Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Goncourt 2024: et le gagnant sera…

Publié le 4 septembre 2024 à  12h29 - Dernière mise à  jour le 8 septembre 2024 à  10h04

Ça y est la première liste des prétendants au Goncourt 2024 est tombée.

Destimed Carrousel
Abdellah Taïa © Abderrahim Annag – Carole Martinez © Francesca Mantovani/Gallimard – Maylis de Kerangal @ Francesca Mantovani-Editions Gallimard – Daoud Kamel © Francesca Mantovani /Gallimard

La voici :

  • Ruben Barrouk, Tout le bruit du Guéliz (Albin Michel).
  • Thomas Clerc, Paris Musée du XXIe siècle (Les éditions de Minuit).
  • Sandrine Collette, Madelaine avant l’aube (JC Lattès).
  • Kamel Daoud, Houris (Gallimard).
  • Gaël Faye, Jacaranda (Grasset).
  • Hélène Gaudy, Archipels (L’Olivier).
  • Philippe Jaenada, La désinvolture est une bien belle chose (Mialet-Barrault).
  • Maylis de Kerangal, Jour de ressac (Verticales).
  • Étienne Kern, La vie meilleure (Gallimard).
  • Emmanuelle Lambert, Aucun respect (Stock).
  • Rebecca Lighieri, Le Club des enfants perdus (P.O.L).
  • Carole Martinez, Dors ton sommeil de brute (Gallimard).
  • Thibault de Montaigu, Cœur (Albin Michel).
  • Olivier Norek, Les guerriers de l’hiver (Michel Lafon).
  • Jean-Noël Orengo, Vous êtes l’amour malheureux du Führer (Grasset).
  • Abdellah Taïa, Le Bastion des larmes (Julliard).

L’Académie est au complet avec dix couverts, gravés au nom de Philippe Claudel, nouveau président de l’Académie élu en mai 2024, Camille Laurens, secrétaire, puis par ordre d’ancienneté Françoise Chandernagor, Didier Decoin, Tahar Ben Jelloun, Pierre Assouline, Paule Constant, Éric-Emmanuel Schmitt, Pascal Bruckner et Christine Angot.

L’an dernier, le prix Goncourt été attribué à Jean-Baptiste Andrea pour son roman Veiller sur elle, paru aux éditions de L’Iconoclaste, et écoulé depuis à plus de 600 000 exemplaires en grand format, selon GFK.

Notons d’abord un absent de marque sur la liste 2024 : à savoir Miguel Bonnefoy écrivain franco-vénézuélien dont le roman « Le sourire du jaguar » publié chez Rivages qui, s’inspirant de la vie de ses grands-parents -qui deviendront des médecins renommés de Maracaibo ou Maracaïbo, ville du Venezuela et capitale de l’État de Zulia- demeure à mes yeux le plus magnifique, le plus bouleversant de cette rentrée littéraire. Un chef d’oeuvre autant sur le fond que dans la forme, à ranger oui excusez du peu du côté de Garcia Marquez et Jorge Amado.  Pourtant ce roman s’inscrivait pleinement dans ce qu’aime ce jury Goncourt adepte des textes d’auteurs traitant de l’identité, des révoltes des peuples, des fracas de l’Histoire de la montée des fascismes dans l’Europe de la première moitié du XXe siècle. C’est vrai qu’on ne rit pas souvent dans les choix proposés qui sont tout de même marqués par une écriture assez ample.

Kamel Daoud le grand favori

Aussi n’est-on pas surpris de voir apparaître sur la liste « Les guerriers de la neige » de Olivier Norek, qui raconte comment Staline envahissant la Finlande a tenté de la soumettre et s’est heurté à la résistance de ses combattants dont l’incroyable Simo Häyhä surnommée « La mort blanche ». C’est lui le héros de cette épopée du courage. Il pourrait rafler la mise mais il aura face à lui le favori 2024, à savoir Kamel Daoud qui dans « Houris » évoque les années de plomb dans l’Algérie contemporaine. Un livre terrible, sidérant violent et poétique à la fois un peu long par moments mais qui est le fruit d’un créateur osant tout et secouant les lignes. A moins que Gaël Faye mette tout le monde d’accord avec « Jacaranda » où l’auteur nous emmène une fois encore dans le Rwanda dévasté par la guerre, et raconté par les yeux d’un enfant. Là encore on écoute le fracas des armes et on voit dans une écriture très cinématographique l’horreur des génocides.

Ce qui est également le cas avec « Vous êtes l’amour malheureux du Führer » où Jean-Noël Orengo brosse le portrait de Albert Speer, architecte favori et ministre d’Hitler qui à la fin de la guerre publiera ses « Mémoires » dans un livre qui fit du bruit. Histoires de familles, hommage au père, à la grand-mère aux sœurs avec trois livres très émouvants signés Thibault de Montaigu « Coeur » qui évoque son père disparu en emportant quelques secrets. Ruben Barrouk « Tout le bruit du Guéliz » où Marrakech devient un personnage à part entière du roman et où l’auteur nous bouleverse par une plongée dans un monde fait de souvenirs brodés avec le cœur. N’oublions pas « Le bastion des larmes » d’Abdellah Taïa, écrivain de langue française né à Rabbat au Maroc (quand on vous dit que les Goncourt repèrent souvent des auteurs issus peu ou prou de la francophonie) et qui nous emmène à Salé sur les traces d’un héritage familial compliqué. Le monde réel envahissant l’espace littéraire on notera avec « La vie meilleure » le passionnant biopic d’Étienne Kern sur le personnage fort peu connu de Émile Coué, obscur pharmacien devenu célébrité mondiale. Un fait-divers terrible racontant comment une jolie jeune femme, intelligente et libre entourée d’amis admirée, amoureuse d’un soldat américain qui l’aimait aussi s’est jetée par la fenêtre d’une chambre d’hôtel à vingt ans permet à Philippe Jaenada  avec « La désinvolture est une bien belle chose » de poursuivre une œuvre qui montre combien le poids sociétal pèse sur les individus. Enfin il y a côté écrivains « Paris Musée du XXIe siècle »  que son auteur Thomas Clerc présente ainsi «Le 10ᵉ arrondissement parisien compte 155 rues, places, quais, squares, cités, avenues, jardins, boulevards, impasses et passages que j’ai décidé d’arpenter méthodiquement. Comme le titre Paris, musée du XXIᵉ siècle l’indique, j’offrirai à terme, en commençant par l’arrondissement où je vis, une description générale de la ville. La muséification de Paris n’est pas étrangère à mon propos, mais l’œil en marche découvre tant de pièces insoupçonnées que la ville, par le jeu d’une exposition, rescintille. Les perles ne sont pas le tout du collier, c’est le fil aussi qui les tient. Un système de positionnement global étant nécessaire à la documentation des rues, j’ai adopté, après celle où j’habite, l’ordre alphabétique, et j’ai placé quelques bornes pour que le lecteur puisse, à son tour, entrer dehors».On voit mal comment il pourrait devancer tout le monde mais c’est un très beau livre.

Des femmes puissantes

Côtés auteures notons dans la liste la présence de six femmes puissantes. Passons rapidement  sur « Aucun respect » d’Emmanuelle Lambert, le plus faible de tous consacré à la rencontre entre une jeune archiviste et Alain-Robbe Grillet, qui à mon sens n’a aucune chance. Évoquons en un éclair « Madelaine avant l’aube » qui brosse le portrait d’une fillette affamée et sauvage, sortie des forêts. Adoptée par Les Montées, passionnée, courageuse, si vivante. elle les ravit, (ce qui ne sera pas notre cas). Là encore Sandrine Collette questionne l’ordre des choses, sonde l’instinct de révolte, et signe une (fort pesante) ode aux liens familiaux. Mère et enfant se rejoignent dans le roman de Carole Martinez «Dors dans ton sommeil de brute» ou comment lutter contre la nuit et les cauchemars d’une fillette. Beau livre que celui de Hélène Gaudy qui, dans « Archipels » signe la géographie intime d’une femme découvrant qu’aux confins de la Louisiane une île porte le prénom de son père. Cette île « Jean-Charles » qui s’enfonce dans la mer est à elle seule un personnage assez inoubliable. Ralentir grands livres ! Celui de Maylis de Kerangal tout d’abord, intitulé « Jour de ressac ». Ici l’auteure place en miroir une femme et la ville du Havre, la cité chère au Président René Coty. L’histoire brève mais intense se concentre sur une journée qui débute par la découverte du corps d’un homme près de la digue nord. Un coup de fil reçu par la narratrice, les vagues, un flot d’interrogations, Maylis de Kerangal signe un de ses textes les plus forts. « Le club des enfants perdus » de Rebecca Lighieri, pseudonyme d’Emmanuelle Bayamack-Tam est un texte poignant sur les gouffres d’incommunicabilité qui peuvent se creuser au sein d’une famille. Miranda est la fille d’un couple de comédiens célèbres qui souffre de problèmes psychologiques depuis l’enfance. Son histoire nous est racontée d’abord par son père puis par Miranda elle-même Et ce roman à deux voix est absolument frappant d’intelligence, d’audace narrative et bouleversant d’émotion.

Le Goncourt des Lycéens 2024 : c’est parti ! Avec escale à Aix le 17 octobre

Hormis Gaël Faye, déjà récipiendaire du prix, les quinze autres romanciers pourront concourir au Goncourt des Lycéens organisé par la FNAC. Cette année, 55 lycées feront partie du jury (dont trois lycées français à l’étranger de Jordanie, Canada et Etats-Unis).

Voici les différentes étapes de cette année :

  • Du 7 au 17 octobre : rencontres entre lycées et auteurs avec escale à Aix le 17 octobre.
  • 25 novembre : délibérations régionales.
  • 28 novembre : délibérations nationale et proclamation, à Rennes.

A vos Goncourt…. Prêts ? Partez !

Jean-Rémi BARLAND

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