Publié le 7 septembre 2022 à 9h00 - Dernière mise à jour le 11 juin 2023 à 18h46
Je l’avais noté sur mes tablettes cette exposition au musée du Quai Branly à Paris. Le samedi 16 juillet, avant-dernier jour et dans le hall d’entrée, j’ai l’impression de me retrouver au «pays de l’Afrique en miniature», le surnom donné au Cameroun, des centaines de membres de cette diaspora se sont aussi donnés rendez-vous.
Je me suis souvent déplacé au Cameroun dans le cadre de mes activités professionnelles en tant qu’associé de la société LES MIA’S (Les Marseillais de l’Immobilier en Afrique ). J’ai l’habitude de mettre à profit ces voyages pour découvrir et comprendre les différentes cultures locales notamment au travers des visites des galeries d’art et des ateliers d’artistes.
Cette exposition est dédiée à la vie quotidienne des communautés des Grassfields, la région de l’Ouest et du Nord-Ouest du Cameroun. J’ai été bluffé par cette exposition, car presque sans s’en rendre compte, le visiteur s’éloigne du «visible» pour entrer dans «l’invisible». J’ai eu le plaisir de retrouver le travail d’Hervé Youmbi, artiste contemporain que je suis depuis des années. Il propose un regard croisé entre la tradition et la modernité
Une exposition qui bouscule les codes
La co-commissaire d’exposition Rachel Mariembe rappelle que cette exposition bouscule les codes, «parce que nous sommes dans une présentation immersive où nous n’avons pas visé le public français ou européen d’abord, mais nous avons visé la diaspora camerounaise, afin qu’elle puisse se sentir dans sa chefferie. Tout le décor a été préfabriqué au Cameroun et a été ensuite monté ici. C’est une exposition aussi rare que spectaculaire et originale dans sa démarche. Car la plupart des 270 objets et œuvres d’art mis en scène au musée du Quai Branly retourneront après leur exposition à Paris dans les vingt-quatre royaumes prêteurs du pays d’origine. Ils y retrouveront leur rôle cultuel et culturel dans la vie quotidienne des communautés des Grassfields, la région de l’Ouest et du Nord-Ouest du Cameroun»
Un format d’exposition différent
5 chefferies du Nord et du Nord-Ouest camerounais étaient représentées au travers de 270 objets -dont seulement 40 sont issus des collections du Quai-Branly-, 800 m² de «décors créés par des artisans du Cameroun», 6 artistes contemporains, 8 films, 4 «rotations de trônes» successivement mis à l’honneur…
Qu’est-ce qu’une chefferie ?
Rachel Mariembe explique: «Il ne faut pas comprendre chefferie uniquement en termes d’espace où la chefferie est implantée. Une chefferie est l’équivalent d’un royaume. C’est tout un ensemble constitué de villages qui peut épouser les contours administratifs -ou pas. Il y a des chefferies qui renvoient à des arrondissements, à des municipalités, mais d’autres ne le font pas. Nous avons aussi une catégorisation des chefferies en premier, deuxième et troisième degré. Cela est purement administratif. Parfois, nous avons des chefferies qui ne sont pas classées, mais qui ont le pouvoir d’introniser le chef du premier degré. Au Cameroun, nous avons des royaumes, indépendamment de ce qui peut être administratif. Ce sont d’abord des royaumes, mais représentant toute une communauté et un territoire bien délimité, avec une communauté qui s’identifie par rapport à leurs biens culturels.»
De quel pouvoir dispose aujourd’hui le chef d’une chefferie au Cameroun ?
«Déjà, le chef est un auxiliaire de l’administration et le garant des traditions. Il ne gouverne pas seul. Autour du chef, vous avez le Conseil des neuf (Mkmavu) notables ou le Conseil des sept (Mkam Sombuech) notables. Ce sont des instances de régulation sociale qui travaillent à maintenir, à pérenniser et à légitimer le pouvoir du chef. Le chef est censé être au-dessus de tout le monde, de toute sa communauté, être le plus sage, celui qui représente et communique avec les ancêtres, être l’instance religieuse», détaille la co-commissaire d’exposition.
Le visible et l’invisible
Au fur et à mesure que le visiteur s’enfonce plus avant dans les salles de l’exposition, la scénographie se dépouille en faveur des objets, et il peut progressivement établir des connexions, apprendre à comprendre des cultures extrêmement sophistiquées et, presque sans s’en rendre compte, s’éloigner du «visible» pour entrer dans l’invisible». Avec une certaine douceur, il prend conscience de ce qu’ont été et de ce que sont toujours les chefferies du Cameroun, de la manière dont elles fonctionnent. Surtout, il prend la mesure de ce qui lui restera inconnu, fût-il lui-même camerounais -à moins qu’il ne soit initié. «Sur la route des chefferies du Cameroun» est une exposition qui ouvre des portes et, dans le même temps, désigne celles qui resteront closes. Pourquoi pas, au fond, garder une part de mystère ?
Hervé Youmbi
En 2016, j’ai découvert Hervé Youmbi en visitant Doual’Art centre d’art contemporain à Douala dirigé par la Princesse Marylin Douala Manga Bell. Il travaillait alors sur les masques, son travail m’a interpellé. Nous avons correspondu et j’ai enfin pu le rencontrer en août 2018 dans son atelier de Douala.
Des masques hybrides
Le travail entrepris par Hervé Youmbi porte essentiellement sur la production de masques hybrides saisissants. Des sculptures en bois recouvertes de perles de verre et de boutons multicolores, caractérisées par un mélange d’éléments qui surplombent le canon traditionnel des africanistes.
Le Cri… The Scream
Quelle drôle de filiation, du célèbre Cri d’Edvard Munch à la saga cinématographique de Scream, les orbites et les bouches distendues des masques d’Halloween inspirés par la culture hollywoodienne, et le résultat apparaît comme totalement disjonctif.
Les retrouvailles à l’exposition du Quai Branly avec les Totems
Un Alo-Alo ou Totem d’Hervé Youmbi est constitué de sept poteaux funéraires, eux même composés de masques et de différents éléments inspirés de la culture africaines. La symbolique du chiffre sept renvoi à la pensée bamiliké dont est originaire l’artiste. Ce chiffre est considéré comme un chiffre divin représentant la totalité et l’infini. Hervé Youmbi associé ici les masques avec ce qu’il appelle «les mégalithes du monde» : tête olméque du Mexique, buste de l’Ile de Pâques. Son travail réunit mondes traditionnels et monde contemporain. Il nous invite à regarder les traditions du passé afin de se projeter dans le futur.
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