Publié le 23 juillet 2014 à 22h06 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h05
« Plus haut, plus vite, plus fort »… Mais d’abord pour la grandeur, la splendeur et la gloire du Reich… Symboles d’une Allemagne conquérante les sportifs, dans toutes les disciplines, se devaient de montrer et prouver au monde la force de la «suprématie de la race aryenne». Malheur à ceux qui échouaient ! Le livre de Benoît Heimermann, journaliste de l’Équipe, paru chez Stock, est intéressant parce qu’il dévoile une autre version de cette épopée sportive, moins glorieuse, plus tragique, celle d’athlètes au destin brisé pour avoir eu la malchance d’échouer. Dieux du Stade, ils étaient bénis, perdants, bannis.
Les images que l’on garde des Jeux Olympiques de 1936 filmés par la caméra de Leni Riefensthal donnent la pleine mesure des objectifs que s’était fixé le Chancelier Hiltler, à son arrivée au pouvoir en 1933, par un soutien très actif des sportifs, toutes disciplines confondues.
Sous la tutelle d’un certain Eckart Hans Von Tschammer, Reichsportführer, le sport s’impose très vite comme une arme bien huilée, destinée à uniformiser les pensées et les comportements.
Les J.O. de Berlin illustrent férocement cette volonté de sa mise en scène : les 3 000 athlètes déroulant la flamme olympique devant 100 000 spectateurs qui font le salut nazi, La Marche d’Hommage de Richard Wagner qui galvanise les foules, les Jeunesses Hitlériennes qui défilent, il est évident que le sportif est, volontairement ou pas, utilisé comme image de propagande du régime.
Quant à l’élu, le futur champion, quelle que soit sa discipline, il se doit de réussir, la défaite amenant la sanction.
Pour Hitler, Goebbels et les autres la soumission au régime fait partie de la panoplie de l’athlète. Ceux qui dérogent à la règle sont balayés d’un revers de main.
Mathias Sindelar, le « Mozart » autrichien du ballon rond a refusé de porter le maillot à croix gammée après l’Anschluss. Il avait aussi contre lui le malheur d’être juif. On l’a retrouvé sans vie, comme sa compagne… Suicide au monoxyde de carbone, écrira-t-on, faute de preuves, toutes les archives ayant disparu!
Malheur aux vaincus
Le plus naïf, ce fut peut-être Luz Long, qui ne devait pas laisser échapper la médaille d’or au saut en longueur lors des Olympiades berlinoises. On connaît le résultat. C’est Jesse Owens qui a sauté le plus loin, encouragé par l’Allemand bluffé par son rival … de race noire. Son échec lui a valu un aller simple pour le front. Il est mort sept ans après sa deuxième place, en Sicile.
C’est en parcourant un vieil album bleu rangé dans un grenier par son père alsacien que le journaliste de l’Équipe, Benoît Heimermann a pris conscience de cette faculté qu’avait l’entourage du Führer à sortir au plus vite de la compétition les champions ayant démérité.
Destins brisés, parcours étonnants, ce sont des sportifs, des visages ayant connu la lumière avant de sombrer dans l’oubli que dévoile ce livre «Les champions d’Hitler». Un aller simple pour les opérations militaires, c’est aussi la sanction infligée au boxeur Max Schmeling, expédié au tapis en à peine une minute par les poings du noir américain Joe Louis…
Il fallait bien laver l’affront relayé par les radios auprès des 20 millions d’Allemands qui avaient suivi la retransmission de ce combat… Dans cette affaire, Goebbels, qui orchestrait tout de main de maître, faisait installer des écrans hors des enceintes sportives, pour convaincre et séduire les foules.
Fragiles otages
C’est ainsi que le Führer a soumis le sport à sa volonté de fer. Il a poussé cette recherche d’une maîtrise totale jusqu’à repenser l’architecture des stades en mariant fragments d’Antiquité gréco-romaine et signes de modernité.
Toutefois, si les nazis travaillaient à la fabrique de ces « uberathlètes », Hitler, lui, ne cherchait pas une « publicité » facile en s’affichant aux côtés des champions. Il savait bien que le Capitole est toujours proche de la Roche tarpéienne, les VRP du muscle pouvant devenir, en une seconde, messagers de la débâcle.
La liste est longue de ces carrières transformées en cauchemar par une seule défaite sportive. Automobile, alpinisme, tennis, aviron, natation : aucune discipline n’a échappé à cette mise en coupe réglée.
Souvent, ceux qui étaient des héros sur les terrains, n’étaient en fait que de fragiles otages, soldats d’une cause qui les dépassait, pour finir broyés dans un tourbillon de violence.
Ces itinéraires recomposés, avec un luxe de détails, laissent aussi deviner que ces sportifs programmés pour vaincre, n’ont fait dans leur chute qu’anticiper la tragédie dans lequel un régime totalitaire a précipité le peuple allemand .
« Les Champions d’Hitler », de Benoît Heimermann, éditions Stock, 220 pages, 18,50€.