Publié le 30 juillet 2017 à 21h19 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Le défi n’était pas mince. Adapter la bande dessinée culte de Pierre Christin et de Jean-Claude Mézières au cinéma relève de la haute voltige. Rien que pour avoir décidé de se lancer dans cette aventure, il faut tirer son chapeau à Luc Besson. « Valérian et la Cité des milles planètes » mérite donc mieux que les jeux classiques du petit monde de la critique.
Retenons d’abord que le résultat technique est à la hauteur de l’investissement (c’est le film français le plus cher de l’histoire) : le spectacle est garanti ! L’ensemble est parfaitement crédible et les effets numériques ne franchissent jamais la limite qui rendrait l’ensemble ennuyeux ou qui introduirait des démonstrations de force franchement déconnectées d’une intrigue qu’ils doivent toujours servir. En particulier, la découverte de la planète Mül est très convaincante et évoque sans trop de difficultés l’univers onirique de la BD, même si l’on sait impossible de traduire une ambiance que la lecture personnalise de façon forte pour chacun de ceux qui tinrent en main un volume des aventures de Valérian et Laureline.
La progression de l’histoire ne pose pas non plus de problème. On ne voit jamais le temps passer tout au long de la projection ; c’est incontestablement un divertissement réussi. Certains s’attardent sur le caractère «léger» de l’intrigue mais, au bout du compte cela ne pose pas vraiment de problème insurmontable. Certes, on comprend assez vite ce qui va constituer les scènes suivantes du film. Toutefois, cela n’est pas suffisant pour briser l’intérêt et la magie des images. Une fois immergé dans ce monde du XXVIIIe siècle, on tient vraiment à voir la fin !
Ensuite, il est toujours agréable de se projeter dans un futur rempli d’espérance, et pas, comme c’est aujourd’hui régulièrement le cas, radicalement apocalyptique. Il est bon, de temps en temps, de retrouver l’ambiance Star Trek, c’est-à-dire l’idée que l’évolution de l’espèce humaine peut la mener vers des lendemains meilleurs, que beaucoup des problèmes qui nous paraissent insurmontables dans notre présent, pourront recevoir des solutions dans le futur. De surcroît, le thème de la station Alpha présenté comme un symbole de la rencontre entre les peuples de la galaxie ne fait pas de mal : en ces temps difficiles pour le dialogue entre les hommes venus d’horizons culturels différents, il n’est pas mauvais de se souvenir que nous devons aussi conserver l’ambition du dialogue…
Au bout du compte, tout irait-il bien dans ce film ? Non. Le problème est simple mais de taille : Dane DeHaan et Cara Delevingne ne sont absolument pas convaincants. Clive Owen ne l’est d’ailleurs pas davantage. Aucun d’eux ne semblent avoir compris l’ambiance de la bande dessinée et ils échouent tous trois à «coller» à leurs personnages. Laissons-là Clive Owen qui n’est pas prioritaire et attachons-nous au cas de Dane et Cara !
Cela aurait pu en effet être un film d’aventure dans l’espace : mais ils sont très loin du space opera. Trop occupés à se regarder jouer eux-mêmes, prenant trop la pause et essayant d’incarner des archétypes pour lesquels ils ne sont manifestement pas taillés. DeHaan n’a absolument rien d’un Indiana Jones intergalactique et ne sait pas manier l’humour dans les situations de danger. Ce qui rend Harrison Ford si exceptionnel dans ses prestations n’existe absolument pas chez ce jeune acteur que l’on imagine davantage dans un thriller ou un drame très classique. Sans doute a-t-il fait beaucoup d’efforts pour y parvenir, mais l’on sent que Valérian occupe un espace mental qui lui est parfaitement étranger. Ce qui caractérise le héros de papier, c’est un côté rêveur, idéaliste et romantique, qui côtoie une passion dévorante pour l’aventure et le goût de l’infini, de la découverte, du voyage. Très complexe psychologiquement, doté d’une profonde intériorité -où le rêve, la mélancolie et la force se métissent- Valérian ne peut guère être reconnu dans la présente incarnation du film de Luc Besson. Au lieu d’emprunter ce chemin des paradoxes domptés, Dane DeHann a choisi de construire un gamin un peu grotesque qui joue au macho de supermarché avant de révéler un tempérament de «rêveur introverti romanesco-déchiré» qui ne sait pas comment exprimer adéquatement son amour à Laureline… Qui peut y croire en le voyant faire devant l’écran ?
Quant à Cara Delevingne, on peine à voir la moindre sensibilité s’exprimer dans son jeu. Elle traverse le film comme un mannequin évolue sur un podium, avec désinvolture et élégance. Mais une histoire de science-fiction du type de la série Valérian n’est pas un défilé de mode… Ce qui est approprié dans l’un se révèle un fâcheux faux-pas dans l’autre… Elle n’a visiblement pas senti toute la force du personnage dont elle revêtait l’identité. Laureline, comme Valérian, est une figure haute en couleurs : à la fois une amazone, une amoureuse délicate, une femme portée à la méditation sur le temps qui passe et l’histoire de l’humanité, en permanente tourmentée par des questions éthiques… Là encore, nous voici ici loin du compte…
Quelle conclusion tirer de ces quelques remarques ? Le film est absolument à voir : les décors, les costumes, la musique, le rythme d’ensemble sont parfaitement réussis. On prend un plaisir pur à entrer dans cet univers qui dit en effet quelque chose d’assez près de la bande dessinée. Comme blockbuster, Valérian et la Cité des milles planètes fonctionne parfaitement. Il s’agit en fait de redevenir des enfants et d’oublier durant deux heures ce que sont vraiment les deux héros dans l’imaginaire des fans de la première heure et dans l’histoire de la SF. Si l’on réussit à faire cela, on accompagne avec plaisir Cara et Dane dans ce moment de rêve…
Eric DELBECQUE est Président de ACSE– Il est l’auteur de : Les super-héros pour les nuls (First)