Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Miguel Bonnefoy obtient le Grand Prix du roman de l’Académie française et le Prix Femina pour son chef d’oeuvre « Le rêve du jaguar »

Comme le facteur de James Caïn, les prix littéraires sonnent donc deux fois en cet automne pour Miguel Bonnefoy puisqu’après le Prix de l’Académie Française cet auteur franco-vénézuélien âgé de 37 ans, demeurant à Toulon, qui écrit directement en français, vient d’obtenir le Prix Femina coiffant sur le poteau d’une voix (5 à 4) Emma Becker autrice de « Le mal joli». « C’est un prix que j’attendais depuis dix ans », a déclaré le lauréat, au Musée Carnavalet-Histoire de Paris, rappelant que sa langue maternelle n’était pas le français mais l’espagnol.

Destimed Miguel Bonnefoy Photo Jean Remi Barland
Miguel Bonnefoy : « on est esclave de ce qu’on dit et maître de ce qu’on tait. »  (Photo Jean-Rémi Barland)

L’incroyable destin d’une famille vénézuélienne

Deux Prix importants et ce n’est que justice en fait car avec  Le rêve du jaguar» merveille absolue qui lui a valu d’être honoré. Miguel Bonnefoy s’impose, oui je tiens à l’écrire, comme le digne successeur français de Gabriel Garcia Marquez, Jorge Amado et le Carlos Fuentes de «Terra Nostra ». C’est en tout cas le roman le plus flamboyant et le plus émouvant que l’on puisse concevoir. Je mets au défi quiconque de ne pas être remué aux larmes en terminant cette saga politique et familiale inspirée de la vie des grands-parents de l’auteur. On est secoués, bouleversés par les portraits de chaque protagoniste, impressionnés par les récits successifs qui enrichissent la narration limpide et luxuriante surprenante et inventive. Puisque nous dit-on ici que « Lire c’est voyager » que « Lire c’est rester ». Cette fiction plus vraie que nature permet de vivre un périple au souffle puissant.

Au départ un nouveau-né orphelin de la rue, abandonné sur les marches d’une église dans une rue de Maracaibo qui porte aujourd’hui son nom. Recueilli par une mendiante muette, élevé dans la misère, tour à tour vendeur de cigarettes, porteur sur les quais, domestique dans une maison close, Antonio Borjas Romero, personnage inspiré par le grand-père de Miguel Bonnefoy et que l’on croirait par moments sorti d’un roman de Victor Hugo, deviendra grâce à son énergie bouillonnante un des plus illustres chirurgiens de la région. Généreux, humble, « généraliste de plage exerçant gratuitement habillé en short et espadrilles alors que du lundi au vendredi il était cardiologue dans le principal hôpital de Maracaibo » (ville évoquée par Julien Clerc dans « Et surtout » dont les paroles sont signées Étienne Roda Gil), il sera accompagné par une femme d’exception, Ana Maria Rodriguez qu’il épousera après une rencontre dépassant tout ce que vous pouvez imaginer en termes d’éloge du romanesque et de passions pour les récits d’amour.

La première femme médecin de cette région du Venezuela

Une femme digne et droite qui se distinguera comme étant la première femme médecin de la région, avec qui il aura une fille baptisée Venezuela, du nom de leur nation commune. Celle-ci aura à son tour un fils prénommée Cristobal qui, né à Paris, se transformera, par le biais d’un carnet, en conteur de l’évolution de la famille qui affrontera avec héroïsme les révolutions de leur pays au cours du XXe siècle. Ils ont nom (entre autres) Eva Rosa, Pedro Clavel, Diana del Alba, Emilio Montero, Alejandro Crespo, Martin Gamez, Leona Coralina, Oscar, Teresa, composant les figures « accompagnatrices » du récit qui porte de nombreux marqueurs spatio-temporels à la Garcia Marquez du genre «Bien des années plus tard…» On les voit ici vivre et parfois mourir dans un souci de quitter ce monde sans bruit et avec élégance. La vieillesse d’Antonio et Ana donnant corps à des pages d’une intensité inégalable, on suit les uns et les autres allant de surprises en surprises comme par exemple la découverte d’un pingouin échoué aux Caraïbes. On retiendra aussi dans cette saga familiale aux allures de contes immémoriaux empreinte des impressions de l’auteur de son enfance en Europe et en Amérique latine, saga qui fait l’éloge de la transmission (le récit court sur plusieurs génération), de la parole et du silence cette phrase page 218 : «On est esclave de ce qu’on dit et maître de ce qu’on tait. » Vous avez dit chef-d’oeuvre ? Vous avez bien raison.

Jean-Rémi BARLAND

« Le rêve du jaguar » par Miguel Bonnefoy. Rivages – 295 pages – 20, 90 €.

Destimed Couv le reve du jaguar

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