« Quatre couleurs » de Thomas Terraqué est un roman en forme d’hommage aux forces souterraines de l’école et à la vivacité des laissés-pour-compte. C’est un texte âpre et solaire à la fois qui évoque la rencontre d’un élève en colère avec un professeur qui a abdiqué. Entre eux un stylo quatre couleurs perdu par Obi cet enfant livré à lui-même à l’imaginaire bien trempé, personnage central du récit présenté comme « idiot tellement qu’il en oublierait jusqu’à son prénom».
Traînant son ennui et son complexe d’infériorité dans les couloirs de son collège, jamais où on l’attend, toujours à côté des choses, comme un funambule traversant son fil en espérant qu’il ne casse pas, voilà Obi affrontant le rejet de ses camarades et espérant trouver dans son amour pour Candice réconfort et espoir d’une vie meilleure. Les choses ne se passeront pas comme il les a rêvées, et dans une écriture en forme de huis clos psychologique Thomas Terraqué émeut et aborde de multiples sujets sociaux. Du coup « Quatre couleurs » c’est « Los Olvidados » de Luis Buñuel sur les bancs de l’école.
Un auteur enseignant le français au Guatemala
Signé Thomas Terraqué, professeur de français dans un lycée au Guatemala, et avec qui nous avons échangé lors de son récent séjour dans notre pays, « Quatre couleurs » explore la structure complexe des établissements scolaires en ne négligeant jamais la manière dont la direction, les enseignants, les surveillants, les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), le personnel chargé de l’entretien des bâtiments, ceux des cantines, doivent s’accommoder parfois d’un criant manque de moyens. On y parle ici de l’amiante dans les toits des lycées qu’il demeure nécessaire d’éradiquer, mais on ne le fait jamais de manière didactique. « A l’origine, explique Thomas Terraqué, je voulais écrire un essai sur l’école en me plongeant sur le fait de comprendre pourquoi la structure de l’école est défaillante. J’ai consulté des rapports, j’ai interrogé tous les acteurs de la vie éducative, et je me suis servi de leurs témoignages avec comme résultat un texte analytique. Puis très vite la fiction a grossi, pour finir de » manger » tout l’ensemble. Alors j’ai décidé de faire un roman « plus vrai que nature » Oli par exemple étant la somme de bon nombre d’élèves rencontrés. Monsieur V. le professeur incarnant quant à lui ces profs désabusés et usés. »
Travail sur les voix
Une fois que la fiction s’est définitivement imposée Thomas Terraqué a envisagé le récit comme une suite de grosses nouvelles qui se répondraient. Ainsi chaque chapitre semble autonome par rapport aux autres, le chapitre central semblant être « L’enlèvement d’Europe » laisse apparaître une impression d’urgence d’écriture et psychologique continue. Si l’on manque souvent de recul par rapport aux choses vécues, Thomas Terraqué avec une plume aérienne et poétique prend sans cesse de la hauteur pour présenter les ressentis des uns et des autres, comme s’il était un cinéaste mettant en lumière les êtres et les choses caméra à l’épaule. Montrant sans démontrer, « Quatre couleurs » manifeste contre tous les ostracismes en bandoulière, nous plonge avec générosité jusqu’au drame final que l’on pressent inévitable au cœur de vies minuscules, de destins à la « Huckleberry Finn » (personnage qui donne son nom à un chapitre), que certaines utopies intérieures finissent par rendre grandiosement amples. Et c’est magnifique !
Jean-Rémi BARLAND
« Quatre couleurs » par Thomas Terraqué – Éditions Le Nouvel Attila – 142 pages – 17 €