Publié le 8 février 2013 à 22h08 - Dernière mise à jour le 26 août 2023 à 15h15
Dès les premiers mots le décor est planté : « Notre situation actuelle est le fruit d’un sursaut. Pendant des siècles une apologétique chrétienne (la science des preuves de la divinité dans le christianisme), plus ou moins réfléchie, avait apporté sa caution aux mouvements récurrents fussent-ils d’origine païenne, de haine et de persécution à l’égard du peuple juif ». Le Père Aveline, théologien, vicaire général du diocèse de Marseille, directeur de l’Institut catholique de la Méditerranée, est l’invité du centre mondial du judaïsme nord-africain et du centre Edmond Fleg, en partenariat avec l’Amitié judéo-chrétienne de France.
Le Père Aveline intervient sur l’héritage de Jean XXIII dans le dialogue judéo-chrétien cinquante ans après sa mort. Un propos, sur le dialogue interreligieux, qui peut s’adresser à l’ensemble de la société, qui invite à une réflexion sur le rapport à l’Autre. Robert Bismuth, responsable du Centre mondial du judaïsme nord-africain rappelle l’importance de Vatican II qui a notamment permis le retrait d’une prière dans laquelle était montré du doigt « le peuple judéo-perfide ». Robert Kaufman, au nom de l’Amitié judéo-chrétienne tient à signaler que le congrès mondial de l’Amitié judéo-chrétienne se déroulerait à Aix-en-Provence du 1er au 3 juillet 2013, pour célébrer le 50e anniversaire de la disparition de Jules Isaac, le fondateur, avec Edmond Fleg, de l’amitié judéo-chrétienne, ainsi que le 50e anniversaire de Vatican II.
« Paradoxalement le XXe siècle aura été celui des plus grandes atrocités et des plus significatives avancées, celui de la Shoah et de Vatican II »
Le Père Aveline constate : « paradoxalement le XXe siècle aura été celui des plus grandes atrocités et des plus significatives avancées, celui de la Shoah et de Vatican II ». Il ajoute immédiatement : « On ne saurait cacher que de nouveaux nuages obscurcissent aujourd’hui l’horizon et que le devoir à la résistance chrétienne contre l’antisémitisme est toujours d’actualité ».
L’orateur remonte dans l’histoire, rappelle les violences de Saint-Jean Chrysostome, les théories « plus ou moins scabreuses » de Saint-Ambroise et de Saint-Augustin, , n’omet pas de signaler Luther et indique : « A la fin du XIXe siècle, une partie non négligeable de l’opinion catholique a partagé, voire encouragé, l’antisémitisme ambiant au moment de l’affaire Dreyfus ». Puis de préciser : « C’est alors que le sursaut a commencé, lentement, difficilement, mais résolument. Charles Péguy en fut l’un des premiers acteurs ».
Un sursaut, certes, et il en vient aux années 40 afin d’évoquer « le relatif mais pesant silence de la hiérarchie catholique, surtout après la promulgation en octobre 1940 des « statuts des Juifs » par le gouvernement de Vichy, qui entraîna l’organisation d’une résistance intellectuelle avec la fondation à Lyon, en 1941, « des Cahiers de témoignage chrétien ».
Le Père Aveline revient sur la hiérarchie catholique, il cite Pie XI, Pie XII, « qui dénonceront l’antisémitisme », notamment un Pie XI qui devait déclarer « L’antisémitisme est inadmissible. Nous sommes spirituellement des sémites ». Mais, ajoute-t-il : « Il faudra attendre Jean XXIII pour passer de la condamnation à la recherche du lien spirituel entre christianisme et judaïsme, afin que l’Église prenne officiellement la mesure des conséquences d’un antisémitisme poussé à l’extrême par l’idéologie nazie. Il en viendra à reconnaître et à tenter de corriger l’enseignement du mépris qu’elle avait trop longtemps contribué à diffuser ». Et il faudra attendre 1997 pour que les évêques de France fassent vœux de repentance à Drancy.
L’intervenant insiste sur l’importance de la conférence internationale extraordinaire pour combattre l’antisémitisme de Seelisberg lors de laquelle dix points sont adoptés, simples, clairs, parmi lesquels le fait de rappeler que Jésus était Juif. Il signale à ce propos avoir évoqué ce point devant des catholiques, ce qui entraîna une paroissienne à lancer : « Jésus, je veux bien, mais la Bonne Dame, quand même, non… ».
Lorsque Jean XXIII décide d’incorporer la question du rapport au judaïsme, il se heurte à trois obstacles. Premièrement les évêques du Proche-Orient sont contre car ils considèrent qu’on verrait là une reconnaissance officielle d’Israël par l’Église. Le deuxième problème est d’ordre méthodologique : une fois acquis le principe de parler du judaïsme, des voix se sont élevés chez les évêques pour parler aussi des autres religions. Vient enfin un obstacle théologique, si l’Église dit du bien des autres religions, remplit-elle sa mission de défendre ses propres fondements.
« l’église catholique a besoin de comprendre ses liens avec le judaïsme pour se comprendre elle-même »
Or Vatican II, mettra en avant le lien très particulier qui unit judaïsme et catholicisme. Et, de ce fait, Il ajoute que Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI ont poursuivi ce dialogue dans la lignée de Vatican II.
Mais, selon le Père Aveline, il est bon d’insister sur le fait « que l’église catholique a besoin de comprendre ses liens avec le judaïsme pour se comprendre elle-même ». Et ce travail doit aller « au-delà de la seule lecture de l’Ancien Testament, comme si le judaïsme avait cessé de vivre depuis. Il doit aussi porter sur le judaïsme tel qu’il existe aujourd’hui, porteur d’une longue réflexion mystique et théologique ».
Puis d’insister, et là, la parole du théologien va au-delà du dialogue interreligieux, sur la notion de différence : « Tout au long de son histoire, le peuple juif a dû développer un sens aigu de sa différence, source de bien des tribulations, mais aussi d’une force de vie et d’une capacité de résistance étonnantes ». Or, selon l’orateur : « La différence acceptée, reconnue, reçue, peut être féconde. Si on reçoit la différence comme un don de Dieu, alors on doit chercher les liens spirituels qui nous unissent ».
Puis de conclure en constatant que la force de Vatican II n’est plus aussi vive aujourd’hui, que le débat doit être ravivé. Pour qu’il en aille ainsi il juge : « Au-delà de son projet initial de dialogue judéo-chrétien, l’assemblée conciliaire est allé vers l’ouverture d’un dialogue avec les religions du monde.Aujourd’hui, la réalité des relations interreligieuses, avec leurs avancées et leurs difficultés, rend possible un nouveau regard sur la teneur et la portée théologiques de la relation spécifique entre juifs et chrétiens ».
Ne nous y trompons pas, le débat posé là, encore une fois, est loin de ne concerner que le religieux, il offre des pistes de réflexion pour notre monde, face aux menaces intégristes qui, dans toutes les religions se font jour. Il redonne, enfin, toute sa vitalité à la laïcité, une laïcité respectueuse des libertés et donc du fait religieux. Un fait religieux qui, dans ce dialogue avec l’autre, ne pourrait sortir que renforcé, plus riche intellectuellement et offrant moins de prise, ainsi, à l’intégrisme.
Michel CAIRE