Publié le 25 février 2016 à 13h17 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 22h03
L’Arche de la Défense est l’un des monuments de Paris les plus connus mais qui en a eu l’idée ? Qui l’a conçue ?… Un certain Johan Otto von Spreckelsen. Un architecte danois, connu à l’époque de personne, et oublié aujourd’hui de tous…
Son projet d’Arche en forme de cube évidé a été un vrai coup de génie. Qu’il a payé cher. La réalisation de l’Arche de la Défense s’est tragiquement terminée pour lui.
En fin limier, Laurence Cossé a mené une enquête minutieuse durant de longs mois. Deux années passées à éplucher les archives, en France comme au Danemark, à interroger aussi bien les protagonistes de cette affaire que les hauts fonctionnaires qui six années durant ont suivi ce chantier qui a été une véritable épopée. Alors que ce portique de marbre symbolise la sérénité, rien ne fut serein dans ce « grand projet » truffé de chicaneries administratives, d’affrontements courtisans à fleurets mouchetés, de manœuvres politico-économiques. L’idée était géniale, son coût très élevé. Très vite l’Arche de la Défense, devint l’Arche de la Dépense, ou de la Démesure.
Des dizaines de projets enterrés!
Nous sommes en 1983. Depuis des mois, sinon des années, les architectes les plus en vue rivalisent d’imagination pour édifier à un emplacement bien précis du nouveau quartier de La Défense un monument symbole de la créativité architecturale qui se veut la marque de la capitale. Dès le septennat de Georges Pompidou, on a commencé à réfléchir à ce « geste » qui devait prolonger sans la clore la perspective qui court des Champs-Elysées vers la Défense. Giscard D’Estaing a longtemps soutenu l’idée d’un monument tout en longueur, sans panache, un « Sam suffit » qui, trop critiqué, sombra dans les poubelles des grands desseins oubliés lors de l’alternance de 1981. « Depuis Quinze ans, rappelle Laurence Cossé, on s’affrontait au sommet de l’État autour de projets successifs. Et on en avait enterré des dizaines… »
Quelle surprise !
Alors oui, la surprise a été de taille quand ce 25 mai 1983, à l’issue d’un concours international, regroupant quatre-cent-vingt-quatre dossiers, est annoncé le nom du lauréat, un certain Johan Otto von Spreckelsen, architecte danois, un parfait inconnu ! Grand silence… Et, plus ennuyeux, silence aussi de la part de l’élu ! Or personne ne sait comment le joindre. Au Danemark, sans doute, mais où ? La garde rapprochée de François Mitterrand s’affole, le Président a lui-même validé ce projet. Ce Cube excavé lui plaît. Alors que dans son entourage certains se montrent très réservés. Raison de plus de le choisir ! Surprise aussi à l’ambassade du Danemark où l’on ignore tout de ce Danois porté par la France au pinacle! Un émissaire va finalement être envoyé sur place par les autorités culturelles françaises. C’est bien la première fois que le ministère de la Culture doit lancer un « avis de recherche » pour l’un de ses lauréats!
Au bout de deux jours, l’honorable Johan Otto von Spreckelsen est enfin localisé. Un peu austère, très intelligent, cet homme on ne peut plus paisible était en train de pêcher sur une barque non loin des côtes danoises….
Ainsi commencent les premières turbulences d’une aventure typiquement française, qui dura des années et traversa plusieurs gouvernements; un parcours jonché de chausse-trapes, d’imbroglios, de rivalités partisanes. Les retards s’accumulent, le maître d’œuvre en perd la force et le moral… Une question demeure: Spreckelsen, décédé en 1987 alors que la Grande Arche n’est qu’à moitié sortie de terre et ne sera achevée que deux ans plus tard, avait-il, comme on dit, les épaules assez « solides » pour mener à bien un tel projet ?
Les aléas de l’architecture
Il faut se souvenir de sa première intervention devant les micros: à un journaliste qui l’interroge sur son parcours professionnel, les bâtiments qu’il a construits, il répond : « La maison où j’habite et trois églises! » Applaudissements face à tant de modestie, mais ce qui est pris pour une litote est la vérité! Habitué à travailler au Danemark avec sa petite équipe, à tout suivre et surveiller, à La Défense c’est un chantier colossal qu’il doit piloter, avec ce que cela comporte de défis techniques et financiers. Négocier, âprement, avec les entreprises, trancher, imposer ses choix. Comment y parvenir avec pour seule aide proche celle d’un ingénieur danois ? Le lauréat, très vite confronté aux empoignades entre Jack Lang et les dépositaires de la parole mitterandienne qui ne sont pas forcément ministres, que ce soit en matière de grands travaux comme en d’autres domaines a dû revoir la finalité de son « cube », dont l’épure avait fasciné les décideurs. C’est Paul Andreu qui mettra la touche finale au bâtiment.
Tout le talent de Laurence Cossé est de remonter le temps, de dénouer les intrigues, pour nous offrir un vrai roman, où les témoignages recomposent à merveille cet imbroglio, où l’architecture est piégée par les aléas de la politique.
« La Grande Arche » de Laurence Cossé chez Gallimard Nrf – 355 pages – 21 €.