que des citoyens libres et égaux en droit»; insistera surtout sur l’importance de la transmission, de la réflexion, de la fraternité «ne rien ignorer pour être soi-même capable d’être responsable». Une visite qui avait pour objet l’inauguration, par le Président de la République et Irina Bokova, Directrice Générale de l’Unesco, d’une Chaire Unesco intitulée «Éducation à la citoyenneté, sciences de l’homme et convergence des mémoires». Attribuée conjointement à l’Université d’Aix Marseille et à la Fondation du Camp des Milles-Mémoire et Éducation, cette Chaire rassemble des universitaires de 14 pays d’Europe, d’Afrique du nord, d’Afrique noire et d’Asie, sous la responsabilité scientifique d’Alain Chouraqui, directeur de recherche émérite au CNRS.
«Toute l’histoire doit être transmise avec exactitude face aux négationnistes»
Le Président de la République a tenu à rendre hommage à Alain Chouraqui : «C’est à vous que nous devons d’être ici aujourd’hui, les scolaires, les enseignants, les chercheurs.» Il évoque l’importance de la volonté de «transmettre, connaître, donner, aux générations qui viennent, les outils de la vigilance, pour que rien ne se reproduise et , en même temps, la capacité de comprendre. Ne rien ignorer pour être soi-même capable d’être responsable». Il signifie toute l’importance qu’il accorde «à la mémoire citoyenne. Elle n’est pas une addition de mémoires plurielles. C’est celle qui réconcilie, unit, relie. Il n’y a pas de souffrance ou de victimes supérieures aux autres. Pas d’histoire qui écarterait. Toute l’histoire doit être transmise avec exactitude face aux négationnistes».
Or, pour le chef de l’État, le Camp des Milles est un de ces lieux «qui sont des leçons d’histoire. Il y a ¾ de siècle, un enchaînement, un engrenage fatal qui a conduit des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants dans les camps d’extermination». Et c’est avec force qu’il rappelle : «Ces opérations ont été menées par des Français, sous le contrôle de l’administration française». «Nous avons le devoir, lance-t-il, dans ce Vel d’Hiv du sud, de garder le souvenir des victimes et d’évoquer nos responsabilités et d’appeler à la vigilance». Considérant que «ce qui s’est produit ici c’est le résultat d’une longue dérive, d’un mouvement qui a vu toutes les digues démocratiques qui paraissaient solides sauter les unes après les autres. La première digue fut celle des mots. (…) Puis la deuxième fut celle de la loi (…) lorsqu’elle s’est mise à désigner des suspects, des indésirables. Puis c’est la République qui fut abattue, de droit d’exception on est passé à l’exclusion, aux dénaturalisations, aux professions interdites, à l’étoile jaune».
« Aujourd’hui nous savons que l’impossible peut devenir possible »
Pour François Hollande : «Aujourd’hui nous savons que l’impossible peut devenir possible. Nous avons donc le devoir de refuser certains mots, et de dénoncer les effets de ces mots, ce qu’ils traduisent, des divisions, des amalgames, des ressentiments, des exclusions, des discriminations. La vocation d’un lieu comme le Camp des Milles c’est de nous y aider (…). Alors il faut venir dans ces lieux pour que tout soit restitué dans cette logique». Il n’omet pas de signaler que le ministère de la culture, des anciens combattants, accompagnent le Camp des Milles depuis 2010.«Je souhaite aller plus loin en faisant du Camp des Milles un partenaire national de l’État pour la formation et la citoyenneté par la mémoire. Car le site a été la première institution pour laquelle la Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme et l’Antisémitisme a passé une convention parce qu’il avait bien conscience que c’était là que le Plan que j’avais annoncé pouvait trouver sa traduction».
Le chef de l’État en vient, enfin, à la question des réfugiés, au droit d’asile «qui est un droit fondamental inscrit dans les conventions internationales sur l’accueil des réfugiés». Et de revenir sur quelques chiffres : «Le nombre de Syriens que nous avons en 3 ans ne dépasse pas les 8 000. (…) Et certains voudraient nous faire croire que nous sommes envahis». La France est loin « des 500 000 réfugiés que l’Allemagne a accueilli et s’engage à en accueillir 24 000 dans les deux ans».
Irina Bokova, Directrice Générale de l’Unesco souligna que le camp des Milles est «un lieu qui montre que l’éducation, la recherche, la culture sont plus fortes que la haine. Un lieu pour dire que la connaissance de l’Histoire donne à chacun les outils pour résister aux discours qui exploitent l’ignorance et la peur, qui circulent dans la rue ou sur Internet. Nous devons permettre à chacun de maîtriser ces outils. L’examen du passé ne nous affaiblit pas. Il ne nous divise pas. Au contraire, la connaissance nous élève, elle aiguise nos consciences, elle est un antidote, pas toujours suffisant, mais toujours nécessaire, contre l’indifférence et le crime.» Affirmant que la Chaire «constitue l’armature d’un effort international pour l’éducation à la citoyenneté mondiale. Ce travail n’est pas tourné vers le passé, c’est un effort pour combattre le racisme, l’antisémitisme et le négationnisme aujourd’hui, prévenir les génocides demain».
Michel CAIRE