Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Les Correspondances de Manosque : Célestin de Meeûs présentera  son exceptionnel premier roman « Mythologie du .12 » 

Célestin de Meeûs sera présent aux journées des Correspondances de Manosque le 27 septembre à 16 h 30 – Place d’Herbès en compagnie de la romancière Estelle Rocchitelli pour une rencontre animée par Maya Michalon.

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Célestin de Meeûs, virtuose des mots et romancier surpuissant. (Photo Manon Perrola)

« Ecrire c’est comprendre la perte »

Une première phrase de deux pages et demie. Des relatives incises dans de longues expressions de soi serpentines que le lecteur jamais noyé sous ce torrent de mots savoure en ralentissant la cadence et en revenant en arrière, pour le simple plaisir de s’imprégner de chaque mot. Pour son premier roman publié le poète belge Célestin de Meeûs, secoue les lignes et frappe les esprits. Intitulé « Mythologie du .12 » ce texte tellurique est un des chocs de cette rentrée littéraire.

Trois personnages centraux traversent ce récit qui nous plonge un jour de solstice d’été dans une histoire sombre faite de réflexions sur le désarroi, l’ennui, la solitude éprouvée au sein de sa propre famille. C’est ici l’histoire de Théo, dix-huit ans à peine, tout juste bachelier, plaqué par Alice, qui zone sur le parking d’un supermarché à bord d’une vieille Clio pourrie, et qui enchaîne bières et joints en compagnie de son pote Max qui en ce 21 juin sort à peine d’une soirée passablement arrosée. Les deux amis, frères de cœur et d’infortune décident alors de partir en villégiature à la campagne dans une cabane bordant un étang.

C’est aussi l’histoire du docteur Rombouts, cinquante ans environ, père de deux garçons Achille et Grégory, abandonné pour infidélité par sa femme Françoise et qui se dirige vers sa maison située dans la campagne en bordure de quelques hectares de bois achetés aux Vansteen, et acquis à la sueur de son labeur. On l’aura deviné telles des monades leibniziennes impénétrables aux autres consciences individuelles ou individualités, ces trois êtres de souffrance, de doutes et de désarroi vont se rencontrer pour le pire du pire et fracasser leurs consciences contre les dures parois d’un affrontement très western.

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« L’écriture cherche le continent de l’enfance perdue »

Ajoutez le tenancier du restaurant chez Moustache, et vous aurez les composantes humaines de ce qui demeure un polar dans la lignée des histoires anglo-saxonnes signées Robert Goolrick, Erskine Caldwell, le Paul Auster de « La musique du hasard »  ou les récits panthéistes de Jim Harrison. Car, c’est une évidence, le roman de Célestin de Meeûs est très peu d’inspiration traditionnelle française. L’idée d’un monde très vaste défendue par Théo, qui veut partir, la force du destin avec la volonté pour Max de rester là, la volonté chez l’auteur de ne donner aucun renseignement sur la condition sociale des deux jeunes anti-héros, l’absence de présence des parents, le livre écrit par l’auteur dans l’ordre de sa lecture fait entendre des voix intérieures tragiquement sublimes dans surtout lors de la deuxième partie une unité théâtrale de temps, de lieu, d’action.

« L’écriture cherche le continent de l’enfance perdue », précise le romancier qui, venant de la poésie signe avec sa plume onirique une sorte de chant. Il y a quelque chose de sacré dans la musicalité de son écriture, et le lecteur se retrouve happé autant par l’histoire où l’on verra l’importance de la mythologie, et ce que la possession d’un calibre .12 peut suggérer dans la tête de celui qui va peut-être s’en servir. «Dans tous les récits mythologiques il y a un conflit, qui rappelle les conflits générationnels présents dans le livre », indique Célestin de Meeûs qui souligne: « La mythologie est très forte dans la pensée de Théo. C’est un calque à travers lequel il veut comprendre la complexité du monde .» Et cette réflexion sous-jacente sur la mythologie de ce que la propriété privée peut engendrer comme comportements chez les gens, est aussi une des pistes de ce texte ô combien dialectique mais répétons-le toujours ludique et facile d’accès. On y dépeint un monde qui se signale ici par son énormité, ses étendues vastes, ses huit milliards de paumés, comme lui Théo, fumeur de joints et buveur de bières, épris néanmoins de beauté et de grandeur jamais atteintes.

Le chant des oiseaux, le blé vert pâle, l’argile brun-rouge du sol, des arbres feuillus

« Quand j’écris, explique le romancier, je porte une attention particulière aux lieux que je présente. Ecrire c’est une plongée, et je me mets alors entièrement dans la scène. J’essaye d’être précis, de voir exactement ce que les personnages voient d’être tout entier dans leur tête, leur corps, en précisant leurs intentions. La poésie m’a beaucoup aidé pour cela, et j’aime relire mes textes à haute voix…».

Magnifique la prose de Célestin de Meeûs offre des passages intenses sur la puissance des éléments naturels où se fondent les personnages. On retiendra cette évocation du chant des oiseaux lorsque Rombouts reconnaît un merle, un rossignol, une mésange, le roucoulement d’un ramier, une volée d’hirondelles, et où plus loin il est fait état du blé vert pâle, de l’argile brun-rouge du sol, et des arbres feuillus. Loin d’être décoratives ces pages panthéistes à la Jim Harrison ou à la Giono nous plongent dans l’intimité d’êtres qui tentent de se fondre dans des univers qu’ils traversent mais qui les dépassent. Voilà un chef d’œuvre qui bouleverse et fait aimer le pouvoir ensorceleur des mots et de la littérature.

Jean-Rémi BARLAND

« Mythologie du .12 » par Célestin de Meeûs. Editions du sous-sol. 158 pages, 17,50 €

 

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