Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. « Prélude à son absence » de Robin Josserand : un roman sur le désir, sur le regard, la musique et l’éveil à l’écriture

« Il faut d’abord être coupable », écrivait Jean Genet dans « Le journal du voleur».  Cette phrase que Robin Josserand a placé en exergue de son premier roman « Prélude à son absence » résume à elle seule l’esprit de cette fiction née d’une vision.

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Robin Josserand : un premier roman puissant (Photo Francesca Mantovani/Gallimard)

Ce personnage de Sven qui fait la manche, assis par terre, le visage livide et émacié, l’auteur l’a aperçu. Pas tout à fait dans ces conditions, mais le souvenir de cet homme qui semblait épuisé a nourri l’écriture d’un texte âpre, sans concessions, et tenue par une prose charnelle. Robin Josserand n’a pas abordé ce SDF, la rencontre étant purement visuelle, mais elle a donné matière à un roman qui n’est en rien une autofiction, et où l’écrivain a mis beaucoup de lui-même.

Âgé de trente ans et travaillant dans une bibliothèque celui qui raconte cette histoire l’a ancrée dans la ville de Lyon, où habite Robin Josserand. « Je voulais que Genet soit présent dans le livre car sa mère biologique était de Lyon, tout comme Marc Barbezat, son premier éditeur. Il m’était donc apparu incontournable de placer Genet dans le livre », indique l’auteur.  Rude et poétique à la fois « Prélude à son absence », comme son titre le suggère est également un hymne à la musique, en général et à Glenn Gould en particulier. Robin Josserand qui a joué lui-même d’un peu de tous les instruments donne à Sven des airs de Glenn Gould justement, le rythme de la phrase étant comme la partition des « Variations Goldberg » un des sommets d’interprétation du pianiste, tantôt lente, tantôt rapide, toujours superbe.

Une question posée par Annie Ernaux

La grande question de ce roman de l’image, est de savoir, comme l’a souligné Annie Ernaux dans « Passion simple » jusqu’où on peut aller pour séduire. Dans la première partie du roman qui se déroule à Lyon, c’est le narrateur qui a l’ascendant. Dans la dernière, qui se déploie sur l’île de Groix, à l’endroit même des racines du narrateur, là où il a emmené Sven, c’est ce dernier qui semble décider du sort de l’autre, avec, comme principal moteur l’énergie de la séduction. « La mémoire n’est pas sérieuse. La mémoire est une fiction. Elle crée, elle ravaude », dit le narrateur dans ce qui est une sorte de catalogue à la Perec, le roman étant construit comme un long retour en arrière. La part autobiographique du récit semble totalement inventée, mais tout à fait crédible, tant Robin Josserand a fait sienne cette pensée de Gilles Barbedette, l’auteur de « Baltimore » : « Ce qui sonne le plus faux dans un livre est souvent un événement réel. »

Roman sur le désir d’un homme pour les garçons, certaines scènes assez crues le montrant draguant dans des lieux publics, « Prélude à son absence » est avant tout le roman d’un amour jamais consommé. C’est la force du récit, que de montrer Sven allant, venant, disparaissant, tantôt joyeux, tantôt triste, inaccessible en fait pour le narrateur transformé par la prose de Robin Josserand en un ange pasolinien. Jamais graveleux, toujours porté par une prose contemplative, réflexion sur la culpabilité, sorte de traité esthétique sur le beau, le bien, le sublime, où l’on voit le narrateur se diriger pas à pas vers l’écriture, « Prélude à son absence » offrant une fin ouverte, est un roman tragique souvent porté par un humour teinté de mélancolie. C’est en parallèle l’histoire d’un narrateur de trente ans qui n’arrivant plus à écrire, demeure dans un fantasme permanent et cherche une figure tutélaire. Un roman où l’on verra comment tous les éléments et les décors entourant les personnages pèsent de tout leur poids sur leur libre arbitre. Magnifique !

Jean-Rémi BARLAND

« Prélude à son absence » par Robin Josserand – paru aux Éditions  Mercure de France – 168 pages – 17,50 €

Destimed couverture Josserand

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