Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Dans « Espèces dangereuses » Sergueï Shikalov évoque l’homosexualité dans la Russie de Poutine

« Jouir du droit au bonheur, et pas le bonheur soviétique – notre bonheur à nous. C’est ça qu’on voulait », confie  Sergueï Shikalov dans son livre « Espèces dangereuses », un texte assez incroyable qui fut finaliste, la semaine dernière, du Goncourt du premier roman.

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Sergueï Shikalov : « J’ai voulu écrire un livre qui parle de l’amour et de la nécessité d’être aimé.» (Photo Jean-Rémi Barland)

Sergueï Shikalov est né en Russie en 1986 d’une mère biélorusse et d’un père russe, diplômé en linguistique et traductologie à Moscou, avant que de s’installer en France courant 2016. L’auteur, passionné par la culture française, maîtrise parfaitement notre langue avec laquelle il a écrit directement son récit. On est saisis d’emblée par la netteté du style, la générosité du propos qui en filigrane rend hommage aux disparus, aux humiliés, aux gommés. « On crut véritablement devenir libres à la frontière millénaire, dans les années 2000, lorsque Mylène Farmer donna son premier concert à Moscou dans le cadre du Mylénium Tour par un mois de mars humide, la ville encore scellée par la neige», écrit Sergueï Shikalov.

Ce dernier  -qui présentera son roman en compagnie de Elitza Gueorguieva, ce dimanche 26 mai à 16h30 au Conservatoire Pierre Barbizet de Marseille le temps d’une rencontre animée par Piere Benetti dans le cadre de la manifestation « Oh les beaux jours ! »- dresse d’abord ici l’inventaire des signes d’ouverture de la société russe au début du XXIe siècle qui donnèrent espoir de liberté à toute une génération d’homosexuels. « Sortir dans la rue sans craindre d’être verbalisé, sans craindre de finir en taule,  marcher des heures avec le dernier album de Madonna dans les oreilles, oser embrasser son amoureux, lors du premier concert de Madonna à Saint-Pétersbourg, s’éblouir de l’Europe et des USA, ouvrir grand les yeux sur les opportunités d’un monde nouveau, constater que l’État russe accepta d’envoyer deux chanteuses ouvertement lesbiennes pour se faire représenter en 2003 au concours international de l’Eurovision, voir deux garçons ou deux filles se tenir par la main en plein Moscou…..autant de signes faisant penser à un changement radical d’état d’esprit politique.»

Durant une décennie les homosexuels eurent alors l’impression d’avoir été rayés de la liste des «pervers sexuels » ces «espèces dangereuses» qui donne son titre au roman. « Aimer sans culpabiliser, sans s’arracher les ongles, sans enfouir nos doigts pour cacher le sang. Se raconter que l’homophobie n’existait plus « Chez nous » en tout cas », peut on-lire sur le bandeau du roman serti en couverture d’une aquarelle réalisée par l’auteur.  Cela ne dura pas… Fini le temps où à la télévision on passait en prime time « Le Secret de Brokeback Mountain» ou les films de Pedro Almodovar.  La répression de Poutine en direction des homosexuels fut terrible et dure encore, puisque progressivement on commença à associer homosexuels et pédophiles, furent étiquetés «interdit aux mineurs » tous les ouvrages « déviants » la loi interdit ensuite homosexualité, et la « propagande » de toute homosexualité dans les ouvrages. Avec ce que cela engendra de répressions physiques.

Le récit polyphonique d’un rêve

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« Alors,  explique Sergueï Shikalov,  j’ai préféré partir. Aimant profondément participer à la mobilité dans le monde, estimant qu’il faut préserver les échanges culturels, j’ai pris la direction Paris où j’exerce depuis un emploi administratif dans la direction des relations internationales de l’Université de Paris-Saclay.» « Très éloigné de l’autobiographie mon roman est le récit polyphonique d’un rêve auquel « on » a cru ensemble » ajoute-t-il. L’emploi du « on » qui parcourt le récit lui confère une volonté d’inclure tous ses frères russes dans cette quête d’absolu.

Plus drôle dans la partie parisienne du livre, avec moments cocasses et rappel qu’en Russie « on » a prié pour que les mères n’apprennent jamais que Jean Marais, le héros de « Fantomas » était gay. «Espèces dangereuses»  se clôt sur ce constat terrible : «En l’espace de deux décennies, la Russie, un État luttant contre le terrorisme mondial pour l’instauration d’une véritable société civile , démocratique, et progressiste, s’est vue transformée en un régime politique qui préfère éradiquer toute opposition politique, emprisonner ses citoyens pour des publications antimilitaristes sur Facebook et déclencher une guerre aux objectifs illusoires, sinon absurdes, plutôt que de rendre l’amour libre. »

En aucune manière communautariste « j’ai voulu écrire un livre qui parle de l’amour et de la nécessité de se sentir aimé », précise l’auteur. Abordant plusieurs thèmes très différents, comme la préservation des animaux, et la rencontre nez à nez en Amérique d’un cerf capté par les phares d’une automobile, voilà un roman magnifique, généreux, épicurien, et libertaire qui défend de fait toutes les libertés partout sur la planète.

Jean-Rémi BARLAND

« Espèces dangereuses » par Sergueï Shikalov. Éditions Le Seuil – 220 pages – 19 €

Rencontre au Conservatoire Pierre Barbizet – 2 place Auguste et François Carli, 13001 Marseille ce dimanche 26 mai à 16h30.

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