Avec « Les guerriers de l’hiver », Olivier Norek signe un roman en forme de thriller qui s’impose comme un des chocs littéraires de l’automne. Roman qu’il présentera à Aix-en-Provence le 17 octobre dans le cadre de la sélection du Goncourt des lycéens.
Une symphonie romanesque finlandaise héroïque et tragique
La veille de Noël, l’Union soviétique de 180 millions d’habitants décide d’envahir la Finlande de 3 millions d’âmes. Staline ne se doute pas alors que ce conflit qui devait durer selon lui que quelques jours l’entraînera dans un affrontement rude, interminable où l’adversaire jugé si faible se révèlera un combattant redoutable. Cette guerre oubliée, effacée des manuels d’histoire Louis Clerc la raconte dans son ouvrage passionnant paru chez Perrin intitulé « La Finlande dans la Seconde Guerre mondiale (1938-1948) ». La résistance inattendue de l’armée finlandaise déséquilibra le géant soviétique et provoqua une vague d’enthousiasme en Europe pour ce pays périphérique et peu connu. Cette guerre de trois mois, à laquelle Staline met fin pour ne pas la voir enflammer tout le nord de l’Europe, constitue une des étapes essentielles des premiers mois de la Seconde Guerre mondiale.
A son tour Olivier Norek l’évoque dans « Les guerriers de l’hiver » un roman en forme de thriller. Habitué à écrire des polars, l’auteur capitaine de police judiciaire pendant dix-huit ans secoue les lignes et montre que le sacrifice des soixante-dix mille enfants de la Finlande, hommes et femmes, garçons et filles, morts en héros dans les combats a changé le cours de la Seconde Guerre mondiale.
Que serait devenue sans eux la France, l’Europe, le Monde ? C’est en creux pour réparer une sorte d’injustice mémorielle qu’Olivier Norek s’est lancé dans la rédaction de son récit foisonnant, passionnant, dont l’écriture très visuelle fait la part belle aux individus, à leur courage, et à des situations extraordinaires présentées comme un film en technicolor avec travellings sur les scènes de bataille, et gros plans sur des personnages au départ ordinaires transformés par la force des choses et surtout leur volonté en héros de tragédie grecque.
Parmi eux Simo Häyhä le plus grand sniper de l’histoire dont le simple surnom « La mort blanche » fera trembler et même reculer des troupes russes entières. Amoureux de la nature et de sa forêt rien ne le prédestinait à tuer, et c’est en des pages souvent très panthéistes que l’auteur le met en scène de façon exceptionnelle avec une écriture proche d’un lyrisme et d’un réalisme à la Victor Hugo. « Après une plaine blanche…une autre plaine blanche » après une bataille une autre bataille, le lecteur se trouvant embarqué dans une épopée héroïque qui demeure vibrante d’actualité.
Sélectionné au Goncourt, au Renaudot, au Giono et au Prix des lecteurs des écrivains du Sud
Soutenu par Paule Constant au Goncourt au prix des lecteurs des écrivains du Sud, et au Giono, sélectionné également au Renaudot, « Les guerriers de l’hiver » est une des sensations romanesques de l’automne. Un choc. Un texte ample et exceptionnel de densité. Habile et virtuose écrivain de thrillers, Olivier Norek a construit le début de son roman comme s’il s’agissait d’une enquête policière. Annonçant que les Finlandais leur ont tiré dessus, les Russes vont arguer ce qui est une fausse information pour entrer en guerre contre ce Lilliputien militaire. Roman humaniste « Les guerriers de l’hiver » n’est pas un récit sur la loi du talion mais sur le don de soi pour protéger ses proches. « La vengeance ne répare rien, ne ressuscite personne, elle remplit le vide de l’absence, elle donne un but pour ne pas sombrer, elle retient la tristesse et la colère, et une fois assouvie, elle libère tout en un seul flot dévastateur, sans que rien n’ait vraiment changé», écrit Olivier Norek se plaçant ainsi dans la tête de Simo Häyhä personnage qui a vraiment existé et qui, survivant à de graves blessures, mourra en 2002. Incollable sur le sujet, s’étant rendu en Finlande sur les lieux mêmes du conflit, brossant des portraits puissants des principaux guerriers russes et finlandais, Olivier Norek propose un roman de guerre facile d’accès et passionnant qui défie les lois du genre. Impressionnant et inoubliable. Il nous en a parlé avec enthousiasme. Entretien.
Comment est née l’idée de ce livre ?
Comment naît une idée ? Elle vient probablement d’un millier de fragments épars qui, un jour se rencontrent, s’agrègent et forment une histoire. Il y a parmi ces fragments, une peur, une curiosité, une guerre oubliée et une légende. La peur, c’est celle de Poutine qui nous a avertis qu’il avait la bombe nucléaire et qu’il n’hésiterait pas à l’utiliser si jamais notre soutien à l’Ukraine se poursuivait. Une menace nucléaire, en 2022… Terrorisé, je suis devenu curieux. Cela commence comment une guerre avec la Russie ? Cela commence comment, le chaos ? Et me voilà à reprendre tous les conflits menés par la Russie depuis un siècle, pour y trouver un sens, un schéma. L’Histoire bégaie, dit-on, et l’Histoire oubliée est condamnée à se répéter. Il y avait donc dans le passé de quoi éclairer le présent.
C’est au cours de ces recherches que j’ai découvert quelques lignes sur la Guerre d’Hiver, une guerre bien peu connue, oubliée, effacée des manuels scolaires, et à l’intérieur j’y ai fait la connaissance de Simo, le plus meurtrier des snipers de tous les temps. Simo n’était pas un simple soldat, mais une légende, un mythe oserais-je dire, puisqu’il y a bien des choses qu’encore je ne m’explique pas sur les capacités physiques phénoménales de ce jeune homme de 30 ans et de 1,52 m. J’avais donc la guerre d’hier qui nous parlait d’aujourd’hui, et au milieu, un personnage si prodigieux, qu’il en deviendrait mon principal. Voilà une infime partie des raisons de ce roman.
Comment l’avez-vous construit. Quelles furent vos sources ?
J’ai été flic de terrain pendant 18 ans, je suis devenu auteur de terrain. J’ai donc pris mon sac à dos et je suis parti en Finlande pendant trois mois, pendant les 105 jours exactement où se sont déroulés cette guerre. Je voulais être au plus proche, marcher dans les pas des soldats, toucher la terre dans laquelle ils ont creusé des tranchées, toucher les arbres derrière lesquels ils se sont abrités et sentir en Laponie les -50 degrés qui les accompagneront, qu’ils soient Russes ou Finlandais. Je suis allé dans les archives, dans les musées, dans les églises, dans les facultés d’histoire, dans les cimetières, jusque chez les gens, invités dans leur grenier à ouvrir les cartons de souvenirs, car cette guerre n’ayant pas cent ans, tout le monde en détient une partie chez lui.
Vous qui venez du polar on a l’impression que « Les guerriers de l’hiver » est un thriller. L’avez-vous pensé ainsi ?
Je n’ai qu’une plume, mais elle s’adapte, elle se caméléonise au sujet. J’ai une manière de raconter les histoires, avec énergie et passion. Mes parents sont des enfants du livre et de la radio, je suis un enfant des livres et des écrans. Ce n’est pas très protocolaire, je le sais bien, mais j’écris toujours avec une caméra sur l’épaule, car j’écris autant que je réalise mes livres. Les temps morts sont mes ennemis, et les introspections sans fin me donnent souvent envie de refermer un roman. Les personnages, les personnages, les personnages… Puis l’histoire, l’histoire, l’histoire. La plume au service de l’histoire, et pas l’inverse, et toujours, à chaque ligne, l’image du lecteur et de la lectrice, mon livre entre leurs mains. J’écris pour l’autre. Sans l’autre, ou si jamais demain je devais ne plus avoir de lecteurs, je n’écrirais pas pour moi seul, et j’arrêterais.
Comment avez-vous écrit les dialogues qui paraissent, comme les situations décrites, très réalistes ?
Pour Simo, la chose a été simple. L’homme était un taiseux. Bienveillant, de bonne compagnie dit-on, mais pas bien bavard. Qu’à cela ne tienne ! Qui suis-je pour lui inventer un vocabulaire ou un phrasé qui ne seraient pas les siens. Ainsi, si le roman tourne autour de ce personnage principal, il ne parlera jamais. Pour les autres dialogues, ceux de Mannerheim, le chef du Conseil de Guerre de Finlande, ceux des généraux, ou encore, ceux du terrible et légèrement psychopathe Juutilainen, que ses hommes ont d’ailleurs surnommé l’Horreur, ont tant marqué la Finlande que chacun a en mémoire une phrase dont on leur attribue la paternité. Pour le reste des soldats, un peu moins connus, j’ai tenté de me mettre dans leurs uniformes, de ressentir (bien en sécurité) leurs peurs et leurs espoirs, et si tout cela paraît réaliste, alors cette question est un compliment.
Avez-vous inventé ici des faits d’armes, des actes de bravoure, ou une quelconque anecdote ?
Pas une seule phrase, pas une virgule, pas une respiration n’a été inventée. Pourquoi l’aurais-je fait ? Plus je découvrais les détails de cette guerre, plus je découvrais, du côté Finlandais, tout le courage et l’ingéniosité qu’il a fallu à un petite nation de 3 millions de personnes pour résister à un pays continent de 171 millions de personnes comme l’URSS. Une succession d’actes de bravoure si incroyables (à lire dans le sens d’in-croyable, qu’on ne peut pas décemment croire), qu’il a fallu que je mette à la fin de mon roman que tout ce que vous avez lu est strictement vrai, sinon personne n’y aurait porté le moindre crédit.
Le personnage de celui qu’on a appelé « La mort blanche » semble incarner le centre narratif de l’écriture. Avez-vous eu l’idée ce faisant d’en faire un héros tel qu’on les trouve chez Alexandre Dumas ? Parlez-nous de lui.
Loin de là. Je considère ce roman comme absolument pacifiste. Il n’est pas non plus spécialement pro-finlandais, encore moins antirusse ! Et pour avoir été flic 18 ans (vous l’avais-je déjà dit ?) je n’ai développé aucune attirance ou aucun fantasme pour la violence et la mort. Simo lui-même n’a pas aimé cette période de sa vie et ne s’en est jamais vanté. « J’ai fait ce que j’avais à faire, comme tous les autres Finlandais, pour ne pas perdre mon pays ». Une journaliste allemande du journal Der Spiegel a un jour pensé qu’elle en saurait plus en allant l’interviewer au sujet de la guerre. Parler de sa forêt et de son amour pour la nature aurait mieux convenu, car elle est repartie bien bredouille et à la question: «Qu’avez-vous ressenti, la première fois que vous avez tué un Russe ? », la réponse de Simo fut « Le recul de mon arme ». Pourtant, il y a tant à dire, tant à comprendre sur ce mystérieux homme. Comment Simo restait-il quatre ou cinq heures allongé dans la neige par -50 degrés sans mourir, en contrôlant son corps autant que son esprit ? Comment Simo réussissait-il à tirer là où l’œil ne voit pas, avec son fusil de chasse, sans lunette de visée qui plus est, à près de 500 mètres de distance, quand le plus gros des soldats ne fait plus que la taille d’une épingle ?
Votre roman n’est-il pas avant tout une fresque sur la courage ?
Le courage, la loyauté et la fraternité. Car les Finlandais n’ont pas gagné avec leurs armes, ils ont gagné avec leur courage et leur amour les uns pour les autres. Quelle emphase, me direz-vous. Quelle mièvrerie. Laissez-moi transformer tout cela en cauchemar. Lorsque Mannerheim a compris que la guerre était inévitable, lui est venue une idée aussi géniale stratégiquement, qu’inhumaine. Le Baron Mannerheim a donc décidé que chaque village formerait une unité complète. Ainsi, sous le déluge de feu et de plomb, les soldats se sont battus avec, à leur gauche, leurs frères, à leur droite, leurs voisins, et devant eux, leurs amis. Et du conflit, aucune désertion. Tout simplement parce qu’avec cette idée qui a donné des nuits blanches au Baron pour le reste de sa vie, les soldats avaient sous les yeux les raisons même pour lesquelles ils combattaient : protéger leur pays, et dans ce pays, ceux qu’ils aimaient.
Voyez-vous des ponts existants entre l’époque décrite dans votre roman et celle d’aujourd’hui ?
Des ponts et des gouffres. Des ressemblances et autant de différences. Mais la similitude la plus frappante est celle de la cause. Pour une cause juste avec une épée pure, disait Mannerheim. Ainsi, si votre combat et juste (généralement le combat d’une révolte ou de la défense), alors votre épée sera couverte d’un sang pur dont vous n’aurez pas à rougir. Chaque stratège militaire vous confirmera qu’il faut 5 soldats surentrainés pour affronter un homme seul qui se défend pour sauver sa ferme, sa terre, son pays et ceux qu’il aime. Cinq contre un, car l’homme seul est galvanisé, rendu presque invincible par une juste cause. Et lorsque Poutine a décidé d’envahir l’Ukraine, il a réveillé en eux cette invincibilité qui naît dans le cœur et qui nourrit l’âme. Les soldats russes se battent car on leur en donné l’ordre. Les Ukrainiens se battent avec la force de ceux qui acceptent de mourir pour quelque-chose de plus grand qu’eux. Leur Nation et leurs familles.
Comment vivez-vous l’accueil exceptionnel de votre roman que ce soit au niveau de la presse que des lecteurs ou des jurés des grands prix littéraires de l’automne ?
Plutôt bien, ma foi. Je fais un tour de manège époustouflant. Bien sûr, je vais lever la main pour attraper le pompon (un prix, qui sait), comme tout enfant émerveillé, et si elle reste vide, j’aurais au moins fait un fantastique tour de manège.
Va-t-on vous retrouver bientôt dans un nouveau polar ? Quel en sera le thème ?
Un polar, pourquoi pas. Une romance, qui sait. Ou enfin, m’autoriser à suivre les pas de Barjavel en laissant mon imagination créer d’autres mondes. L’idée commande, la plume s’adapte, et c’est à chaque fois une nouvelle vie pour moi. Pour ce gamin de neuf ans qui faisait des terreurs nocturnes car la vie est si brève, presque finie à peine commencée, avoir trouvé une façon d’en vivre mille, quitte à voler celles des autres, comme un vampire littéraire, me rassure et m’apaise. Créer est la seule chose qui nous inscrit dans l’éternité.
Propos recueillis par Jean-Rémi BARLAND
« Les guerriers de l’hiver » par Olivier Norek. Éditions Michel Lafon – 446 pages – 21,95 € – L’auteur présentera son roman à Aix le 17 octobre dans le cadre de la sélection du Goncourt des lycéens.