Alors que sort en Folio son « Roman fleuve » Prix Interallié 2022, Philibert Humm publie « Roman de Gare », un périple improbable sur rail réjouissant…
Philibert Humm : un train peut en cacher un autre…
Cela pourrait s’appeler « Enfreindre la loi avec le sourire », « Un train peut en cacher un autre » ou encore « Les hobos vous saluent bien». Mais cela s’appelle « Roman de gare » et il est signé Philibert Humm. Voilà un livre écrit avec panache, ponctué de courts chapitres d’une drôlerie réjouissante. L’auteur reprend ici le principe narratif de « Roman fleuve » qui lui valut le Prix Interallié 2022 où l’on suivait les aventures de Pieds-Nickelés descendant la Seine à bord d’un canoë ayant appartenu parait-il à Véronique Sanson.
Mais cette fois-ci ceux qui aiment l’humour de mister Humm, sorte de Mister Bean des lettres françaises prendront le train, puisque « Roman de gare » raconte le périple improbable sur rail de Philibert, le narrateur, et de Simon, son pote assez massif, plein d’entrain et qui « s’exprime usuellement comme un charretier diagnostiqué Gilles de la Tourette ». Comment en est-on arrivés là ? Cherchez le banquier (celui qui gère le compte très débiteur de notre ami écrivain) et vous aurez la réponse. Il faut renflouer les caisses au plus vite et donc publier sans tarder un nouvel opus. S’inspirant du mode de vie des hobos, ces vagabonds américains qui voyageaient léger à travers tout le pays, planqués dans des trains de marchandises, il décide d’entreprendre comme eux l’aventure en se laissant porter au gré des chemins de fer. Rien de mieux finalement pour en tirer un récit ponctué d’anecdotes et de rencontres savoureuses qui feront le bonheur de son éditeur et de monsieur Pierre-Gilles Gagnepain le banquier qui en aurait ainsi pour son argent.
Mais on ne part pas en vadrouille de ce genre sans se donner des patronymes « qui sonnent férocement bien ». Philibert, nom d’un chevalier du XIVe siècle d’un personnage de Maurice Leblanc ou d’un animal domestique sera Callaghan tandis que Simon répondra dorénavant au nom de Buck.
Le train de la galère…et du bonheur de lecture
Et en avant la galère ! Car galère il y aura. Le hobo nous précise-t-on n’est pas un voyageur comme les autres. « Sa destination c’est le petit bonheur, la bonne fortune, le hasard. J’irai où tu iras, dit-il au train, qu’importe la place et qu’importe l’endroit. Le hobo ne peut pas savoir où il va mais il peut néanmoins connaître son cap ». A l’aide d’une boussole pour ne pas perdre la tête en fait. Grimpant non sans peine dans un wagon de marchandises, se retrouvant du côté de Clermont-Ferrand, débarquant sans cesse et rembarquant dans des conditions extrêmes, voyant se profiler Tassin-la-Demi-Lune, triste cité de la banlieue lyonnaise où naquit Anne Sylvestre, croisant les feux de Saint-Hilaire village situé à côté de Remoulins, Buck et Callaghan vont de surcrôit approcher des gens assez pittoresques.
Pêle-mêle un automobiliste borgne et raciste appelé (nom d’emprunt) monsieur Chaudard, « conducteur borgne qui en plus louchait », une émouvante petite dame à sa fenêtre, des élus, des agriculteurs prêts à se lancer dans des courses de tracteurs, et bien entendu au regard de leur situation illégale quelques gendarmes. Hilarant « Roman de gare » qui dézingue joyeusement « Les parapluies de Cherbourg » de Jacques Demy « une vraie torture, un chemin de croix » offre aussi des petites incursions très érudites passées en compagnie de Victor Hugo, Kerouac, Musset, Nietzsche qui dit que « seules les pensées qui nous viennent en marchant ont de la valeur », ou Henri Michaux soutenant qu’« il est préférable de ne pas voyager avec un homme mort. » On y retrouvera résumée de manière décalée l’horreur de la bataille de la Somme de 1916, on y entendra Jean Gabin, on y citera le film « La bataille du rail » et on passera un moment inoubliable d’inventivité littéraire. Avec en prime comme dans « Roman fleuve » des notes en bas de page qui loin d’être soporifiques rendent la lecture là aussi réjouissante. Le train du bonheur en quelque sorte. Avec un épilogue aussi drôle que le reste.
« Roman fleuve », ou « Trois hommes dans un canoë , chef d’oeuvre d’humour, d’érudition et d’impertinence
Et « Roman fleuve » que l’on réédite en Folio, c’est quoi me direz-vous ? Il y avait « Trois hommes dans un bateau » de Jerome K. Jerome où trois amis, un peu hypocondriaques, décident de se refaire une santé en passant quelques jours en canot sur la Tamise. Il y a désormais « Roman fleuve » du Français Philibert Humm couronné du prix Interallié 2022. Un régal de lecture, pour le livre le plus drôle de la rentrée littéraire de l’été 2022. Hilarant et déjanté il donne la parole à Philibert Humm racontant comment avec deux de ses amis il décida à l’été 2018 de descendre la Seine jusqu’à la mer dans un canoë dont il fit l’acquistion dans des conditions rocambolesques et dont on apprendra qu’il a réellement appartenu à….Véronique Sanson. A quelques détails près, tout est vrai ici, et c’est un roman très autobiographique que nous propose cet écrivain surdoué remarquable co-auteur avec Pierre Adrian du merveilleux « Le tour de la France par deux enfants d’aujourd’hui », sorte de remake moderne paru en 2018 du chef d’oeuvre « Le tour de la France par deux enfants », manuel scolaire de lecture d’Augustine Fouillée-Tuilerie publié sous le pseudonyme de G. Bruno en 1877. Pierre Adrian, ami d’enfance de Philibert qui signa également avec lui « La micheline .. tournée des bars de France », paru en mai 2021. Mais ce n’est pas Pierre que nous retrouvons dans l’embarcation promise à un long périple, mais son frère Samuel Adrian, écrivain lui aussi, qui précédemment khâgneux candidat malheureux aux concours de l’Ecole normale supérieure (il s’est trompé de jour pour passer l’épreuve) est devenu employé des pompes funèbres. Le troisième larron de l’aventure s’appelle François Waquet et il étudie le droit romain à la Sorbonne. Et vogue le canoë !
Trois pieds-nickelés férus d’érudition
Éloge de l’amateurisme, ode à l’inutilité, hymne à la fraternité, clin d’œil aux livres de Dickens, Mark Twain ou Jules Renard dont il reprend la célèbre formule : « N’écoutant que son courage qui ne lui disait rien il se garda d’intervenir », « Roman fleuve » regorge de trouvailles, de phrases volontairement péremptoires prononcées par Philibert, et d’informations concernant les lieux visités au fil de l’eau par ces trois pieds-nickelés qui auraient trop lu de romans. Atteints du syndrome de Tom Sawyer qui se caractérise par une capacité à s’évader par la pensée ainsi qu’un goût prononcé pour la fantaisie et l’aventure (c’est aussi le titre d’un livre de Samuel Adrian) nos trois héros flânent, discutent, et s’en donnent « à rame que veux-tu ». Et Philibert Humm d’évoquer entre autres Lydie, la patronne des marchands, Saint-Nicolas, le patron des mariniers, la pluie à Rouen, la Bouille, village natal d’Hector Malot, présenté comme un « auteur d’ouvrages puérils, à destination de la jeunesse immature », le mascaret, une cuite mémorable, (« c’est un oxymore, ce qui ne diminue pas les maux de tête, mais c’est bon de le savoir »), la méchanceté des cygnes, le caractère paisible des crapauds, et aussi, pastichant Hugo « cette heure tranquille où les poissons vont boire ».
Gérard Larcher et Jean-Pierre Pernaut…
Fourmillant d’anecdotes, et de rebondissements dans une langue foisonnante peuplée d’adverbes « Roman fleuve », surprend et décoiffe. On y fait allusion page 222 à Michel Audiard et à la réplique de Blier-Dessertine dans « Un idiot à Paris » : « Vous êtes un meneur, et vos camarades des inconscients », et on voit surgir Sylvain Tesson, son père Philippe (récemment décédé), mais plus inattendu Gérard Larcher dont on évoque ses « Mémoires » et…Jean-Pierre Pernaut, aujourd’hui disparu qui traînait paraît-il derrière lui une profonde et touchante mélancolie. Sans compter des allusions au Cardinal de Retz, au Mont-Saint-Aignan près de Rouen, patrie chérie du chanteur Allain Leprest, Bonaparte, Alain Souchon ou Maupassant, et des pensées sur le temps qui passe comme celle-ci : « L’avenir n’aime pas bien qu’on le trace. Je crois qu’il a horreur de ça. L’avenir est comme ces gosses mal élevés ou certaines races de chiens qui n’écoutent pas les ordres et n’en font qu’à leur tête. » Kant et sa définition du génie : « Le génie est une intarissable faculté à prendre de la peine » est aussi du périple. « Je suis un voyageur qui écrit plutôt qu’un écrivain voyageur », confie Philibert Humm. « Vous êtes les deux mon capitaine » serait-on tenté de répondre à ce virtuose du récit et du verbe, sorte de Nicolas Bouvier du burlesque, qui n’en finit pas de construire une œuvre atypique des plus inventives.
Jean-Rémi BARLAND
« Roman de gare » par Philibert Humm – Éditions Équateurs – 235 pages – 22 €.
« Roman fleuve » par Philibert Humm – Editions Équateurs – 287 pages – 19 €. Repris en Folio /Gallimard