Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Dominique Barbéris, Grand Prix du roman de l’Académie Française pour « Une façon d’aimer » paru chez Gallimard

Et trois de suite pour les éditions Gallimard ! Après François-Henri Désérable, pour « Mon maître et mon vainqueur »  et Giuliano da Empoli pour « Le Mage du Kremlin » c’est le roman de Dominique Barbéris «Une façon d’aimer» de la collection Blanche publié fin août chez Gallimard, qui vient de remporter le Grand Prix du roman de l’Académie Française 2023. Un prix doté de 10 000 € … quand même !

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C’est à son père que Dominique Barbéris a dédié son roman couronné par l’Académie Française. (Photo Francesca Mantovani/Gallimard)

Le roman de Dominique Barbéris «Une façon d’aimer» a remporté les suffrages avec 14 voix contre 6 pour Croix de cendre d’Antoine Sénanque (Grasset) et 4 pour Les Alchimies de Sarah Chiche (Seuil). « Je suis à la fois très émue et infiniment honorée de recevoir ce prix », a déclaré la lauréate lors de la proclamation dans les salons de l’Académie française. « Ce roman est dédié à la mémoire de mon père qui est parti en 1950 en Afrique. Je sais que ma mère le lit et le relit en disant : je retourne à Douala . Cela ne supprimera pas le doute quant à la qualité de ce que j’écris. Mais j’ai derrière moi trente ans d’écriture, et Dieu sait si c’est une merveilleuse reconnaissance », a-t-elle confié avec beaucoup d’émotion.

Un portrait de femme brossé par touches successives avec Douala en toile de fond.

Ce qui frappe d’emblée dans  « Une façon d’aimer » c’est sa structure. Nous nous attachons aux différents personnages par le biais d’une narratrice qui se trouve être la nièce d’une certaine Madeleine, la sœur de sa mère. Décrite comme une beauté discrète et mélancolique cette femme libre et très moderne devient au fil des pages le centre du motif d’une histoire familiale assez émouvante lors de laquelle défilent les années, les lieux, et des êtres fascinés par l’entrée dans la modernité sociale.

Nous sommes dans les années 1960. Sur le tourne-disque installé dans la maison, on entend un 45 tours comportant deux titres de Guy Béart : « La vie conjugale » et sur ce qu’on appelait la face B la chanson « Bal chez Temporel » enregistrée en 1957.  On ne sera pas surpris de savoir que Guy, fou amoureux de sa femme Madeleine dès qu’il parle d’elle sifflote : « Madeleine c’est mon Noël, c’est mon Amérique à moi » les célèbres paroles de Jacques Brel. Mais aucun d’eux ne prend directement la parole ici tout nous est rapporté par le prisme de la narratrice qui passe d’un sujet à l’autre brossant un portrait de femme intrépide et plutôt aventurière.

Grande lectrice également conservant dans sa bibliothèque des ouvrages signés Mauriac dont « Thérèse Desqueyroux » parcouru sous un poirier, Troyat, Cesbron, (des auteurs pas forcément très en vogue de nos jours), un livre intitulé « Poussière » de Rosamund Lehmann dont le contenu a toujours intrigué la narratrice, des romans des années 1950, et des Goncourt d’autrefois. Façon de montrer que Madeleine est toujours restée une femme d’esprit dont nous suivons le parcours sentimental des plus surprenants. La littérature étant d’ailleurs omniprésente dans le roman de Dominique Barbéris où l’on évoque le Pont du Cens lié à l’histoire de la famille décrit en pages poétiques par Julien Gracq dans son livre sur « Nantes ».

La force de nos désirs secrets

En romancière autant qu’en scrutatrice des âmes, Dominique Barbéris dont « Une façon d’aimer » est un des plus beaux romans évoque le destin de Madeleine par touches successives en le liant à l’Histoire de notre pays. Et notamment aux heures de la décolonisation en marche. On verra comment Madeleine quitta sa Bretagne natale pour suivre son mari Guy partant pour l’Afrique où il avait trouvé du travail à la Société des bois du Cameroun. Direction Douala, ville décrite dans une succession de détails colorés contrastant avec la violence inhérente à l’époque. En parallèle nous suivrons là encore Madeleine, éprise cette fois d’un certain Yves Prigent, mi-administrateur, mi-aventurier, rencontré lors d’un bal à la Délégation. C’est Sophie, la fille de Guy et de Madeleine qui nous donne des informations liées à leur idylle. Rien n’est appris par le lecteur de la bouche même des protagonistes, et nous sommes informés du chagrin et de la joie intérieure de Madeleine sentant peut-être combien sa vie lui échappait par le prisme de suppositions, d’interrogations successives.

Ainsi « Une façon d’aimer » qui évoque la force de nos désirs secrets, la grâce de certaines rencontres et la force du pardon, nous émeut, puis nous fascine. Car, c’est ici l’épaisseur d’une vie de femme qui se dévoile et  toute l’Histoire de la France des années 1950-1970, racontée sur fond de chansons de Claveau, Patachou, Dalida, ou Mouloudji, qui surgit en pages sans complaisance mais nourries d’un regard compassionnel. Où le temps se signale comme témoin de la peine des hommes, et dans l’épilogue assez inattendu de la douleur du deuil.

Jean-Rémi BARLAND

«Une façon d’aimer » par Dominique Barbéris. Gallimard. 205 pages, 19,50 €

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