Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Les poèmes incandescents d’Arthur Teboul le chanteur du groupe « Feu ! Chatterton»

Pour tout le monde ce fut un choc ! Lors de la cérémonie d’entrée au Panthéon  le 21 février 2024, sur décision du président de la République,  de Missak Manouchian accompagné de son épouse Mélinée, soit quatre-vingts ans après qu’il eut été fusillé par les nazis dans la clairière du Mont-Valérien, Arthur Teboul et son groupe « Feu ! Chatterton » ont bouleversé l’auditoire par leur interprétation de « L’affiche rouge », le poème de Louis Aragon mis en musique par Léo Ferré.

Destimed Arthur Teboul Le deversoir Photo dArthur Teboul par Clement Doumic
« Le déversoir » couverture Vahram Muratyan. Photo d’Arthur Teboul par Clément Doumic.

Instant sublime pour honorer Missak Manouchian, né à Adyiaman en Anatolie en 1906, qui, arrivé en France en 1924, fut poète et militant, rejoignant en 1934 le Parti communiste dont il anime la section arménienne au moment du Front populaire. C’est dans ce contexte qu’il rencontre Mélinée Assadourian, elle aussi orpheline du génocide dont il a échappé en 1915. Les carnets qu’il remplit et les poèmes qu’il écrit témoignent d’un triple engagement, artistique, politique et amoureux. Il sollicite par deux fois, en 1933 puis en 1940, la naturalisation française. Mais c’est trop tard : la France se replie sur elle-même. En 1936, la guerre d’Espagne le marque fortement, comme toute la MOI et nombre de ses futurs camarades de combat engagés dans les Brigades internationales. Poète lui-même chanteur et parolier homme de paix et citoyen du monde, créateur qui témoigne dans ses textes du pouvoir fédérateur de la poésie, et de sa nécessaire présence dans notre quotidien comme une halte au milieu du vacarme du monde, Arthur Teboul était forcément ému. « Cette chanson on l’a mise dans notre répertoire depuis longtemps et chanter ce texte devant le cercueil de Manouchian avec les visages devant soi était un moment forcément intense. Je me disais lors de la répétition où j’étais en larmes qu’il ne fallait pas que je pleure trop le jour de la cérémonie. Je n’ai alors pas pensé au poids au choc et j’ai usé de sobriété parvenant comme tous mes camarades musiciens à vivre ce moment comme un cadeau que l’on nous faisait et une volonté de faire acte de mémoire. »

« Pour moi, écrire c’est dire »

Destimed Arthur Teboul Ladresse Photo Arthur Teboul Gregory Copitet
« L’adresse » couverture conception graphique Vahram Muratyan & Camille De Lafforest pour les éditions Seghers. Photo Antoine Teboul par Grégory Copitet.

Formidable groupe « Feu ! Chatterton », dont le nom est la juxtaposition de l’expression Feu ! et de Chatterton, en hommage au poète Thomas Chatterton, poursuit une carrière atypique qui draine des milliers de fans. L’histoire du groupe commence au milieu des années 2000, avec la rencontre d’Arthur Teboul, Clément Doumic et Sébastien Wolf au lycée Louis-le-Grand. Après leurs années d’études, ils attirent à eux Antoine Wilson (basse) et Raphaël de Pressigny (batterie). Et c’est alors une suite de concerts et d’enregistrements d’albums tous plus inventifs que les autres. « Je suis venu à la musique par accident, confie Arthur Teboul, et j’ai découvert que je pouvais chanter à l’âge de vingt ans par l’amour des mots de Brassens, Brel, Barbara. Je suis rentré en littérature par la chanson en fait. Pour moi écrire c’est dire. Et c’est par ma rencontre avec mes camarades que je me suis autorisé à devenir chanteur. Et aujourd’hui voilà mes deux livres de poèmes publiés. J’en suis d’autant plus fier que l’objet livre qu’est le second intitulé « L’adresse » publié aux éditions Seghers est magnifique où un un soin particulier a été apporté à la typographie de Vahram Muratyan, le graphiste directeur artistique des nouvelles éditions Seghers dirigées par Antoine Caro. » Présentation audacieuse, écart de marges, pages bleues tirant sur le clair, pages blanches avec des typographies différentes le résultat tient de l’œuvre d’Art. Redire le réel et le monde, « L’adresse » après les « Poèmes minute », composés parfois comme des haïkus, sonne comme un hommage à René Char dont il cite en exergue la phrase « les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux.» Un immense sommet poétique que toute l’œuvre  de Char qui demande une qualité d’écoute et d’intention.

« La poésie c’est une matière dont l’auditeur s’empare pour y mettre ses propres sens »

Faisant sienne l’idée que le malheur de la question c’est la réponse Arthur Teboul sonde la complexité du monde en s’interrogeant sur sa propre place dans le trafic.. comme le chanterait Francis Cabrel. Des 236 nouveaux poèmes structurant « L’adresse » – faisant suite aux 98 composant « Le réservoir »- tous nés de l’accueil fait par Arthur Teboul à 236 visiteurs conviés pour leur écrire un poème on pourra retenir que c’est un ouvrage de doutes, d’amour des autres, et d’éblouissements. « Un poème c’est tirer les cartes à soi-même », dit l’auteur qui ajoute que la poésie « c’est une matière dont l’auditeur s’empare pour y mettre ses propres sens.» C’est au final un manifeste pour une vie poétique et c’est aussi une invitation au partage, qui entre recueil et ouvrage d’art témoigne du souci d’Arthur Teboul de dire « je » en ne pensant qu’aux autres. « Ce qu’on s’autorise à espérer prend racine quelque part », explique le poète page 135 du livre « Le déversoir ». Une pensée imprimée en blanc sur fond noir qui interpelle. Elle résume à elle seule la démarche d’Arthur Teboul funambule des mots et de la musique qui signe aussi avec « Le déversoir » et « L’adresse » un hymne à la femme aimée et à la beauté. Inoubliable !

Jean-Rémi BARLAND

Arthur Teboul : « Le déversoir », poèmes minute -Éditions Seghers, Pocket 268 pages, 8 € – « L’adresse » Éditions Seghers 384 pages, 26 €. On peut retrouver l’interprétation de « L’affiche rouge » par « Feu ! Chatterton » dans leur double album « Live à Paris, palais d’argile , Tour 2022 » paru chez Virgin/Universal.

 

 

 

 

 

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