« Je me nourris du bon feu, j’éteins le mauvais », écrivait François 1er. Cette pensée du souverain français qui en fit sa devise, on la trouve placée en exergue par Sébastien Dulude dans son roman « Amiante ». C’est même le titre du premier chapitre de ce texte émouvant que l’auteur écrivain et éditeur québécois, qui s’est signalé par la prose incandescente de plusieurs recueils de poésie, viendra présenter le 14 novembre à 18h30 au sein de la librairie marseillaise Mima.
Cela pourrait s’appeler également « Réparer les vivants » comme le proposait Maylis de Kerangal dans une de ses plus belles fictions adaptée au Théâtre par Emmanuel Noblet. Ralentir… chef d’oeuvre. Tel est le conseil que l’on peut donner à celles et ceux qui voudraient découvrir cet ouvrage atypique qui traite d’amitié, de la violence du monde, de la défense de la planète abîmée par la pollution, et de la transmission à leurs enfants du feu intérieur qui brûle chez les parents de bonne ou de mauvaise volonté.
Nous sommes courant été 1986, à Thetford Mines, ville phare de l’industrie de l’amiante québécoise. Nous y suivons le parcours de passion fraternelle de Steve Dubois, 9 ans, et Charlélie Poulin, surnommé petit Poulin, âgé de 10 ans. Leur quête c’est maintenir intact au fond de leur cœur et de leur vie ce qui est pour eux le vert paradis de l’enfance qui s’étend ici dans des paysages pourtant rudes et hostiles comme on les trouve chez Rick Bass ou Jim Harrison. Explosions régulières venues de la mine symbolisant les tragédies successives marquant le quotidien des uns et des autres en cette année maudite. «La mine, nous dit-on, c’est la violence sur certains parents, puis la violence sur certains enfants ; la mine c’est l’isolement des enfants, et l’isolement, c’est l’ennui». Bruits de moteurs de gros camions, vapeurs incessantes d’essence, poussières d’amiante, le roman dans une prose panthéiste et noire s’attache à dépeindre des quotidiens au départ ordinaires transformés par le fatum en sortes de tragédie antique.
« Aux grands maux les grands refuges »
« Aux grands maux les grands refuges », est-il précisé page 26. Le long de grands pins rassurants, dans « une pinède bâtarde, un bras de forêt en lutte constante et immobile, une forêt d’un rouge miel, toujours changeante, qui avait perdu du terrain au profit d’une flore plus chaotique» les deux amis ont installé une cabane, fruit de leurs courses aux rêves, d’où, tels des barons perchés (sans les escargots du récit de Calvino) ils partagent leurs douceurs innocentes et observent la marche du monde. Ils lisent des albums de Tintin, consignent dans des cahiers les articles de journaux relatant les catastrophes, et se jurent de rester solidaires. Et puis il y a la dénonciation des sévices que parfois les adultes font subir à leurs enfants. Explosera d’ailleurs cet Eden bâti à la seule force des rêves par nos deux poulbots québécois ivres de fantaisie imaginative.
Deux périodes distinctes
Deux périodes structurent le récit : été 1986 et été 1991. Un narrateur : le jeune Steve Dubois, gamin anxieux et introverti, neuf ans au début du livre. Fils d’un camionneur taiseux et violent travaillant pour la mine King-Beaver et d’une mère emmurée chez elle car trop souffrante, il distille par paragraphes en forme de poupées russes, ses craintes, ses espoirs, ses colères, ses joies, son émerveillement d’avoir trouvé en ce petit Poulin pourtant plus âgé que lui ce frère dont il rêvait. Et puis il y a dans la seconde partie l’émergence du personnage de Cindy qui porte un tee-shirt de « Massive Attack », lit Stephen King, réveille les désirs de Steve, fume avec lui, l’emmenant à Montréal et comblant du mieux possible le départ de l’ami Poulin. Cette fille fantasque et solaire contribue à rallumer ce qu’on appelait au début « le bon feu » brûlant dans le cœur rempli d’amour de notre jeune héros. Au final un récit initiatique se finissant par le mot « foyer » développé dans un roman bouleversant évoquant sur fond de pollutions industrielles et morales la difficulté d’être soi.
Jean-Rémi BARLAND
« Amiante » par Sébastien Dulude – Éditions la Peuplade – 210 pages – 20 €
Sébastien Dulude présentera son roman « Amiante » le 14 novembre à 18h30 à la librairie Mima – 52 avenue de La Madrague Montredon – 13008 Marseille. Renseignements au 04 96 19 54 92