Publié le 9 décembre 2020 à 13h12 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 12h20
Pour un beau prix c’est un bon prix. Djaïli Amadou Amal qui était sur la dernière liste du Goncourt 2020 vient d’obtenir le Prix Goncourt des lycéens, une récompense ô combien prestigieuse et porteuse d’espoir dans la jeunesse qui lit.
« Les impatientes » est un ouvrage qui pourrait très bien s’intituler «Trois femmes, trois histoires, trois destins» et dans lequel l’auteure a mis beaucoup de sa vie, de son sang, de son cœur, de ses larmes. Un livre terrible, puissant, essentiel paru chez Emmanuelle Colas, éditrice indépendante et courageuse. Pourtant c’est le genre de roman que l’on aimerait volontiers ne pas lire. Non pas en raison de son style (il est d’une puissance rare), ni de l’agencement de son récit (toujours inventif) mais parce qu’il décrit avec minutie, et un vrai sens de la résilience pour les victimes ce que l’homme a de plus mauvais en lui. Si un jour «Les impatientes» de Djaïli Amadou Amal devenait obsolète et se signalait comme une description de faits passés et révolus, nous aurions fait alors un formidable bond en avant dans le respect que l’on doit aux Femmes. Nous en sommes hélas encore loin, et nous recevons du coup ce témoignage incandescent avec effroi, colère, respect aussi pour celle qui l’a composé, qui fait preuve d’authenticité et non de voyeurisme. Ces deux dernières qualités ne suffisent pas à signaler en elles-mêmes un texte littéraire, «Les impatientes» s’imposant comme une bouleversante fiction peu fictive et plus vraie que nature. Le critique, écrivain et Académicien français Angelo Rinaldi définissait dans une de ses chroniques passées le roman comme du chagrin soutenu par la grammaire. On ne peut mieux résumer «Les Impatientes» qui sonne juste et dont le style non misérabiliste et son étonnant sens du récit en font une œuvre artistique.
Plaidoyer pour les victimes de la polygamie, du viol conjugal, du mariage forcé
Absolument pas trafiqué ce long plaidoyer pour les victimes de la polygamie, du viol conjugal, du mariage forcé, est le fruit d’une auteure qui sait très bien de quoi elle parle. Née dans l’extrême nord du Cameroun Djaïli Amadou Amal est Peule et musulmane. Mariée à dix-sept ans elle a connu toutes les épreuves endurées par les femmes au Sahel, et son roman, brisant les tabous, ausculte en profondeur le drame qu’est la condition féminine dans cette région du monde. Et ailleurs également car «Les impatientes a valeur d’universalité et sans exécuter d’innombrables effets de manche langagiers, l’auteure montre sans démontrer, ce qu’elle décrit avec minutie suffit à indigner tous et chacun. Trois femmes apparaissent ici. Trois histoires, trois destins, liés et reliés par la même souffrance. Ceux de Ramla, brillante étudiante arrachée à Aminou son tendre amour, Hindou, mariée à son alcoolique cousin Moubarak, femme blessée à jamais qui fera une psychose puerpérale à la naissance de son premier enfant, Safira, une coépouse qui ne supportera pas le nouveau mariage de son époux, et qui court les marabouts pour jeter des sorts à la malheureuse rivale qui en tombera malade et fera une fausse couche. Avec pour seule arme ce mot « Munyal ! » qui veut dire « Patience ! » seul et unique conseil donné par leur entourage puisqu’il est impensable aux yeux de ceux qui le prononcent d’aller contre la volonté d’Allah. Pas vraiment de solidarité entre les femmes du polygame, des femmes traitées comme du bétail, battues, et constamment salies dans leur chair et leur âme qui exercent parfois aussi l’une sur l’autre de terribles sévices. Les mots claquent en phrases courtes, couperets et en filigrane on entend à travers ce roman à trois voix un même chant de solitude et de larmes. Et répétons-le Djaïli Amadou Amal de signer un grand roman littéraire d’une force solaire.
Jean-Rémi BARLAND
«Les Impatientes» par Djaïli Amadou Amal, éditions Emmanuelle Collas – 246 pages- 17€