Publié le 1 novembre 2024 à 19h10 - Dernière mise à jour le 3 novembre 2024 à 10h19
C’est un livre puissant, de la famille des textes de Jim Harrison qui creuse les liens que l’Homme entretient avec la Nature. S’interrogeant sur l’ordre des choses, sondant l’instinct de révolte, Sandrine Collette nous plonge avec « Madelaine avant l’aube » dans une histoire de familles plutôt malheureuses qui, comme l’a noté Tolstoï en incipit d’Anna Karénine, le sont dans ce cas chacune à leur façon.
Nous nous trouvons dans un endroit à l’abri du temps. Un hameau minuscule qu’on appelle « Les Montées », où se débattent pour survivre la vieille Rose, et les jumelles Ambre et Aelis s’affairant autour de leurs maris Eugène, le débardeur forestier et Léon, le sabotier qui ne pense qu’à boire. La terre frémissant sous leur pas lourd, qui ne leur appartient pas et où elles travaillent sans relâche, demeure obstinément avare. Vont côte à côte l’homme et le cheval et chacun se hâte « de cette lenteur presque hypnotique des grands corps épuisés après une journée de labeur. »
Les trois garçons d’Aelis ne sont pas fainéants non plus, l’énergie étant leur marque de fabrique. C’est là qu’un jour surgit Madelaine, une fillette affamée, et sauvage sortie des forêts, qui, perdue dans une grange, est découverte par Rose. Adoptée par Les Montées, elle ravit ses habitants par son courage, et sa propension à tordre le coup au réel funeste. Intrépide, bravant tous les interdits recueillie essentiellement par Ambre qui en fait sa fille de cœur, elle qui n’a pas pu avoir d’enfants, Madelaine incarne une sorte d’emblème de la révolte des femmes, une étincelle, un chant d’espoir. Sans marqueurs spatio-temporels précis, «Madelaine avant l’aube» dont on peut situer l’action un peu avant la Révolution française s’inscrit de manière flamboyante dans l’œuvre de Sandrine Collette dont l’écriture fait songer souvent à celle de Jean Giono. Rappelons d’ailleurs que son précédent roman « On était des loups » a obtenu en 2022 le Prix Giono justement, en même temps que le prix Renaudot des lycéens.
La place des filles et de la famille
« Ce livre » explique Sandrine Collette m’a demandé trois ans d’écriture, après avoir mis quatre à cinq mois pour imaginer l’intrigue qui est basée sur des faits réels. « Madelaine avant l’aube » est un hommage non déguisé à ces femmes qui ont décidé en octobre 1789 de marcher sur Versailles. Leur action sans doute préfigure l’arrivée d’une aube nouvelle. « Je tiens beaucoup à ce que l’on perçoive mon roman comme une manière littéraire de parler de la place des filles et de la famille, saluant celle-ci dans tout ce qu’elle peut apporter, d’honorer le refus de renoncer quoi qu’il arrive, magnifier l’amour inconditionnel qui sauve et élève l’humain, et étendre la narration à la relation que nous entretenons avec les animaux », explique la romancière.
Développant l’idée que ce sont les petites histoires qui font la grande, inscrivant pour le montrer les destins de dizaines de personnages dans une succession de descriptions panthéistes, (on retiendra entre autres la figure émouvante de Bran qui vieille sur Rose, ou d’Eugène qui se rebelle contre l’idée de travailler la terre), Sandrine Collette signe un roman d’amour, de douleur et d’obstination, où il est montré que l’on est contaminés par la nature dans laquelle on vit. Cette nature, et c’est un des points optimistes du livre, nous façonnant souvent de manière positive.
« La peur nous empêche d’agir »
Ce roman féministe qui ne s’impose pas comme un pamphlet contre les hommes, (bien que ceux-ci courbent trop souvent l’échine) et qui se veut empli de colère et de tendresse, nous montre comme l’explique Sandrine Collette que « c’est la peur qui nous empêche d’agir, et qu’on peut passer par-dessus grâce aux gens qui nous aident. » La solidarité intergénérationnelle étant un des moteurs de cette fiction plus vraie que nature. Vivant de son métier d’écrivaine dans un village de 250 habitants et 4 000 vaches, faisant de cette existence isolée qui dit-elle, lui «convient très bien», le terreau de ses songes et de ses récits, cette autrice atypique et sincère nous offre avec « Madelaine avant l’aube » un poignant récit à multiples entrées dont le dernier mot est «rire» où il est affirmé qu’une simple flamme dans le cœur et les yeux des honnêtes gens « fera (peut-être) un jour brûler le monde.»
Jean-Rémi BARLAND
«Madelaine avant l’aube» par Sandrine Collette – chez Lattès – 248 pages – 20,90 €