Mettre un peu d’oeuvre dans sa vie et de vie dans son œuvre… voilà un des principes que Basile Mulciba s’est appliqué à lui-même avec humilité, générosité et une certaine forme d’enthousiasme. Ses responsabilités de directeur du développement au sein de l’Association nationale « VoisinMalin », dont une antenne est située à La Rose à Marseille, l’attestent.
«VoisinMalin» agit depuis 2011 dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Au sein de ces quartiers se trouve la majeure partie des grands ensembles d’habitat social et des grandes copropriétés dégradées, qui comptent aujourd’hui plus de 5 millions d’habitants et concentrent les situations d’exclusion et de fortes problématiques sociales et de pauvreté.
L’association repère, salarie et forme des habitants «messagers» dans ces quartiers. Basile Mulciba explique que « »Les Voisins Malins « , en porte-à-porte essentiellement, écoutent leurs voisins, les informent et les mobilisent sur les sujets, les projets, les services et les droits qui les concernent dans leur vie quotidienne, sur lesquels ils ne se mobilisent pas ou qu’ils n’utilisent pas par manque d’information, sentiment de non légitimité ou méfiance envers les institutions.» Pairs reconnus par les habitants, poursuit-il: «Ils sont les relais des acteurs investis sur le quartier (associations, collectivités, bailleurs et entreprises), porteurs de l’information du dernier kilomètre, celui qui manque souvent pour atteindre les personnes concernées. Beaucoup de gens sont dans la précarité et là où « VoisinMalin » est une structure géniale c’est que ce sont des hommes et des femmes proches de toi géographiquement qui viennent te parler, te conseiller, te soutenir, et depuis cinq ans je me sens utile, et surtout nous avons des succès quotidiens ».
Tremblements de cœur, fêlures de l’âme et ascension en montage
Et mettre de son œuvre dans sa vie, Basile Mulciba s’y emploie aussi dans son activité d’écrivain. Brassant des thèmes sociaux, sensibilisé à l’idée que le monde est en train de changer, et que rien ne sera plus comme avant, son roman « Hors saison » un des joyaux de cette rentrée littéraire évoque les changements climatiques, les difficultés économiques de nombreux salariés, le regard que nous portons sur les autres. « Le point de départ de l’écriture c’est un séjour que j’ai fait dans une station de ski il y a six ans. Je ne connaissais rien à cet univers… et alors que je pensais le découvrir sous tous ses aspects quand je suis arrivé là-bas il n’y avait pas un brin de neige… Mon imagination a fait le reste. J’ai construit une fiction où j’ai eu envie de brosser des portraits proches de mes sensations. Sans être autobiographique, j’ai mis beaucoup de moi dans ce roman, où, je montre, cela n’est pas fréquent dans la fiction, que les bouleversements physiques du monde nous transforment. Avec l’idée que la vie de chacun peut être belle et pleine de surprises. « Hors saison » est un roman que j’ai voulu généreux et réconfortant. C’est un livre de liberté qui demeure en équilibre entre la dimension individuelle et collective de chaque personnage. Personne n’est décrit physiquement mais on parle de ce que les êtres dégagent.»
On songe à « Call me by your name »
Rappelant, par son écriture très cinématographique, et son épilogue émouvant, la fin du film « Call me by your name » avec séparation non voulue, départ en train et neige qui tombe, « Hors saison » de Basile Mulciba prend le lecteur à contre-pied pour lui proposer un récit auquel il ne s’attendait pas. On songe aussi à ce long métrage bouleversant lors de la deuxième partie en forme de parenthèse hors du temps, entreprise lors d’une randonnée par les deux personnages principaux dans ce qui s’impose comme un des (premiers) romans français les plus réussis de cette rentrée littéraire.
D’une prose panthéiste par laquelle la nature s’impose comme un personnage à part entière, l’auteur nous emmène durant l’hiver en haute montagne à l’intérieur d’un hôtel de station de ski tenu par Hans et sa sœur Agnès qui voient l’établissement légué par leur père menacé de faillite en raison de sa presque absence de fréquentation. La cause ? L’absence de neige qui a fait fuir les touristes. Un hôtel centenaire trônant sur le point le plus haut du village, avec «une architecture de fragments, des morceaux provenant de différents âges de la montagne, une construction étrange dont il était difficile de saisir l’ensemble mais qui tenait debout et sur laquelle pouvait se lire l’histoire du lieu.» C’est là que vient travailler en tant que saisonnier Yann, un jeune homme qui vient d’interrompre ses études en médecine et que sa compagne Anne-Lise est sur le point de quitter. Très attaché aux gens qu’il embauche, préférant faire couler sa boîte plutôt que de les licencier Hans s’attache à cet inconnu avec discrétion et profondeur de sentiments. Et quand l’heure de la retraite forcée sonnera Yann, remercié à contre-cœur par son patron, voudra rester dans l’hôtel, et s’organiser une nouvelle existence dans ce lieu devenu crépusculaire. Notons ici, et ce n’est pas un hasard, que Yann et Hans sont deux formes dérivées d’un même prénom, et que les liens affectueux du frère et de la sœur (sujet assez rare en littérature) influent sur la psychologie compassionnelle du patron de l’hôtel. L’agencement dans le récit se faisant par touches impressionnistes où se font entendre les bruissements des rêves de chacun. Nous n’oublierons pas non plus les portraits de tous les saisonniers plutôt des taiseux, où les regards de l’entraide valent tous les discours.
Les incertitudes du désir
Roman d’apprentissage poétique et tendre, éloge de la fratrie par le biais des relations affectueuses du frère et de la sœur, texte dialectique sur l’ascencion des corps et de l’esprit, se transformant au fil des pages en une plongée sur les incertitudes du désir «Hors saison» est un roman hors sol, hors normes, mystérieux sur le fond et limpide dans sa forme. On peut lire ce roman de différentes manières, mais c’est bien aussi d’amour dont il s’agit ici, mais évoqué mezza-voce sur le mode sonate plutôt que symphonie tonitruante. «J’aime la sobriété et j’avais envie de décrire les émotions des protagonistes par le biais des paysages. Ils apparaissent pour nous faire ressentir une atmosphère et ça passe par la description des plus petits détails. Est né alors le sentiment géographique des personnages», confie Basile Mulciba qui insiste sur l’idée que c’était très important pour lui de faire passer les relations des uns et des autres par une succession de détails soutenus par un style sensuel. Les fêlures de l’âme et les tremblements de cœurs, Basile Mulciba en maîtrise tous les aspects mais sans faire entendre la voix du pathos et surtout en s’éloignant des clichés et du voyeurisme. Au lecteur de remplir les blancs laissés par les non-dits de l’intrigue, et c’est en tout cas bouleversant d’un bout à l’autre du récit. Un récit sur les forces du hasard né dans la beauté et la diversité des paysages du sud, qui s’impose par sa force à la fois intemporelle et détachée de toute frontière géographique.
Jean-Rémi BARLAND
«Hors saison» par Basile Mulciba. Gallimard, 191 pages, 19,50 €