Publié le 28 novembre 2022 à 22h18 - Dernière mise à jour le 9 juin 2023 à 20h32
Attention Marc La Mola est de retour dans Destimed – Préparez-vous au meilleur. Grinçage de dents assuré, humanité dévoilée toujours servie par une plume scalpel qui creuse là où ça fait mal…
C’est peut-être parce qu’il manquait de place sur les tablettes de calcaire, que Moïse transporta sur le mont Sinaï, que le onzième commandement n’y fut pas gravé. A cette époque Dieu estima que dix instructions à suivre devaient suffire et il confia la lourde tâche de transporter l’ancêtre du cahier à spirale à Moïse afin de colporter sa parole, non sans mal puisque le support devait peser plusieurs centaines de kilos.
A ma connaissance Moïse ne s’était pas manifesté afin de faire connaître son désaccord sur ce transport pouvant lui casser le dos, je n’ai pas été informé non plus que notre ami ait eu l’intention de déposer un préavis de grève et même ait émis une quelconque forme de protestation. Non il a transporté ces tablettes de pierre, sans mot dire, car bien évidemment à l’époque à laquelle vivait Moïse le droit de grève n’existait pas. Le droit de grève et le chauffage non plus d’ailleurs !
Vous allez me dire que vous ne voyez pas le rapport pouvant exister entre Moïse et le chauffage mais rassurez-vous je vais éclairer votre lanterne comme on devait le faire au 13e siècle avant Jésus-Christ, date à laquelle le prophète et fondateur de la religion Juive vivait. Bref, je vais cesser les références bibliques pour en venir à ce qui ce matin me révolte, ce qui m’a fait bondir de mon sofa douillet alors que je contemplais, comme un idiot, le spectacle quotidien que m’offrent ma télévision et les chaînes d’infos en continu.
Quinze mille foyers d’île de France privés d’eau chaude et de chauffage
Vous aussi vous avez pu le constater, l’automne s’est installé et même si cette année la météo nous a offert un été Sioux, Apache ou Cherokee nous devons le dire et le reconnaître il fait froid ! Et encore ne nous plaignons pas puisque nous avons le bonheur de vivre dans le sud de la France, région où la neige se fait rare comme les pingouins et les ours blancs.
Alors ce matin en ouvrant mes volets et en pressant le bouton de ma télécommande j’ai ressenti la froidure et entendu le présentateur, dès potron-minet, balancer que plus de quinze mille foyers d’île de France étaient privés d’eau chaude et de chauffage tout cela parce que la CGT venait d’inscrire sur la liste des dix commandements un onzième ainsi libellé : «Tu te gèleras !»
Humanisme, défense de l’opprimé ou encore solidarité
Eh oui c’est ainsi, ce syndicat pour lequel certains fins observateurs auraient mis en évidence des potentielles accointances avec les idées communistes ou tout au moins avec les valeurs de gauche à savoir humanisme, défense de l’opprimé ou encore solidarité a décidé de poursuivre un mouvement de grève, mouvement méconnu de Moïse, privant derechef des milliers de foyers d’eau chaude et de chauffage. Que voulez-vous il faut appliquer à la lettre les souhaits d’un chef, s’appelant jadis Dieu et que les adeptes du syndicat obtus nomment aujourd’hui Lenine, Georges Marchais ou pour les intimes Philippe Martinez ou encore Philou, sans sourciller et peu importe si des enfants ou des personnes à petits revenus se gèlent les noix et le reste aussi.
La lutte sociale a ses limites, euh non pardon pour le coup elle n’en a pas puisque malgré le retrait de trois syndicats ayant signé des accords avec GRDF seule la CGT refuse de cesser la grève sans assumer la responsabilité de leur insupportable mouvement en rejetant lâchement la faute sur la direction l’accusant de bloquer les négociations. Même pas peur, même pas mal et surtout même pas honte de laisser des milliers de personnes se geler les arpions alors qu’elles tentent déjà de combattre une inflation ayant rendu leurs revenus si minces qu’ils pourraient passer entre un mur et le papier peint sans le décoller. Mais c’est le prix de la lutte, c’est surtout une énorme connerie mettant à mal la solidarité que doivent les employés de GRDF à une population en souffrance. Mais que veut dire aujourd’hui ce mot, a-t-il encore un sens et notamment pour ces employés se disant de gauche et faisant se retourner dans sa tombe les Jean Jaurès et autres François Mitterrand ?
« Il faut savoir terminer une grève… »
Comment peut-on encore tolérer que quelques ouvriers puissent priver de services essentiels tout un pan de la société, comment accepter encore de tels mouvements de grève ? Évidemment je n’ai pas la réponse et il est plus facile pour moi de dénoncer, derrière mon ordinateur, une protestation ignoble et indigne mais lorsque je parviens à me poser et à réfléchir en faisant un parallèle que je sais grotesque entre Moïse et la CGT, je suis contraint de reconnaître que je ne comprends plus rien à la société et aux conflits sociaux. Alors je divague et vais puiser dans mes souvenirs et dans ma culture, certes aussi mince que les revenus passés sous le rouleau compresseur de l’inflation, pour y puiser cette phrase de Maurice Thorez dite en 1936 : « Il faut savoir terminer une grève… »
Mais les adhérents de la CGT d’aujourd’hui connaissent-ils cet homme et son parcours ? Espérer cela serait du même acabit que déclarer que la CGT a inscrit un onzième commandement sur les tablettes de Moïse et espérer qu’un jour ce syndicat puisse devenir raisonnable.
J’ai repris ma place dans mon canapé moelleux pour m’abrutir d’informations violentes, un léger frisson vient parcourir mon échine. J’ai froid. Je dois me lever et faire quelques pas pour faire pivoter légèrement le bouton de réglage de mon radiateur et regarder les leds afficher une température de vingt degrés.
Il fait doux et je suis bien…
Pensée égoïste, individualiste, égocentrique alors que d’autres se gèlent en région Parisienne. Je ne culpabilise pas puisque ce n’est pas de ma faute, en fait c’est la faute de personne sauf de… Moïse peut-être ?
[(Marc La Mola a été flic vingt-sept années durant. Après des débuts à Paris, il rejoint sa ville natale, Marseille et choisit les quartiers Nord pour y exercer. C’est aussi là qu’il a grandi. Officier de Police Judiciaire, à la tête d’un groupe d’enquête de voie publique, il a traîné dans ces quartiers pour en mesurer les maux. Il a touché du doigt la misère et la violence de ces secteurs de la Ville. Marc La Mola a sans doute trop aimé son métier et c’est en 2013 qu’il décide de mettre un terme à sa carrière. Il retourne à la vie civile pour écrire. Il est aujourd’hui auteur, 10 livres à son actif, et scénariste. Son dernier ouvrage est coécrit avec Laure Garcia : «Je suis flic et ce soir je vais me suicider», paru chez Ring éditions. )]