« Cezanne au Jas de Bouffan » : tel est l’intitulé de l’exposition majeure qui accompagne l’année Cezanne à Aix-en-Provence. Elle proposera au Musée Granet une centaine d’œuvres dont plus d’une soixantaine de peintures à l’huile, prêtées pour la circonstance par des musées et de grands collectionneurs du monde entier. Une dimension internationale pour une année hors du commun.

En 1859, Louis-Auguste Cezanne achète une propriété agricole de 14 hectares aux Jas de Bouffan à quelques encâblures du centre ville d’Aix-en-Provence où il exerce la profession de banquier. Un endroit où Cezanne fils travaillera par intermittence partageant son temps entre la bastide du Jas, l’atelier des Lauves, l’Estaque, Bibemus ou encore Gardanne lorsqu’il est en Provence et Paris. Jusqu’en 1899 et la vente de la propriété, le peintre y séjournera régulièrement. En 2017, la ville d’Aix-en-Provence décide de faire de cet endroit « le lieu » cezannien. Restauration de la Bastide, transformation du parc attenant, installation d’un Centre Cezannien de Recherche et de Documentation, autant de travaux engagés dont une partie sera dévoilée en cette année 2025 ; nous y reviendrons.
Une exposition comme « un défi »
« Cezanne au Jas de Bouffan »: pour Bruno Ely, Conservateur en chef du Patrimoine et directeur du musée Granet cette exposition est « un vrai défi ». Il a fallu mettre en place une architecture cohérente et solide pour créer du lien et du sens entre les différentes œuvres qui seront accrochée. « Le Jas de Bouffan n’est pas seulement un lieu cezannien, un lieu où il a vécu, explique le Conservateur en chef du Patrimoine. Il s’agit d’un laboratoire où Cezanne expérimente son œuvre, la développe, la dépasse parfois, pour répondre à la question : « Arriverai-je au but tant cherché et si longtemps poursuivi ? ». C’est pourquoi, dans l’exposition, chaque tableau s’impose à côté d’un autre comme une nécessité.
L’exposition «Cezanne au Jas de Bouffan » prend en compte une sélection d’œuvres réalisées par l’artiste entre 1860 et 1899, mettant en valeur l’œuvre de Cezanne et son rapport au Jas de Bouffan. Le moment où le jeune Cezanne s’introduit dans la bastide que son père vient d’acheter, et celui où, il se voit obligé de quitter la propriété. Des premières années du peintre à la bastide, l’exposition permettra de découvrir, entre autres œuvres, celles qui étaient initialement peintes sur les murs et qui ont été transposées sur toiles ; notamment les quatre saisons. Suivra le travail effectué sur les portraits et autoportraits. Il y aura, entre autres, l’immense portrait de Louis-Auguste Cezanne, père de l’artiste, lisant L’Evénement (1866), prêté par la National Gallery of Art de Washington, mais aussi celui de Gustave Boyer (c. 1870), qui, après 70 ans, a été récemment redécouvert à Bâle, oublié dans une montée d’escalier. Pour les autoportraits on pourra notamment apprécier l’ Autoportrait au chapeau de paille (1878-1879), prêté par le Museum of Modern Art de New York.
Paysages et paysans
« Le Jas de Bouffan, c’est aussi l’apprentissage sur les motifs du paysage aixois et l’endroit devient entre 1876 et 1890 le lieu par excellence de cette quête, poursuit Bruno Ely. La ferme, avec l’organisation complexe de ses bâtiments ; L’Allée des marronniers avec l’ordre solide des troncs d’arbres: dans un premier temps, Cezanne n’a pas besoin de sortir du parc. Le mur d’enceinte est comme une protection… Le tableau essentiel, voire unique de cette recherche, est celui de la National Gallery à Prague, Maison et ferme du Jas de Bouffan (1885- 1887). Dans cette œuvre, la bastide s’impose dans son éclat rayonnant avec un toit rouge et un pré d’un vert intense. Après l’avoir peinte une fois dans son éclat presque fauve, Cezanne n’a plus besoin de revenir vers ce motif. » C’est cette œuvre qui a été choisie pour devenir l’affiche de cette exposition.
On se souvient que la propriété est une exploitation agricole. Les terres sont travaillées par des paysans et le peintre y trouve des modèles. « Dans ce cadre, il réalise des portraits où de simples paysans deviennent des figures magnifiées comme on en trouve dans la peinture classique, signale Bruno Ely. C’est également au Jas qu’il peint le célèbre tableaux des Joueurs de cartes, utilisant comme modèles des travailleurs de la ferme. Dans un silence absolu, pas une mouche ne vient troubler les joueurs attablés dans un face-à-face presque tragique. Ayant là encore trouvé la formule idéale pour dire en peinture ce que sont deux joueurs de cartes (loin de tout bavardage, de toute tricherie), il abandonnera ensuite le sujet. Ce tableau du musée d’Orsay est comme la quintessence de sa recherche. » Une section sera consacrée à la nature morte rappelant que ses recherches sur l’équilibre de l’espace, des formes et des couleurs livrée au Jas de Bouffan l’ont fait devenir le père de l’art moderne…
On le sait, Cezanne était hanté par le thème des baigneurs et baigneuses; sa vie durant il en a réalisé autour de 200 compositions, les laissant parfois inachevées. Une section de l’exposition y sera consacrée. « Entre dessins, peintures et aquarelles, ce thème met en lumière les recherches sur la figure humaine dans l’oeuvre de Cezanne, indique Bruno Ely. Nous y retrouvons à la fois l’inspiration liée au thème classique des bacchanales, ainsi que les recherches plus modernes sur les volumes. Dans ces compositions, il n’y a pas de caractère érotique, mais plutôt la volonté d’exprimer des recherches purement plastiques. Les corps des baigneurs et des baigneuses ont des formes anatomiques irrégulières, qui se fondent avec le paysage environnant, perdant ainsi leur caractère charnel.»
Michel EGEA
Pratique : L’exposition ouvrira ses portes le 28 juin et se poursuivra jusqu’au 12 octobre au Musée Granet. Réservation obligatoire et ouvertes à l’office de tourisme ou en ligne sur Cezanne2025.com