Camp des Milles : Juifs, Chrétiens et Musulmans en appellent à un pacte de fraternité entre les religions

Publié le 30 novembre 2015 à  0h48 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  20h54

L'islamologue Ghaleb Bencheik, Reouven Ohana, le grand rabbin de Marseille, le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon et Alain Chouraqui, président de fondation du Camp des Milles lors de la table ronde organisée dans le cadre de la Conférence nationale interreligieuse (Photo Robert Poulain)
L’islamologue Ghaleb Bencheik, Reouven Ohana, le grand rabbin de Marseille, le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon et Alain Chouraqui, président de fondation du Camp des Milles lors de la table ronde organisée dans le cadre de la Conférence nationale interreligieuse (Photo Robert Poulain)

Face au «Hainons-nous les uns les autres», de tous les intégrismes, les représentants des Chrétiens, Catholiques et Protestants, Juifs et Musulmans, viennent de lancer l’appel du Camp des Milles dans lequel ils rappellent avec force : «Les extrémistes, nationalistes, racistes ou religieux, les exclusions et les violences qu’ils engendrent n’ont pas leur place dans nos religions et dans nos sociétés». Un appel dont les premiers signataires sont le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, primat des Gaules, Ghaleb Bencheik, islamologue et président de la Conférence mondiale pour la Paix et Reouven Ohana, le grand rabbin de Marseille. Un texte lu en présence de jeunes scouts des trois religions qui ont visité le Camp des Milles et ont participé à des ateliers ensemble. Tous trois avaient au préalable participé à une table-ronde avec Alain Chouraqui, président de fondation du Camp des Milles.
«Ce projet a été lancé en janvier dernier,explique Alain Chouraqui, nous voulions que des voix qui comptent dans les trois religions monothéistes s’expriment et qu’un texte de référence soit réalisé». Monseigneur Barbarin considère : «Un fait doit être avancé, et il vaut pour la COP 21 qui débute, nous vivons dans une maison commune en tant que humain. Et, pour les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans, nous sommes issus d’une même source de vie. Si cette source est commune nous sommes donc dans un rapport fraternel. Pourquoi est-il malmené ? Parce que, comme chez les animaux, il y a des prédateurs parmi les Hommes. Face à cela nous devons mettre en avant un mot majeur dans nos trois religions : miséricorde. Il faut être prêt à lutter pour la miséricorde, c’est le fondement de la fraternité».

«J’appelle à l’insoumission et à la résistance à la barbarie»

Ghaleb Bencheik avoue prendre la parole avec émotion : «L’année civile finit comme elle avait commencé dans l’horreur et nous n’allons pas nous y habituer». Et de lancer: «J’appelle à l’insoumission et à la résistance à la barbarie». Il cite l’ecclésiaste, évoque le temps de l’effroi, puis celui de la condamnation. «Vient maintenant, poursuit-il, le temps du sursaut et du réveil des consciences». Il importe à ses yeux, face à l’horreur des attentats, «de travailler sur le court terme, ce qui est fait par les autorités mais aussi, sur le long terme, pour immuniser la jeunesse contre le fanatisme». Et d’affirmer: «Un énorme travail doit être accompli au sein de la religion musulmane. On ne peut se contenter de dire qu’il ne faut pas faire d’amalgame. Voilà des années que je m’égosille à demander une refondation de la pensée théologique islamique. L’islam s’inscrit dans le courant de la révélation humaniste qui s’inscrit dans le prolongement de la Torah et de la Bible, un courant d’amour sans retour, de bonté, de miséricorde. Mais il existe aussi, à côté, un corpus violent. Et ceux qui idéologisent en bénissant les attentats sont comptables et coupables devant Dieu et devant les Hommes». «Nous n’abdiquerons pas, prévient-il, car un avenir meilleur est toujours possible. Pour cela, il faut une quête solidaire de sens de l’avenir autrement il n’y aura pas d’avenir pour l’humanité». Alors Ghaleb Bencheik se prononce en faveur «d’un dialogue serein, exigeant, permettant de vivre la fraternité. Mais, il importe d’aller au-delà des mots, de les incarner. On crève d’un manque de convivialité, d’amour». Il revient sur les attentats, expriment une nouvelle fois sa sympathie, au sens premier du terme, pour les victimes, leurs familles: «Pour que le sang de ces innocents ne soient pas vain, il nous faut entreprendre un retour sur nous-mêmes, voir où sont les failles. Dire qu’aucune cause, aucune révolte n’autorise la terreur, le massacre des innocents». «Je suis frappé par la cécité des assassins», assène-t-il. Et de dénoncer ceux qui mettent en avant les versets belligènes du Coran et refusent de lire les injonctions à l’amour et notamment «celui qui sauve une vie à sauver la vie toute entière».
Le grand rabbin de Marseille revient sur les propos de Monseigneur Barbarin «Je tenais le même discours que vous sur les prédateurs lorsqu’une voix s’est élevée pour me dire : les animaux prédateurs font cela pour se nourrir, les humains massacrent gratuitement». Puis de citer la Torah : «Si un étranger vient séjourner avec toi, ne les molester point et tu l’aimeras comme toi-même». «Un texte qui passe du singulier au pluriel, explique le grand rabbin, c’est qu’il s’adresse à la fois au législateur et à chaque individu». Puis de considérer : «Si l’Homme a été créé en un seul exemplaire c’est pour que personne ne puisse dire: mon père est plus grand que le tien. C’est à partir d’un que l’humanité toute entière est née et, sauver une vie équivaut à sauver toute l’humanité. L’amour du prochain trouve son fondement dans l’empreinte de Dieu qui a imprimé l’Homme à son propre reflet. Offenser le prochain revient donc à offenser Dieu».
Michel CAIRE
Trois candidats aux régionales étaient présents à cette réunion : Gaëlle Lenfant et Hervé Guerrera, candidats sur la liste Castaner et Caroline Pozmentier, liste Estrosi.

Déclaration nationale interreligieuse pour la fraternité et contre les extrémismes

La déclaration nationale interreligieuse a été lue en présence de jeunes scouts des trois religions  (Photo Robert Poulain)
La déclaration nationale interreligieuse a été lue en présence de jeunes scouts des trois religions (Photo Robert Poulain)

I/Prologue
Nous avons aujourd’hui de fortes raisons d’être inquiets.
Bien que demeurant parmi les plus prospères au monde, les sociétés européennes démocratiques connaissent aujourd’hui des crises objectives mais aussi des incertitudes et des pertes de repères moraux engendrant des doutes et des peurs face à l’avenir.
Cette situation a ouvert une brèche dans le « vivre-ensemble » fondé sur les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité mais aussi de dignité, de justice et de laïcité.
Aujourd’hui, des mouvements extrémistes nationaux ou internationaux, politiques ou politico-religieux, tentent de rompre avec ce modèle à coups de dramatiques provocations terroristes mais aussi de discours démagogiques et d’incitations au repli, à la discrimination, au rejet voire à la haine de l’autre, menaçant ainsi la cohésion sociale et la paix civile.
L’arrivée en Europe de populations en détresse aggrave cette situation et conduit parfois à des réactions de rejet que nous condamnons avec la plus grande vigueur et qui font honte à nos sociétés.
«Si un étranger vient séjourner avec toi ; ne le moleste point, et tu l’aimeras comme toi-même», Lévitique 19, 33-34.
A partir du terreau des stéréotypes et des préjugés existant dans toute société, se développent ainsi en temps de crise, en France comme ailleurs, la xénophobie, le mépris, les violences et même les crimes à caractère raciste ou antisémite, antichrétien ou islamophobe.
C’est pourquoi, aujourd’hui, face à la montée de ces périls, et en nous appuyant sur la foi au Dieu unique commune aux trois religions auxquelles nous appartenons, nous lançons d’une même et forte voix un message aux membres de nos différentes confessions mais aussi, plus largement, à tous les citoyens de notre pays, sans distinction aucune de religion, d’opinion philosophique ou politique : les extrémismes, nationalistes, racistes ou religieux, les exclusions et les violences qu’ils engendrent, n’ont pas leur place dans nos religions et dans nos sociétés.
«L’homme fut créé en un exemplaire unique afin que nul ne dise à l’autre : mon père est supérieur au tien, Talmud, Sanhédrin, 4, 5

II/ Si pendant des siècles nos religions n’ont pas toujours été exemplaires en matière de tolérance, de liberté religieuse ou de fraternité universelle, depuis plusieurs décennies déjà elles ont ouvert une ère plus fraternelle correspondant mieux à leurs valeurs fondamentales.
Nous venons de commémorer le 50ème anniversaire de la Déclaration Nostra Aetate du Concile Vatican II qui a renouvelé le regard de l’Eglise catholique sur les religions non chrétiennes : « L’Eglise ne rejette rien de ce qui est vrai dans ces religions (non chrétiennes) » dont « les manières de vivre (…) et les doctrines (…) apportent un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes », Nostra Aetate, 2. Rappelons également la rencontre significative des religions à Assise le 27 octobre 1986, « grande bataille pour l’humanité avec sa diversité » (Jean-Paul II).

Depuis cinquante ans, des initiatives interreligieuses, accompagnées d’efforts pour mettre en perspective les textes religieux susceptibles d’alimenter violences et intolérances, permettent aux religions que nous représentons de mieux dénoncer tout rejet de l’autre, parce que étranger ou d’une autre religion.

De fait, les grands drames de l’histoire et en particulier les guerres de religions, l’esclavage, le colonialisme, et bien entendu les génocides du 20ème siècle, avec en Europe le paroxysme de la Shoah, ont délégitimé les anciennes doctrines racistes et xénophobes et ont conduit chrétiens, juifs et musulmans à mieux se souvenir qu’Abraham est le père des trois religions et avait sa tente ouverte à tous ceux qui passaient. « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père» Jean 14 : 2
Nous avons choisi de lancer cet Appel à partir du camp des Milles car ce lieu de souffrances apporte des clés de compréhension du présent forgées sur le recul de l’histoire. L’expérience tragique de nos pères montre jusqu’où peut mener l’intolérance et comment elle conduit à de telles extrémités.

III / Face à l’ignorance et aux préjugés, face au racisme, à l’antisémitisme et à la xénophobie, face à la concurrence des mémoires que nous refusons, la foi en Dieu nous fait affirmer la Fraternité entre les hommes par-delà toutes leurs différences.
Pour nos religions monothéistes, la fraternité repose sur un fondement essentiel : Dieu est Un, l’homme a été « créé à l’image de Dieu » ou avec le souffle divin, et les hommes sont donc frères.
Tuer un homme au nom de Dieu constitue donc un blasphème, une profanation.

« En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères c’est à moi que vous l’avez-fait », Matthieu, 25, 40.
Devant la montée des extrémismes nationalistes et religieux, et des discriminations qu’ils engendrent, il est pour nous essentiel aujourd’hui de dire non à ce qui contredit ou menace cette Fraternité des hommes :
Non à l’instrumentalisation de la peur par les extrémismes, nationalistes et religieux, aux discriminations et aux violences qu’ils engendrent, et à leurs discours démagogiques qui banalisent les idées et propos dangereux pour tous.
Non à l’utilisation et à l’instrumentalisation de nos religions, notamment à des fins géopolitiques ou pour des intérêts personnels ;
Non à la perpétration de la violence, de meurtres et de crimes de masse au nom de notre Dieu commun : « Celui qui tue une âme (…) c’est comme s’il avait tué tous les hommes ; et celui qui fait vivre une âme c’est comme s’il avait fait vivre tous les hommes », Coran, 5, 32.
Non à tout ce qui peut ostraciser des populations, à cause de leur origine ou de leur religion. «Ceux qui croient, ceux qui pratiquent le judaïsme, les Chrétiens, les Sabéens- ceux qui croient en Dieu et au Dernier Jour et accomplissent une œuvre pieuse, ont leur récompense auprès de leur seigneur», Coran, 2,59

IV/ Appel
Appuyés sur notre foi, et l’expérience de nos pères, nous appelons toutes les femmes et tous les hommes de conscience, et en particulier les jeunes gens et jeunes filles des trois religions ici rassemblés,
A faire échec à toutes les formes de racisme, d’antisémitisme, d’islamophobie, de mépris du christianisme, de discrimination à l’égard des femmes et de toutes autres formes d’exclusion,
A œuvrer avec nous dans le sens de la connaissance partagée, du respect mutuel, de la paix et de la fraternité,
A combattre les germes de violences contenus dans nos cœurs, nos communautés, issus d’une manipulation de nos propres traditions religieuses,
A contribuer chaque jour aux valeurs fondamentales de la bonne vie en société, à la compréhension et aux échanges qui contribuent à la paix et à la fraternité des peuples,
A montrer un visage d’hospitalité et d’accueil,
A promouvoir les rapprochements interculturels entre les religions, la connaissance de l’Histoire et des courants de pensée, le dialogue et le respect mutuel,
A favoriser l’échange entre nos fidèles qui partagent fondamentalement une même communauté de destin,
A transmettre aux jeunes générations une histoire partagée et à faire converger les leçons de toutes les mémoires blessées, en vue de participer à une société plus apaisée.
Face aux problèmes du monde et aux incompréhensions trop fréquentes, nous encourageons tout dialogue fondé sur l’écoute et le respect mutuels, la lutte contre la désinformation et les mythes, les clichés et les préjugés, la recherches de boucs émissaires et les ferments d’extrémismes qui exacerbent les passions et étouffent les voix de la raison, de l’ouverture et de la modération.
Aime ton prochain comme toi-même est un principe commun que nous devons préserver de l’endurcissement de nos cœurs face aux malheurs et aux menaces,
Le présent pacte de fraternité se veut un trait d’union entre nos religions et un pont vers un avenir fraternel.

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